La route est longue de Paris à Seattle… Heureusement, Air France programmait Bohemian Rhapsody, idéal pour la mémoire collective pré-congrés, l’émotion, et pour les retardataires d’Allo Ciné. On peut prendre son temps sur le copieux programme de cette 26e CROI (la cinquième sise à Seattle en plein état de Washington) et le retourner dans tous les sens. Un seul constat : la poussée des IST, au-delà du phénomène épidémiologique expansif indiscutable, avec ou sans Prep, est saisissant.
C’est une première pour des agents infectieux non rétroviraux depuis Washington, lieu de la CROI «Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections», la Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes annuelle où sont présentés les dernières et plus importantes décision scientifiques dans le champs de la recherche sur le VIH. princeps de 1993. Ni l’hépatite C, ni Ebola n’avaient occupé autant de place.
En atteste le thème de la première communication orale en plénière (#12) dont le titre dépasse largement les capacités littéraires, s’il en est, de Google translate : “Denial, doom or destiny ? Resurgent STIs in HIV care and prevention”. On aura même droit à une session thématique sur “les merveilles masquées que nous ne voulons pas rencontrer = syphilis et lympho granulamotose vénérienne (LGV)” [TD 05]. Et le premier thème de l’annexe féminisante qui clôture le « pocket program », surlignant les abstracts d’études ayant trait aux femmes, est aussi de la partie : “Incident syphilis rate and predictors in US women with HIV ” (#48) ; sans oublier la première, et rare communication orale française portée par l’ANRS et présentée par Héloïse Delagrèverie : “Expanding testing strategies in Paris : a free postal comprehensive STI test Kit” (#49).Une très innovante expérience de Santé Publique France, baptisée “Mémodépistages”, où l’on n’attend pas que les IST et leurs porteurs veuillent bien se présenter dans les consultations spécialisées ou dans les CeGIDD Centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD) des infections par les virus de l'immunodéficience humaine, des hépatites virales et des infections sexuellement transmissibles. Ces centres remplacent les Centres de dépistage anonyme et gratuit (CDAG) depuis le 1er janvier 2016. aux heures ouvrables : on va les chercher dans les boîtes aux lettres des HSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes. volontaires! C’est dire si cela dépoussière les maladies vénériennes. Le VIHologue de terrain aura pu, de CROI en CROI, rechigner à devenir un tantinet cardiologue, diabétologue, rhumatologue, gériatre… il n’échappera pas aux IST. Des IST sorties pour l’occasion de la naphtaline et d’un siècle de vénérologie.
La Prep Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. contre les IST
Où il apparaît que la Prep VIH pourrait faire finalement plus contre les IST, que de les favoriser, et ce tant par l’offre de santé sexuelle qui est associée que par la recherche qu’elle draine (Pep IST, vaccination Méningo/gono, outils de réduction des risques (Rdr) à adapter au Chemsex…). Et n’en déplaise aux prépo-septiques dont la parole, souvent idéologique, voit se tendre nombre de micros et de plumes ces dernier temps en France. Pour autant, ce n’est point la Gonocroi… cette CROI là. N’exagérons rien. Bien d’autres rendez-vous vont mobiliser l’équipe de Vih.org et du e-journal 2019, trop heureuse de se retrouver après une CROI 2018 privée de e-journal pour d’obscures raisons administratives.
Usage de drogue à Seattle
Et quitte à passer 5 jours à Seattle, autant se pencher sur la seconde ville LGBT des États-Unis et aussi sur celle qui figure dans le top 5 US pour son nombre de Homeless. Sans doute la même surprise nous attend que lors de l’AASLD dans les rues de San Francisco, il y quelques mois. L’actualité VIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. de Seattle suit celle d’une grande partie de la côte Ouest. À commencer par l’augmentation catastrophique de la consommation de méthamphétamine, ainsi que celle des injecteurs d’opioïdes de synthèse, souvent détournés de la pharmacopée hospitalière. Avec des chiffres exponentiels d’overdoses dans tous les États-Unis. Cette consommation par injection a contribué à la hausse du nombre de nouveaux cas d’infection à VIH impliquant des hétérosexuels dans le nord de Seattle et qui sera rapportée durant cette conférence (#891). D’où aussi la résurgence des veilles pratiques profanes de RdR notamment avec le “chasser le dragon”, un mode de consommation de l’héroïne héritier de la traditionnelle pipe à opium, thème d’une communication sur la population des PLWA consommateurs d’opiacés (#63).
Mais les homeless de Seattle n’auront pas le soutien, ni l’aide de la municipalité. Contrairement à San Francisco, qui a imposé une taxe sur les entreprises. Amazon, le groupe dirigé par Jeff Bezos, l’homme le plus riche du monde (avant son divorce), qui occupe à lui seul 20% des espaces de bureaux disponibles dans la ville et occupe pas moins de 40 bâtiments, s’y est opposé. Et refuse de payer le moindre impôt sur les sociétés. Sous la pression des 2 autres géants américains associés à Amazon, le conseil municipal de Seattle a rejeté en 2018 le projet d’imposition sur les heures de travail des employés, reniant ainsi son engagement dans la lutte contre la pauvreté.
Au programme de la CROI 2019
- 2 048 abstracts soumis
- 1 027 acceptés
- 11 % d’Afrique (97)
- 21 % d’Europe (193)
- 63 % d’Amérique du Nord (584)
Et puis il y aura tous les thèmes que l’on attend par comparaison avec la, ou les CROI précédente(s). Le sur-risque cardiovasculaire par exemple. Avec quelques bonnes nouvelles, notamment concernant le bon profil des inhibiteurs d’intégrase (#680). Le thème des traitements antirétroviraux “en couple”, que ce soit en STR ou par 2, en comprimés ou en injectable bientôt. Couples que l’on ne sait toujours pas comment les nommer : “bithérapie” trop old fashion ? “Dual thérapie” trop angliciste ? “Thérapie binaire” trop minitel ? À moins que le titre de l’intervention de Laura Waters en plénière (#160) reste dans les esprits : “two drugs tango”. Et le tango c’est bien joli, et ça se danse toujours à 2, collés ou pas.
On y débattra aussi du sur-risque VIH des populations clés dont les jeunes, hétéros, HSH, transgenres… (#S-9). Cette même population de jeunes qui échappe aux États-Unis à la Prep et au dépistage, faute de couverture santé. La réforme de la santé de Barack Obama avait permis de réduire le pourcentage de non-assurés de 18 à 11 %. Il est reparti à la hausse depuis l’élection de Donald Trump, atteignant 12,2 % en 2018, soit environ 30 millions de personnes.
Le Kaposi, très présent dans cette CROI 2019, devrait tenir son scoop avec une énigmatique présentation de Thomas Schulz (#21): “Special presentation : two novel potential therapeutic targets in the Kaposi Sarcoma Herpes virus KSHV”. Rodophe Garaffo (Nice) sera leader d’une session attractive de discussion sur le thème du monitoring des ARV et de l’observance à la Prep (TD-03). La room 6E devrait exploser sur le thème actualisé des antirétroviraux durant la grossesse et la survenue, ou non, de “birth defect” suite à l’alerte dolutégravir Le dolutégravir, nom de marque de Tivicay® et présent dans Juluca® et Triumeq®, appartient à la une classe de médicaments antirétroviraux appelés inhibiteurs de l'intégrase. Il est utilisé en combinaison avec d'autres médicaments anti-VIH. (#59) avec les résultats rassurants de la cohorte ANRS-EPF-C01-C011 (#744) et de l’essai HPTN 077 avec le cabotégravir (#34LB). On suivra aussi attention les expériences de prévention combinée dans les pays du Sud, à l’instar des 50 % de baisse d’incidence VIH dans le district de Chokwe, au Mozambique, entre 2014 et 2017 (#98).
Bref, peu de chance d’avoir le temps d’aller constater l’avancée des travaux de la Rainier Tower haute de 260 mètres et qui doit être livrée en 2020. Mais finalement, sans les salariés d’Amazon prévus sur 30 étages, pour cause de conflit sus cité. De l’espace libéré pour les homeless?