Mise à jour du 17/12/10 : Cet article a été précédement publié le 01/12/08. Les résultats, publiées mercredi 15 décembre, dans la revue professionnelle Blood, suggèrent, selon les auteurs, que le patient a été «guéri». Deux ans après la première étude publiée en 2008, aucune trace du virus n’a été retrouvé dans le corps du patient.
Le patient, séropositifSéropositif Se dit d’un sujet dont le sérum contient des anticorps spécifiques dirigés contre un agent infectieux (toxo-plasme, rubéole, CMV, VIH, VHB, VHC). Terme employé, en langage courant, pour désigner une personne vivant avec le VIH. était également atteint d’une leucémie pour laquelle il a été soigné par cette greffe. Le donneur de moelle osseuse avait non seulement été choisi pour sa compatibilité HLA (nécessaire pour éviter le rejet de la greffe) mais aussi parce qu’il était homozygote pour une mutation dans le gène codant pour CCR5, un des co-récepteur du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. Cette mutation (CCR5Δ32) confère à ses porteurs une résistance quasi totale à l’infection par le VIH.
Suite à la greffe de moelle osseuse, le patient a changé progressivement de génotype. Au bout de deux mois, suite à la nouvelle mutation acquise, il n’exprimait plus le co-récepteur CCR5. Ce cas avait fait l’objet d’un poster présenté au congrès Conference on Retrovirus and Opportunistic Infections (CROI, Boston, février 2008).
Qu’est-ce que CCR5Δ32 ?
Tout d’abord, reprécisons ce qu’est CCR5 :
Le VIH utilise plusieurs récepteurs différents afin de pouvoir entrer dans les cellules et les infecter. Le récepteur principal est la molécule CD4 et les deux co-récepteurs majeurs sont CCR5 et CXCR4, exprimés, entre autre, à la surface des cellules T, principales cibles du virus. De plus, le type de co-récepteur utilisé par le VIH pour infecter les cellules cibles définit son tropisme. Les virus utilisant CCR5 (tropisme R5) sont préférentiellement retrouvés au moment de la primo-infectionPrimo-infection Premier contact d’un agent infectieux avec un organisme vivant. La primo-infection est un moment clé du diagnostic et de la prévention car les charges virales VIH observées durant cette période sont extrêmement élevées. C’est une période où la personne infectée par le VIH est très contaminante. Historiquement il a été démontré que ce qui a contribué, dans les années 80, à l’épidémie VIH dans certaines grandes villes américaines comme San Francisco, c’est non seulement les pratiques à risques mais aussi le fait que de nombreuses personnes se trouvaient au même moment au stade de primo-infection. et prédominent pendant la plus grande partie de la phase chronique de l’infection (prévalence 80%).
De nombreuses personnes, résistantes à l’infection par le VIH, ont une mutation dans le gène codant pour CCR5, appelée CCR5Δ32. Cette mutation est à l’origine d’une protéine plus petite qui n’est alors plus exprimée à la surface des cellules. La majorité des formes du VIH ne peuvent pas infecter les cellules s’il n’y a pas de CCR5 à leur surface. Les personnes avec 2 copies du gène muté (homozygote) sont en grande partie résistantes à l’infection par le VIH. En outre, la présence d’une seule copie du gène muté (hétérozygote) ralentit déjà significativement l’évolution de la maladie.
Le récepteur CCR5 est-il une cible thérapeutique?
Les inhibiteurs de l’entrée virale sont une classe de médicaments antirétroviraux, qui visent à empêcher le virus d’entrer dans les cellules et par conséquent de les infecter.
Depuis quelques années, sont apparus des médicaments qui se lient au CCR5, empêchant ainsi la fixation du VIH. La plupart ont été testés en phase III.
Ce type de médicament pourrait donc empêcher l’infection par les VIH de tropisme R5, mais sans avoir d’effet sur les VIH de tropisme X4 (qui utilisent le CXCR4 pour entrer dans la cellule).
Pourquoi une greffe de moelle osseuse ?
Un petit rappel : C’est dans la moelle osseuse que sont produites les cellules souches qui vont donner naissance aux cellules du sang notamment aux lymphocytes T.
Ici, le patient était atteint d’une leucémie myéloïde aigue qui est un cancer affectant les cellules sanguines. Le traitement de cette maladie a reposé sur une chimiothérapie et radiothérapie intensives renforcées par une greffe de moelle osseuse allogénique, afin d’éradiquer les cellules cancéreuses et de reconstituer la moelle avec des cellules normales. L’originalité de cette greffe tient dans le fait que les médecins ont trouvé un donneur de moelle osseuse compatible et présentant la mutation CCR5Δ32 à l’état homozygote. Le receveur n’étant infecté que par des virus de tropisme R5, les nouvelles cellules repeuplant la moelle, puis le sang étaient résistantes à l’infection puisqu’elles ne portaient plus le co-récepteur CCR5Δ.
D’autres greffes de moelle osseuses ont déjà été effectuées dans le passé chez des patients infectés par le VIH. Mais, malgré une chimiothérapie intensive et un traitement important sous trithérapie avant la transplantation, l’éradication du VIH n’avait pas été possible. En effet, les cellules T issues de la greffe de moelle osseuse du donneur (ne portant pas de mutation) n’étaient pas immunisées contre le VIH qui était resté séquestré dans des « réservoirs » indétectables.
Est-on sûr de la guérison de ce patient du VIH?
Vingt mois après la greffe de moelle osseuse, et en absence de traitement antirétroviral, le patient n’a toujours pas de charge viraleCharge virale La charge virale plasmatique est le nombre de particules virales contenues dans un échantillon de sang ou autre contenant (salive, LCR, sperme..). Pour le VIH, la charge virale est utilisée comme marqueur afin de suivre la progression de la maladie et mesurer l’efficacité des traitements. Le niveau de charge virale, mais plus encore le taux de CD4, participent à la décision de traitement par les antirétroviraux. détectable, ni dans le sang, ni dans certains réservoirs potentiels du VIH (la moelle osseuse, les ganglions, l’intestin).
On ne peut pas avoir la certitude que le VIH a complètement disparu chez ce patient, mais il n’est en tout cas pas détectable avec les outils disponibles à ce jour.
Donc ce patient n’a pour l’instant plus besoin de traitements antirétroviraux.
Est-ce une approche thérapeutique généralisable ?
Hormis le coût que représente une telle opération, la réponse reste malheureusement NON et ceci à plusieurs titres :
Tout d’abord, une greffe de moelle osseuse est une opération risquée! Le risque de mortalité associé à la greffe de moelle osseuse est d’environ 10 à 15% dans les premiers mois. Dans les premières semaines des infections bactériennes peuvent survenir, dues à l’absence de globules blancs consécutive à la destruction de la moelle osseuse du patient. De plus, même lorsque la procédure est un succès, le rejet et certains cancers peuvent toujours survenir plus tard dans la vie.
Ensuite, il faut que le donneur de moelle osseuse soit non seulement compatible tissulairement, mais en plus soit porteur de la mutation CCR5Δ32 à l’état homozygote. Or, celle-ci n’est présente que dans environ 1% de la population caucasienne et est encore plus rare voire absente dans les autres populations. En plus, il est possible que cette mutation augmente la susceptibilité à d’autres infections (virus West Nile). Rappelons également que les chances de compatibilité tissulaires entre deux personnes non apparentées sont de 1 sur 1000000…
Enfin, il faut être sûr que le patient n’est infecté que par des VIH de tropisme R5 qui sont les seuls à ne pas pouvoir entrer dans les cellules n’exprimant pas le co-récepteur CCR5. Il existe d’autres formes de VIH assez fréquentes comme celles de tropisme X4 pour les virus utilisant exclusivement CXCR4, et R5/X4 pour les virus capables d’utiliser les 2 co-récepteurs. Par ailleurs, une minorité de souches virales semblent utiliser d’autres récepteurs tels que CCR2b, CCR3, BOB, BONZO et US28…
« L’allogreffe de moelle osseuse est une procédure extrêmement lourde avec la possibilité de complications gravissimes, qui ne se justifie que pour traiter une maladie menaçant à court terme le pronostic vital », explique le Dr Jean-Paul Viard du service des Maladies Infectieuses et Tropicales à l’Hôpital Necker de Paris. « Tout cela est bien plus lourd en termes de traitement médicamenteux, contraignant en termes d’hospitalisations et de suivi, dangereux (risque infectieux majeur) et coûteux qu’une trithérapie antirétrovirale: les greffés de moelle ne mènent ABSOLUMENT PAS une vie normale ! »