En Europe, les migrants sub-sahariens sont le deuxième groupe le plus touché par le VIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. en partie parce qu’ils ont pu être infectés dans leurs pays d’origine, mais aussi du fait d’infections survenues dans le pays d’arrivée. En France, on estime que 30 % des femmes et 44 % des hommes nés en Afrique sub-saharienne et suivis pour un VIH ont été infectés après l’arrivée. Cependant les déterminants de l’acquisition après la migration sont mal connus. (La revue La Recherche publie d’ailleurs dans son prochain numéro un article sur ce sujet, en partenariat avec l’ANRS.)
L’un des objectifs des chercheurs impliqués dans l’étude PARCOURS, menés par Annabel Desgrées du Loû (CEPED, UMR IRD-Université Paris Descartes, Paris, France), était de mesurer l’impact des conditions de vie dans le pays d’arrivée sur les comportements sexuels et l’acquisition du VIH dans quelle mesure ces contaminations sont liés aux conditions de vie. PARCOURS est une enquête biographique rétrospective —qui effectue donc un retour sur l’ensemble de la trajectoire des personnes— menée en 2012-2013 dans 74 structures de santé en Ile de France, auprès de 3 groupes de migrants sub-sahariens : 926 suivis pour un VIH dont 296 infectés en France, 779 pour une hépatite B chronique et 763 n’ayant ni VIH ni hépatite B (groupe référence), soit près de 2500 personnes au total. Les chercheurs ont comparé les types de partenariats sexuels vécus depuis l’arrivée en France selon le groupe d’étude (VIH acquis avant la migration, VIH acquis après la migration, VHB, population de référence) et leurs associations avec les moments de précarités (absence de logement stable, de titre de séjour ou de ressources), par des modèles de régression logistique à effets mixtes.
Ils ont constatés que la précarité était plus fréquente: plus de 40% des enquêtés ont vécu au moins un an sans titre de séjour, et plus de 20% sans logement stable depuis l’arrivée en France. Les partenariats sexuels occasionnels ou concomitants ont été plus fréquents chez les personnes ayant acquis le VIH en France que dans le groupe de référence, 77 % des hommes VIH infectés en France ont eu des rapports occasionnels et 70% des rapports concomitants vs 54% (p=0,004) et 46% (p=0,02) dans le groupe de référence. Chez les femmes, 52% ont eu des rapports occasionnels et 9% des rapports transactionnels vs 31% (p=0,02) et 2% dans le groupe de référence (p=0.006). La probabilité de ces situations sexuelles augmente avec la précarité: ne pas avoir de titre de séjour ou de logement stable augmente le risque de partenariats occasionnels (respOR=2.01[1.48-2.72] et OR=3.71[2.75-5.00])et transactionnels (resp.OR=6.27[2.25-17.44]et OR=10.58[4.68-23.93]).
Pour les migrants sub-sahariens, les difficultés d’accès à un titre de séjour et leurs effets sociaux augmentent donc sensiblement les partenariats à risque et le risque d’infection VIH. Ces risques sont d’autre part majorés pour les femmes par l’absence de logement. La précarité est un déterminant indirect de l’infection VIH.
Les femmes migrantes particulièrement exposées
Les femmes migrantes d’Afrique subsaharienne sont le deuxième groupe le plus touché par le VIH/sida en France. Les chercheuses ont voulu mesurer à travers les données de PARCOURS les impacts respectifs de la migration et du diagnostic VIH sur les difficultés que ces femmes, confrontées à une «double rupture», peuvent rencontrer. Les indicateurs suivis étaient l’installation en France (logement, titres de séjour, activité) et le bien-être perçu, ainsi que les impacts de la migration et du diagnostic sur la probabilité d’accès à une activité, à un logement stable, à un titre de séjour, et sur le bien-être perçu au moyen de modèles logistiques à temps discret. L’enquête a permis de recueillir les parcours de vie de 433 femmes migrantes d’Afrique subsaharienne VIH+ tirées aléatoirement dans 24 services hospitaliers d’Ile- de-France en 2012-2013.
Il est constaté que la migration a un effet délétère très fort sur l’activité professionnelle et le bien-être perçu : les probabilités de perte d’activité et de mal-être augmentent au moment de la migration (OR[IC95%] : 6.7 [3.2-13.8] et OR :4.47 [2.70-7.40] respectivement). A partir de l’arrivée en France, le diagnostic VIH réduit le risque de perte d’activité (OR :0.33 [0.20- 0.54]) et le mal-être (OR :0.43 [0.28-0.68]).
En revanche, le diagnostic VIH n’a pas d’effet sur l’accès à un logement stable et l’accès à un titre de séjour de longue durée ou à la nationalité française est plus rare lorsque le séjour est accordé au titre du soin d’une maladie grave (OR :0.41 [0.22-0.77]). Dans la période récente (après 2005), et alors que la femmes sont plus fragilisées sur le marché du travail à cause de la situation économique dégradée, les femmes séropositives migrantes accèdent moins à la carte de séjour de 10 ans.
L’installation en France
Un autre volet de l’étude ANRS PARCOURS a été présenté par Anne Gosselin (CEPED, Paris) lors du Symposium de l’ANRS et fait également l’objet d’une publication dans le numéro de mai 2016 de la revue Population et Sociétés.(«Migrants subsahariens : combien de temps leur faut-il pour s’installer en France ?»). L’auteur montre dans cette publication la complexité pour les migrants subsahariens de l’installation en France, qui arrive généralement après une grande période de précarité, qui peut durer jusqu’à six à sept ans, et durant laquelle ils n’ont ni titre de séjour, ni logement, ni travail. Au bout de onze à douze ans, un quart d’entre eux n’ont toujours pas ces trois éléments d’installation: «La situation des migrants subsahariens finit par se stabiliser, mais pour beaucoup d’entre eux, c’est au prix du passage par une longue période d’insécurité. Cela n’est pas sans conséquence sur la suite de leur vie en France et celle de leurs enfants, car cette précarité peut retentir sur leur santé à long terme et sur les études de la deuxième génération.»
Des troubles dépressifs plus fréquents
Les impacts de la précarité se retrouve également dans les effets sur la santé mentale des personnes migrantes. Sur les 2468 migrants sub-sahariens de l’étude ANRS PARCOURS, les chercheurs constatent une forte prévalence Nombre de personnes atteintes par une infection ou autre maladie donnée dans une population déterminée. des troubles dépressifs et anxieux chez les hommes et les femmes comparativement à la population générale (1.5%). Chez les femmes, elle est de 14.9% lorsqu’elles sont infectées par le VIH, de 10.4% lorsqu’elles sont infectées par le VHB et 11% lorsqu’elles ne sont pas infectées. Chez les hommes, cette prévalence est respectivement de 9% (groupe VIH), 6.5% (groupe VHB) et 4.5% (groupe référence). Ces troubles sont augmentés lorsque les proches s’éloignent suite à l’annonce de la maladie.
Un accès rapide à la couverture maladie
Quel prise en charge, alors, pour cette population ? Un des déterminants majeur de l’accès aux soins est l’obtention d’une couverture maladie. Nicolas Vignier (Equipe de recherche en épidémiologie sociale, IPLESP, INSERM Institut national de la recherche médicale. UMR_S 1186, Paris) et son équipe ont étudié les déterminants de l’accès et de la perte de celle-ci parmi les immigrés d’Afrique subsaharienne après leur arrivée en France, à l’aide d’un modèle de régression logistique multivariée à temps discret, dans le cadre de PARCOURS : 749 suivis à l’hôpital pour une infection VIH (PVVIH), 619 suivis à l’hôpital pour une hépatite B chronique (PVHBC) et 547 consultants dans des centres de médecine générale (PMG).
Ainsi, au moment de l’enquête, 2,9/4,0/8,3% des PVVIH/PVHBC/PMG n’avaient pas de couverture maladie; 21,9/18,6/22,3% étaient bénéficiaires de la CMU et 6,8/23,5/11,0% de l’AME. Parmi les bénéficiaires de la sécurité sociale, 61,6/67,8/66,6% avaient une assurance complémentaire privée. La majorité des participants avaient accédé à une couverture maladie l’année de leur arrivée (IQR 1-2), sans différence entre les 3 groupes. Les participants avaient plus de chance d’avoir accédé rapidement à une couverture maladie si ils étaient arrivés en France après 2000 (OR=1.59 [1.29-1.95]). Cet accès était aussi facilité par le contact avec le système de soins à l’occasion d’une grossesse (OR=1.56 [1.15-2.12]), d’une hospitalisation (OR=3.43 [1.80-6.53]), du diagnostic du VIH (OR=2.76 [2.13-3.58]) ou de l’hépatite B (OR=3.10 [2.21-4.34]). Les freins à l’obtention de la couverture maladie étaient l’absence de titre de séjour (OR=0.45 [0.29-0.71]) et l’absence de ressources (OR=0.52 [0.33-0.80]). La perte de la couverture maladie concerne 1 à 2% des participants par an les 4 années qui suivent son obtention, et est associée à la perte ou l’absence de titre de séjour.
L’accès à une couverture maladie est rapide pour la majorité des migrants après leur arrivée en France et semble s’être amélioré après la mise en place de la CMU et de l’AME en 2000 (date de la loi instituant ces régimes). La précarité sociale et/ou administrative constitue quant à elle un frein à l’accès à une couverture maladie, alors que les contacts avec le système de soins un facteur favorisant. La perte du droit au séjour est un déterminant important des ruptures de couverture maladie.
On le voit, l’étude PARCOURS est riche d’enseignements, et ces différentes publications sont l’occasion d’ouvrir le débat sur les politiques migratoires actuelles et leur impact sur les infections du VIH et des hépatites virales pour les migrants d’Afrique sub-saharienne, ainsi que sur la santé en général.
(Desgrées du Loû A et al. Abstract S8.02; Gosselin A et al. Abstract S3.02; Vignier N et al. Abstract S12.04)
La lettre de l’Infectiologue et Vih.org s’associent pour couvrir l’AFRAVIH 2016.