Depuis l’émergence de la pandémie de covid-19Covid-19 Une maladie à coronavirus, parfois désignée covid (d'après l'acronyme anglais de coronavirus disease) est une maladie causée par un coronavirus (CoV). L'expression peut faire référence aux maladies suivantes : le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) causé par le virus SARS-CoV, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) causé par le virus MERS-CoV, la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) causée par le virus SARS-CoV-2. le Sars-CoV-2 a démontré une remarquable capacité à franchir la barrière des espèces et à infecter de nombreux animaux. Cette aptitude a été illustrée très tôt par l’apparition de foyers d’infection chez les visons, accompagnés d’une rapide évolution du virus qui a conduit à l’abattage d’élevages entiers1. Le cerf de Virginie s’est également avéré particulièrement vulnérable au virus, soulevant des préoccupations quant à son rôle potentiel de réservoir animal capable de maintenir ou de favoriser l’émergence de nouveaux variants. L’influence du passage inter-espèces sur l’évolution du Sars-CoV-2 reste incertaine: certains suggèrent que le variant Omicron pourrait être issu d’une adaptation chez l’animal, tandis que d’autres soulignent que sa forte adaptation à l’homme rendrait cette hypothèse improbable. Dans ce contexte, une étude conduite dans le nord-est de l’Ohio entre janvier et mars 2023 visait à documenter la prévalencePrévalence Nombre de personnes atteintes par une infection ou autre maladie donnée dans une population déterminée. l’évolution génétique et les dynamiques de transmission du Sars-CoV-2 dans les populations de cerfs sauvages, en se concentrant sur les variants Alpha (B.1.1.7) et Omicron.
Les cerfs et le Sars-CoV-2
Dans le cadre de cette étude, 519 échantillons nasaux ont été prélevés sur des cerfs de Virginie abattus dans le cadre de programmes de gestion de la faune, sur dix sites couvrant environ 1 000 km² dans l’Ohio. Dans un premier temps, une étude de prévalence de l’infection a été faite. L’analyse virologique par RT-PCR a révélé que 12,3 % des échantillons (64/519) étaient positifs pour le Sars-CoV-2. La prévalence variait selon les sites, atteignant jusqu’à 50% dans certaines zones proches des agglomérations humaines. Suite à cette première analyse, un séquençage des souches virales a été effectué. La majorité de celles-ci (86,1%) appartenait aux lignages du variant Omicron, circulant activement à cette période chez les humains en Ohio et dans le monde. De manière inattendue – et alors qu’à l’époque cette souche ne circulait plus chez l’homme depuis environ un an – 13,9% des virus séquencés se sont avérés appartenir au variant Alpha (B.1.1.7). L’analyse phylogénétique a mis en évidence deux clusters majeurs de transmission de variants Omicron entre cerfs, impliquant des déplacements du virus sur des distances supérieures à 10 km, franchissant même des autoroutes entre les États indiquant une transmission efficace entre animaux dans un environnement naturel. Les cerfs de l’Ohio porteurs du variant Alpha formaient un cluster distinct, apparenté à un virus isolé chez un cerf en Pennsylvanie fin 2022, suggérant une transmission entre cerfs provenant de territoires très distincts. Les études de dynamique virale ont révélé que le virus semblait évoluer environ deux fois plus rapidement chez le cerf que chez l’homme. Certaines mutations récurrentes du domaine N-terminal de la protéine spike (S12F, L18F, T22I), observées dans plusieurs clusters indépendants de cerfs, pourraient refléter des adaptations progressives du virus à ce nouvel hôte. La persistance du variant Alpha chez le cerf de Virginie démontre que cette espèce peut maintenir activement la circulation de variants anciens, leur permettant de continuer à évoluer en dehors de la surveillance humaine. De nouveaux variants pourraient ainsi émerger de ce réservoir et réinfecter l’homme. Si aucune preuve directe de transmission réciproque vers l’homme n’a été identifiée dans cette étude, cela a été le cas dans le passé au Canada2.
Des cerfs et des hommes
La problématique du cerf en tant que réservoir d’infections zoonotiques chez l’homme dépasse toutefois la seule question du covid-19. Celui-ci joue un rôle de plus en plus reconnu en tant que réservoir ou amplificateur de divers agents pathogènes transmissibles à l’homme. Parmi ceux-ci, on citera au premier plan Borrelia burgdorferi sensu lato, agent de la maladie de Lyme. Les cerfs sont des hôtes primaires pour les tiques du genre Ixodes (notamment Ixodes scapularis en Amérique du Nord et Ixodes ricinus en Europe), vectrices de la maladie. Sans être infectés eux-mêmes, les cerfs abritent de larges populations de tiques adultes, contribuant indirectement à la dynamique de la transmission. Même si l’élimination des cerfs ne permettrait pas de diminuer efficacement l’incidence de la maladie chez l’homme, il semble clair que des densités élevées de cerfs sont associées à un risque accru pour l’homme3. Parmi les autres pathogènes transmises par des tiques hébergées par les cerfs, on retrouve également Anaplasma phagocytophilum dont des souches circulent activement chez les cervidés et le virus de l’encéphalite à tique. Parmi les bactéries hébergées par les cerfs et pouvant poser des problèmes pour l’homme (et pour les animaux de rente), on note Francisella tularensis Leptospira spp. ou Mycobacterium bovis4. Ce risque est sans doute appelé à augmenter. La chasse, l’élevage en enclos et l’écotourisme favorisent les contacts homme-cerf, augmentant ainsi les opportunités de transmission de pathogènes5. D’autre part, les populations de cervidés (ex. cerf élaphe Cervus elaphus, cerf de Virginie Odocoileus virginianus) ont fortement augmenté dans de nombreuses régions. Ceci est la conséquence de changements d’usage des sols6 et de la réduction de leurs prédateurs naturels, notamment les loups7.
L’étude présentée ici montre le rôle potentiel du réservoir animal pour le Sars-CoV-2 et le risque qu’il représente dans l’apparition de nouveaux variants chez l’homme. Elle souligne ainsi la nécessité:
1) de mettre en place une surveillance active et coordonnée de l’évolution du SARS-CoV-2 chez les animaux sauvages, dont le cerf de Virginie ;
2) de mener des recherches pour mieux comprendre les mécanismes de transmission entre cerfs et humains, et entre animaux, afin d’évaluer les risques associés à cette espèce en matière de santé publique.
Par ailleurs l’augmentation des maladies humaines liées aux cervidés, phénomène susceptible de se reproduire avec d’autres espèces, reflète les profondes modifications anthropiques de l’environnement, mettant en évidence – s’il était nécessaire – qu’il sera demain de plus en plus complexe de contrôler l’émergence de maladies infectieuses chez l’homme.
Références
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- Pickering B, Lung O, Maguire F, Kruczkiewicz P, Kotwa JD, Buchanan T, et al. Divergent SARS-CoV-2 variant emerges in white-tailed deer with deer-to-human transmission. Nat Microbiol. https://doi.org/10.1038/s41564-022-01268-9 ↩︎
- Kugeler KJ, Jordan RA, Schulze TL, Griffith KS, Mead PS. Will Culling White‐Tailed Deer Prevent Lyme Disease? Zoonoses and Public Health. https://doi.org/10.1111/zph.12245 ↩︎
- Corner LAL. The role of wild animal populations in the epidemiology of tuberculosis in domestic animals: How to assess the risk. Veterinary Microbiology. https://doi.org/10.1016/j.vetmic.2005.11.015 ↩︎
- Rizzoli A, Silaghi C, Obiegala A, Rudolf I, Hubálek Z, Földvári G, et al. Ixodes ricinus and Its Transmitted Pathogens in Urban and Peri-Urban Areas in Europe: New Hazards and Front Public Health 2014;2. https://doi.org/10.3389/fpubh.2014.00251 ↩︎
- Spake R, Bellamy C, Gill R, Watts K, Wilson T, Ditchburn B, et al. Forest damage by deer depends on cross‐scale interactions between climate, deer density and landscape structure. Bennett J, éditeur. Journal of Applied Ecology. http://dx.doi.org/10.1111/1365-2664.13622 ↩︎
- Morizot B « Les diplomates: Cohabiter avec les loups sur une nouvelle carte du vivant EAN: 9782918490555, Wildproject Editions ↩︎
«Persistence of SARS-CoV-2 Alpha variant in white-tailed deer, Ohio, USA».
Tarbuck NN, Garushyants SK, McBride DS, Dennis PM, Franks J, Woodard K, et al.
Emerg Infect Dis. 2025 July
https://doi.org/10.3201/eid3107.241922