Bilan provisoire de l’épidémie de chikungunya à La Réunion et Mayotte

Un point presse de l’ANRS le 5 juin 2025 a dressé un bilan de la situation épidémiologique dans les deux territoires ultramarins, présenté les manifestations cliniques et les études en cours et à venir, pour mieux comprendre cette arbovirose.

L’épidémie de chikungunya à La Réunion (885 000 habitants) aura concerné 200 000 personnes qui ont consulté pour chikungunya lors de cette vague 2025, versus 250 000 pour les deux vagues 2005 et 2006, selon les estimations de Santé publique France. «C’est énorme», déclare Muriel Vincent, épidémiologiste à la cellule régionale de Santé publique France, lors d’un point presse de l’ANRS le 5 juin.

À partir d’un premier cas de chikungunya identifié l’hiver dernier, l’épidémie s’est déplacée dans le sud et l’ouest du territoire, et tous les indicateurs surveillés (cas confirmés, activité aux Urgences et en médecine de ville), ont progressé jusqu’à atteindre un pic semaine 17 (21-27 avril). Depuis, les indicateurs sont à la baisse. L’arrivée de l’hiver austral laisse espérer le maintien de l’épidémie à quelques foyers résiduels et minimise le potentiel de dissémination à la France hexagonale… Dans le cadre de la surveillance renforcée des arbovirosesArbovirose Les arboviroses sont des maladies virales dues à des arbovirus transmis obligatoirement par un vecteur arthropode (moustique, moucheron piqueur, tique) à des hôtes vertébrés (mammifères, oiseaux), d’où leur nom adapté de l’anglais : ARthropod-BOrne virus. Santé publique France identifie des cas importés de chikungunya, mais pas de cas autochtone pour 2025. Rappelons qu’en 2024, un cas autochtone de chikungunya avait été rapporté en Île-de-France (voir notre article).

À la Réunion, les cas les plus graves ont concerné les enfants, pris en charge pour la gestion de la douleur, les femmes enceintes et les personnes de +65 ans avec comorbidités. Les décès (20 depuis le début de l’année) ont ainsi majoritairement concerné les + 65 ans avec comorbidités.

« Le chikungunya exacerbe les comorbidités », explique Antoine Bertolotti, chef du service de maladies infectieuses du CHU de La Réunion. Il appelle à surveiller des signes particuliers chez les personnes âgées (diarrhée, atteintes cardiaques et neurologiques) pour lesquels il faut aussi «penser Chik».

Pour la population générale, les signes cliniques du chikungunya sont un syndrome pseudo grippal, avec de la fièvre, des éruptions cutanées et des douleurs articulaires. Ces dernières sont majeures, comparées à celles causées par la dengue ou le zika. Elles peuvent persister plusieurs semaines, impactant la qualité de vie, voire l’organisation du travail des personnes touchées, témoigne le médecin lui-même toujours concerné par des douleurs aux mains…

Mayotte en phase épidémique

Passée en phase 3 du plan Orsec arboviroses depuis le 27 mai, Mayotte (320 000 habitants) connaît une transmission intense et généralisée du virus chikungunya sur l’ensemble du territoire, avec une concentration de cas dans les communes de Mamoudzou, Pamandzi, Dzaoudzi, précise Hassani Youssouf, épidémiologiste à la cellule régionale de Mayotte pour Santé publique France.

Avec 757 cas et 19 hospitalisations (dont 11 de femmes enceintes), l’épidémie à Mayotte concerne pour la moitié des cas les 25-34 ans, une différence par rapport à l’île voisine. Mais ces cas sont probablement sous-estimés, pense Hassani Youssouf, non conformés en laboratoire après les passages aux Urgences ou en médecine de ville, pour une population qui renonce aux soins. Une étude de 2008 montrait une séroprévalence dans 30 % des Mahorais.

Des études pour en savoir plus

À la Réunion, plusieurs études sont en cours avec le soutien notamment de l’ANRS pour cerner l’impact de l’épidémie sur la population : une analyse des cohortes pour comparer les symptômes cliniques des personnes touchées en 2005 et 2025, une analyse prospective sur une cohorte de 120 personnes revues à J21, 3 et 6 mois, avec des analyses sanguines pour mieux comprendre la maladie.

Une cohorte rétrospective sera créée en regardant les dossiers médicaux «pour voir ce qui se passe chez les femmes enceintes, chez les + 65 ans, les personnes sous traitement immunosuppresseur», précise Antoine Bertolotti… Une enquête de séroprévalence est également prévue, avec des tests aléatoires dans la population

Du côté du vaccin Ixchiq, que les autorités de santé ont finalement déconseillé aux + 65 ans (17 événements indésirables graves ont été notifiés chez les + 62 ans), une étude de phase 4 est menée par l’équipe d’Émilie Mosnier, infectiologue au service des maladies infectieuses du CHU de La Réunion: Chik-Revac, une étude d’efficacité, de tolérance, de sécurité et d’immunogénicité d’Ixchiq. Des résultats devraient être disponibles d’ici à un an.

Une autre étude, Vaxepta-Chik examine l’acceptabilité vaccinale, qui a baissé au cours du temps et après la survenue des EIG, en même temps que la population s’adaptait progressivement à l’épidémie. L’étude est menée par questionnaire et entretien avec des anthropologues, et les résultats sont transmis de manière séquentielle aux autorités publiques. 6000 doses de vaccin ont été dispensées à La Réunion, dont 4500 chez les + de 65 ans, la première cible déterminée par la HAS.

Pour les professionnels de santé et les épidémiologistes, cette vague a permis une meilleure surveillance des cas, une meilleure prise en charge des femmes enceintes et des tout-petits, et une forte mobilisation des médecins généralistes qui a permis à l’hôpital de ne pas sombrer. «Nous avons capitalisé sur l’expérience de 2005 pour gérer cette vague et nous devons capitaliser pour gérer ce qui se passe à Mayotte et peut-être dans les Antilles», conclut Émilie Mosnier.

La campagne de vaccination
Le vaccin Ixchiq, recommandé par la HAS en février dernier pour certaines populations (voir notre article) a fait l’objet d’une campagne de vaccination à partir du 7 avril dernier à La Réunion, alors en pleine épidémie. L’avis de la HAS le destinait aux :
– personnes âgées de plus de 65 ans
– à celles de 18 à 64 ans avec une comorbidité ou une maladie chronique (hypertension artérielle, diabète, maladies cardiovasculaires, respiratoires, rénales, hépatiques et neurovasculaires…), et n’ayant jamais contracté le chikungunya.
– professionnels de la lutte antivectorielle.

La HAS a écarté les femmes enceintes ou les personnes immunodéprimées, car il s’agit d’un vaccin vivant atténué (lire notre article). Le plan Orsec a été déclenché sur l’île en janvier, mais la vaccination tardive et partielle n’a pas endigué l’épidémie. De plus, le vaccin restait cher pour les personnes souhaitant se faire vacciner hors indication HAS (180 euros) et la survenue d’EIG (et de décès) ont bloqué la campagne, les autorités décidant de ne plus recommander le vaccin aux +65 ans, le 26 avril. De quoi entacher encore un peu l’image des vaccins?