Dans un article très documenté, un collectif d’auteurs engagés dans la recherche sur la PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. propose de dépasser le dogme qui limite aux hommes cis-genres, très majoritairement HSHHSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes. un usage intermittent ou «à la demande» de la PrEP (on emploiera ici ce terme par commodité, car il manque une dénomination aisée pour le terme anglais event-driven). Les femmes cis et les hommes trans qui pratiquent le «front-hole sex» (en anglais, certains trans québécois traduisent par «trou frontal») ont aussi besoin d’une PrEP, même imparfaite, mais qui rencontre leurs besoins, leurs préférences et leur physiologie et qui s’adapte à des prises de risques qui ne s’inscrivent pas dans la continuité du temps. La plupart des prepeurs «à la demande» utilisent celle-ci pour encadrer l’activité sexuelle de week-end. Pour donner un ordre de grandeur dans l’étude de PrEP ANRS-Prevenir sur les 3215 PrEpeurs inclus – dont seulement 13 femmes cis – 52,9 % (1695) prenaient la PrEP par tenofovir/FTC continu et 47,1 % (1511) en usage intermittent.
Les auteurs passent d’abord en revue les bases scientifiques des recommandations adoptées dans certains pays qui réservent la PrEP intermittente aux hommes homosexuels cis-genres avec parfois une recommandation complémentaire pour les personnes trans assignées de sexe masculin à la naissance.
Des essais auprès des femmes aux résultats contrastés
Ils examinent ensuite les résultats des essais majeurs réalisés auprès des femmes: Voice (mené en Ouganda, Afrique du Sud et Zimbabwe) et Fem-PrEP (Tanzanie, Kenya, Afrique du sud) qui ont conclu à l’inefficacité de la PrEP orale, principalement en raison d’une observanceObservance L’observance thérapeutique correspond au strict respect des prescriptions et des recommandations formulées par le médecin prescripteur tout au long d’un traitement, essentiel dans le cas du traitement anti-vih. (On parle aussi d'adhésion ou d'adhérence.) insuffisante, attestée par les déclarations d’observance comme par le dosage du médicament. Un essai mené dans des couples sérodifférents en Ouganda et au Kenya (Partners-PrEP) a montré cependant une réduction du risque de 84%. Dans une autre étude au Bostwana auprès d’hommes et femmes hétérosexuels, l’efficacité a été estimée à 62% (22%-83%).
Ces études ont conclu qu’une adhérence quotidienne parfaite était nécessaire pour les femmes et les hommes trans pratiquant le front-hole sex, en raison d’un manque de pardonnance (aptitude des trithérapies à obtenir et à maintenir un succès virologique en dépit d’une observance au traitement non optimale), illustré par une accumulation trop faible du tenofovir dans l’appareil génital féminin comparée à celle observée dans la muqueuse colorectale.
Il est vrai, comme le relatent les auteurs, que les premières études notamment l’essai HPTN 067 ont un peu douché l’enthousiasme pour une PrEP non continue chez les femmes. Pour rappel, l’étude HPTN067/ADAPT était un essai randomisé de phase II évaluant la PrEP de TDF/FTC en continu ou à la demande chez des femmes en Afrique du Sud (lire notre article). Cet essai portait sur des femmes adultes (≥ 18 ans) qui ont reçu une dose une fois par semaine pendant 5 semaines, suivie à la semaine 6 d’une assignation aléatoire (1:1:1) à l’un des trois schémas posologiques de PrEP sans insu pour une auto-administration sur 24 semaines : quotidienne ; déterminée par le temps (deux fois par semaine plus une dose après le rapport sexuel); ou déterminée par l’événement (un comprimé avant et après le rapport sexuel).
Les principaux critères d’évaluation étaient la couverture de la PrEP (au moins une dose dans les 4 jours précédant le rapport sexuel et une dose dans les 24 heures suivant le rapport sexuel), les comprimés nécessaires ou utilisés pour obtenir l’observance et la couverture spécifique au schéma posologique dans le bras considéré, ainsi que les symptômes et les effets secondaires. Chez les femmes ayant reçu le schéma quotidien, 1459 (75%) des 1952 événements sexuels ont été couverts par la PrEP, contre 599 (56 %) des 1074 événements sexuels parmi celles ayant reçu le schéma à durée déterminée (rapport de cotes [RC] 2,35, IC95 % 1,43-3,83) et 798 (52 %) des 1542 événements sexuels parmi celles ayant reçu le schéma basé sur les rapports sexuels (2,76, 1,68-4,53).
La diffusion dans les tissus est-elle la clé du sujet ?
Un point central bien discuté dans l’article est la question pharmacologique : y a-t-il une différence de diffusion de la PrEP dans les tissus, en fonction du tissu lui-même (rectum versus vagin, vagin versus néo-vagin) ou en fonction des imprégnations hormonales ? Des études datant des premiers essais de PrEP au début des années 2010 ont montré que, malgré des concentrations d’emtricitabine plus élevées dans les tissus vaginaux et cervicaux (10 à 15 fois plus élevées que dans les tissus rectaux), l’emtricitabine triphosphate n’était détectable que deux jours après l’administration de la dose au niveau vagino-cervical.
D’autres études confirment une tendance : les concentrations de ténofovir disoproxil fumarate et d’emtricitabine dans les tissus du tractus génital féminin diminuent plus rapidement que dans les tissus colorectaux. Ce qui indique la nécessité d’analyser les concentrations plasmatiques et les concentrations muqueuses des médicaments pour une couverture efficace de la PrEP, en particulier avec des stratégies de dosage intermittent.
Mais la question la plus compliquée est de savoir si l’efficacité de la PrEP est due à l’exposition au médicament dans les tissus muqueux, les tissus lymphoïdes ou les cellules mononuclées du plasma PBMC. Débat non tranché. Selon les auteurs «en faveur d’un rôle de l’exposition des muqueuses, une sous-étude de l’étude ANRS PREVENIR a montré que les biopsies de tissu rectal prélevées deux heures après une double dose de fumarate de ténofovir disoproxil et d’emtricitabine par voie orale étaient protégées de l’acquisition du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. ex vivo, grâce aux concentrations rectales d’emtricitabine triphosphate, malgré une faible exposition des PBMC». De même, la PrEP topique (par exemple, le gel de ténofovir ou l’anneau de dapivirine) a montré une certaine efficacité, malgré de faibles concentrations dans le plasma et les PBMC.
Le débat va sans doute s’éclaircir avec l’arrivée du cabotégravir à longue durée d’action en PrEP injectable (tous les deux mois ). Les concentrations de cabotégravir étaient légèrement plus élevées dans les tissus cervicaux et vaginaux que dans les tissus colorectaux, supérieures aux concentrations plasmatiques du médicament. Dans les modèles macaques, le cabotégravir était très efficace contre les expositions intravaginales au VIH. Comme pour les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et des femmes transgenres, le cabotégravir s’est avéré dans les essais comme l’HPTN 084 supérieur au fumarate de ténofovir disoproxil et à l’emtricitabine pour la prévention du VIH chez les femmes cisgenres en Afrique.
Une offre de PrEP plus diverse pour plus de couverture
Différentes études ont été menées sur l’intérêt pour la PrEP non continue aux États-Unis principalement auprès de HSH, également chez des adolescents et des jeunes en Afrique subsaharienne, au Kenya et en Afrique du Sud, celles-ci auprès de femmes qui peuvent anticiper le retour de leurs partenaires après une période d’éloignement pour le travail.
Ces études montrent une préférence pour une PrEP non quotidienne lorsque l’activité sexuelle est intermittente et que les rapports sexuels peuvent être anticipés. Plus récemment, des essais proposant le choix entre les divers modes de prise de PrEP (quotidien, intermittent ou à longue durée d’action), montre que le choix entre les méthodes augmente l’observance et le niveau de protection des rapports sexuels.
S’ajoute à la problématique du choix, le stigma possiblement attaché pour certaines femmes à la prise quotidienne de PrEP, moins discrète qu’une injection effectuée tous les deux mois.
C’est sur cet ensemble de données scientifiques que les auteurs recommandent d’étendre et d’étudier la PrEP intermittente pour servir l’intérêt et l’autonomie de la personne elle-même, dans une approche « gender-inclusive ». Ils proposent d’adopter le principe qu’une certaine couverture de PrEP est préférable à pas de PrEP du tout, en demandant aux praticiens de s’ajuster aux comportements et aux préférences des individus. Une telle proposition doit s’accompagner d’une recherche clinique sur l’efficacité d’une telle stratégie tant au niveau pharmacologique (quel dosage pour quelle pratique ?) que clinique.
Référence
Irie WC, Nicol MR, Clement M, Bukusi EA, Bekker LG, Molina JM, Stewart J. Event-driven PrEP beyond cisgender men who have sex with men. Lancet HIV. 2025 Feb;12(2):e143-e153. https://doi.org/10.1016/s2352-3018(24)00300-x Epub 2025 Jan 6. PMID: 39788131.