« Une stratégie mondiale est une nécessité absolue », Antoine Peigney, directeur Santé d’Expertise France

Antoine Peigney, directeur du département Santé d’Expertise France, explique le rôle d’Expertise France dans la mise en œuvre de la stratégie française en santé mondiale et revient sur la vision et les engagements de la France en la matière.

Comment cette stratégie a-t-elle été conçue et quelle part l’agence Expertise France y a-elle prise?

Antoine Peigney : La France a souhaité se doter d’une stratégie mondiale en santé, pour organiser une réponse très inclusive avec les opérateurs publics, les praticiens, le secteur privé, les ONG (lire notre article). L’intérêt de disposer d’une stratégie, c’est qu’elle donne un guide unique, un vecteur de cohérence. La stratégie est architecturée autour d’une grande priorité «Une seule santé» et elle redit l’engagement de la France sur le multilatéral, combiné avec le bilatéral.
Expertise France est l’opérateur du gouvernement pour la coopération internationale, et depuis deux ans, c’est aussi l’opérateur du groupe AFD. Nous avons été très associés à la construction de cette nouvelle stratégie, en nous appuyant sur notre bilan des années passées, qui ont forgé notre légitimité d’assemblier. Notre mandat est aligné sur la stratégie de la France, dans le même esprit de cohérence, en sa double qualité d’opérateur des ministères (Affaires étrangères, Santé et Prévention) et de filiale du Groupe AFD.

Il y a un appel à décoloniser l’aide internationale en santé. Cette préoccupation est-elle prise en compte dans cette nouvelle stratégie et dans les nouvelles interventions de la France en santé mondiale dans les pays avec lesquels elle coopère ?

Antoine Peigney : Je ne reprends pas à mon compte ce mot de «colonisation». Ce que je vois aujourd’hui, c’est une volonté de la France, permanente, d’associer les États au dialogue. La France décide de certains secteurs où se concentre l’aide qu’elle apporte, sous l’égide de l’ambassadeur avec le gouvernement, le ministre des Finances du pays concerné garant de la demande d’aide publique au développement et, en ce qui nous concerne, le ministre de la Santé. Si un pays a besoin d’une aide de la France en matière de santé, il le dit. Il peut préférer de l’aide pour préserver ses parcs nationaux, la biodiversité ou sa gouvernance financière… il n’y a pas vraiment de colonisation dans ce système très vertueux, même s’il y a une volonté de la France de partager son savoir-faire. La France a la conviction qu’elle a un système de santé performant, de renommée mondiale et elle souhaite le partager autant que faire se peut. Et puis, la France, comme tous les grands pays, veut être influente et nous sommes un outil dans une boîte à outils de soft power pour contribuer au rayonnement de la France.

Pendant la crise CovidCovid-19 Une maladie à coronavirus, parfois désignée covid (d'après l'acronyme anglais de coronavirus disease) est une maladie causée par un coronavirus (CoV). L'expression peut faire référence aux maladies suivantes : le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) causé par le virus SARS-CoV, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) causé par le virus MERS-CoV, la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) causée par le virus SARS-CoV-2. on a pris tous conscience de l’importance d’initiatives internationales. Est-ce que cela a pu influencer la réorientation de la stratégie?

Antoine Peigney : L’approche One Health, c’est vraiment la prise de conscience que les virus franchissent les frontières sans se soucier de la souveraineté des États. Une stratégie mondiale est une nécessité absolue. On avait déjà un règlement sanitaire international depuis 2005, très vertueux, mais assez lourd. Finalement, peu de pays arrivent à se doter d’un système d’alerte, de veille et de riposte. Il faut remettre l’ouvrage sur le métier ! Avant le Covid, il y a eu Ebola, après le Covid, il y aura d’autres virus. On sait que ce phénomène va aller croissant, avec les migrations, les passages de frontières, les marchés, les concentrations urbaines massives… et les risques liés au changement climatique. Depuis le Covid, l’Union européenne a mis en place un mécanisme de financement de programme, Teams Europe Initiative, des TEI. Nous sommes opérateurs sur quatre de ces TEI en Afrique, dont deux, Riposte One Health et Instituts de Santé publique, auront vocation à renforcer les capacités des États africains dans leurs fonctions de prévention, de communication, et de riposte, dans une logique régionale et continentale, sous l’égide du CDC Africa, rattaché à l’Union Africaine. Une autre TEI à laquelle nous sommes très associés, en qualité d’assistance technique et demain d’opérateur, s’appelle MAV+, pour «Manufacturing African vaccines and other medical products». Cette TEI vise à rendre l’Afrique plus autonome dans son accès aux vaccins et médicaments.

Ces projets qui intègrent l’approche One Health en Afrique et en République dominicaine, sont-ils en cours?

Antoine Peigney : Oui, mais ce sont des projets One Health qui cochent seulement les aspects santé humaine et santé animale, en oubliant pour l’instant la santé environnementale. C’est un défi : il va falloir que les bailleurs sortent d’une approche en silo pour nous permettre, sur des enveloppes plus inclusives, de pouvoir dialoguer avec les pays et construire des projets. One Health va devoir se traduire par quelque chose de plus concret dans le dialogue entre la France et les pays partenaires.

Beaucoup d’équipes de soins et de recherche avaient l’habitude de travailler avec le GIP Esther. Qu’est-ce qu’Expertise France fait de différent?

Antoine Peigney : Il n’y a plus d’Esther aujourd’hui. Le GIP a tenté de vivre au niveau européen, mais cela a fait long feu. Pour ce qui est de son activité dans la santé, Expertise France a repris, en partie, le mandat d’Esther sur la coopération hospitalo-universitaire, ainsi que celui de France Coopération Internationale, l’autre GIP en santé qui suivait notamment L’Initiative (ex-Initiative 5%) ; mais nous faisons beaucoup plus. L’Initiative poursuit sa mission au sein du département Santé d’Expertise France, en déployant une assistance technique aux pays éligibles et récipiendaires du Fonds mondial de lutte contre le sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. la tuberculose et le paludisme, tout en finançant également de manière très consistante de nombreux projets en lien avec les trois maladies, ou contribuant transversalement aux systèmes de santé des pays (laboratoires, ressources humaines en santé…).
Par ailleurs, le département Santé, dans sa logique d’opérateur, met en œuvre les projets exprimés au gouvernement français, ou à l’Union européenne, et quel que soit le sujet ou le pays. Ainsi le gouvernement français, en Ukraine, demande à Expertise France d’agir dans la santé mentale, en Algérie sur l’autisme, en Mauritanie sur la santé sexuelle et reproductive, en Afrique de l’est contre les médicaments falsifiés, en Irak pour relancer un hôpital à Mossoul, etc. Nous assemblons une expertise française, européenne, francophone, internationale, en fonction des demandes, en essayant d’être le plus agile possible pour répondre à la demande de la France de mettre en œuvre sa stratégie en santé mondiale, au même titre que les autres opérateurs.

Expertise France (2022)
625 salariés au siège
1000 intervenants sur le terrain, dont 441 experts
220 Experts techniques internationaux déployés sur le terrain, (contre 137 en 2021)
380 projets en cours dans 145 pays

Agence publique, Expertise France est l’acteur interministériel de la coopération technique internationale, filiale du groupe Agence française de développement. Deuxième agence par sa taille en Europe, elle conçoit et met en œuvre des projets qui renforcent les politiques publiques dans les pays en développement et émergents. Gouvernance, sécurité, climat, santé, éducation… elle intervient sur des domaines clés du développement et contribue aux côtés de ses partenaires à la concrétisation des objectifs de développement durable.