Le décalage horaire (moins 8 heures d’été) pousse à la réflexion, voire à l’introspection. Par exemple, à 4h du matin, quand vous vous retrouvez les yeux grands ouverts dans la chambre d’hôtel, alors que votre collègue est juste de l’autre côté de la cloison, entravant ainsi toute velléité d’allumer la télé.
Pourtant, on pouvait par exemple y suivre l’interview exclusive qu’a donnée à la plus conservatrice des chaînes américaines, Foxnews, l’actuel ministre de la Santé de Trump, Robert F. Kennedy Jr., à l’occasion de la CROICROI «Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections», la Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes annuelle où sont présentés les dernières et plus importantes décision scientifiques dans le champs de la recherche sur le VIH. 2025, sans prononcer un mot sur le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi.
Rappelons ici les casseroles de cet avocat devenu ministre de Trump II, en rupture avec son illustre famille, ne serait-ce qu’au regard de qui nous occupe ici. Antivax notoire avant et durant la crise sanitaire du CovidCovid-19 Une maladie à coronavirus, parfois désignée covid (d'après l'acronyme anglais de coronavirus disease) est une maladie causée par un coronavirus (CoV). L'expression peut faire référence aux maladies suivantes : le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) causé par le virus SARS-CoV, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) causé par le virus MERS-CoV, la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) causée par le virus SARS-CoV-2. Robert F. Kennedy Jr. à l’habitude de promouvoir la véritable fake news selon laquelle il y aurait un lien de cause à effet entre la vaccination contre la rougeole et l’autisme. C’est aussi un des rares négationnistes du sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. ayant encore une audience aussi importante aux États-Unis. Obsédé par Bill Gates, Anthony Fauci et Big Pharma contre lesquels il écrit un livre, RFK Jr. fait souvent référence à «l’orthodoxie» selon lequel le VIH serait à lui-seul la cause du sida. Lubie classique des négationnistes, il continue de répéter: «personne n’a été en mesure de citer une étude qui démontre leurs hypothèses en utilisant des preuves scientifiques.» Pas besoin de rappeler que c’est faux, bien sûr.
Pas de RFK Jr., donc, et mes pensées nocturnes dérivèrent vers l’Europe. Devant les menaces et le démantèlement d’une partie de la recherche sur le VIH/sida aux États-Unis, n’est-ce pas à l’Europe de s’organiser autrement, au-delà de la peu efficace dénonciation? Comme elle le fait, par exemple, dans son soutien revisité à l’Ukraine. En France, des voix s’élèvent pour dénoncer les menaces de baisser les budgets de la recherche dans ce contexte, à l’instar de la directrice générale de l’Institut Pasteur, Yasmine Belkaid: «Il y a 0,3 % d’investissement en France pour la recherche fondamentale, contre 1 % en Allemagne.» L’Europe ne doit-elle pas faire de la recherche autrement, collaborer différemment avec les pays émergents, ouvrir d’autres espaces afin de pallier le désengagement des États-Unis?

La «vraie vie» des injectables
La CROI, c’est aussi l’occasion de consulter les données de «vraie vie» rebaptisées «dans le monde réel» (sait-on pourquoi?) En ce qui concerne les antirétroviraux injectables à longue durée d’action par exemple, sur lesquels s’était refermée la CROI 2024, c’est assez copieux. OPERA est une base de données longitudinale et anonyme de soins de santé couvrant 260 cliniques aux États-Unis dans 23 états, et représentant ainsi 14% des PVVIHPVVIH Personne vivant avec le VIH sur le territoire américain. Sur 2858 patients sous cabotégravir+rilpivrine (CAB/RPV) long acting (LA) ayant reçu au moins une paire d’injections, 30% ont eu au moins 1 injection retardée et 12% ont «oublié» des injections (#674). Parmi les facteurs identifiés, on retrouve, dans 68% des cas, un problème purement nord-américain d’assurance privée. Ces oublis ne semblent pas avoir d’effet réel sur l’efficacité globale de la thérapie LA puisque 95% des patients avait une charge viraleCharge virale La charge virale plasmatique est le nombre de particules virales contenues dans un échantillon de sang ou autre contenant (salive, LCR, sperme..). Pour le VIH, la charge virale est utilisée comme marqueur afin de suivre la progression de la maladie et mesurer l’efficacité des traitements. Le niveau de charge virale, mais plus encore le taux de CD4, participent à la décision de traitement par les antirétroviraux. <50 copies/mL.
Le «monde réel» permet aussi de tester l’impact du non-respect des RCP de cette bithérapie. Dans la cohorte américaine TRIO (# 675) de 1198 patients sous CAB/RPV, 2% présentaient des mutations de résistance aux INIINI Les inhibiteurs de l’intégrase, ou anti-intégrases sont l'une des dernières classes d’antirétroviraux. Ils agissent en empêchant le VIH d’intégrer son message génétique dans celui de la cellule cible. Ces médicaments ont un profil de résistances différent des autres molécules, ce qui les rend intéressants en cas de multi-résistances face aux autres traitements. et 19% à au moins 1 INNTINNRTI Les inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse (INNTI en Français ou «non-nucleoside reverse transcriptase inhibitors», NNRTI, en anglais) ont un effet inhibiteur direct sur la transcriptase inverse (TI) du VIH-1 en formant une liaison réversible et non compétitive avec l'enzyme. La nevirapine, la delavirdine et l'efavirenz sont des NNRTI. avec une efficacité globale (CV < 50) de 95%.
Les données obtenues sont cohérentes avec celles de l’étude CARES, dont les résultats à la semaine 96 seront présentés à San Francisco le 12 mars 2025. L’étude confirme la non-infériorité du traitement injectable par rapport au traitement oral en Afrique, avec un taux de succès de 96,9% (47/255) contre 97,3% (250/257). À l’inclusion, 8% des participants présentaient des mutations de résistance archivées à la RPV (sans mutations APOBEC), 57% avaient un sous-type viral A1 et 21% avaient un IMC initial ≥30 kg/m², des facteurs théoriquement défavorables à l’utilisation du CAB/RPV. Des résultats qui témoignent d’une grande efficacité du traitement, au-delà des attentes conventionnelles.
Parmi les autres bonnes nouvelles du jour, plusieurs avancées prometteuses ont été présentées lors de la session #07. L’une des plus marquantes concerne l’association LEN + TAB + ZAB (lénacapavir, téropavimab, zinlirvimab), administrée tous les six mois, qui est passée en phase II (#151). Ce traitement démontre une efficacité comparable à celle d’un traitement oral, faisant de lui la première combinaison semestrielle disponible.
D’autres innovations incluent la proof of concept de deux nouvelles molécules : le VH4524184 (VH-184), un inhibiteur d’intégrase de troisième génération, et le VH4011499 (VH-499), un nouvel inhibiteur de capside (#152 et #153). Enfin, une nouvelle formulation injectable du lénacapavir, avec une administration annuelle, a également été présentée (#154). Des avancées que les traitements longue durée ont le vent en poupe.
Cet article a été précédemment publié dans le e-journal de la Lettre de l’infectiologue. Nous le reproduisons ici avec leur aimable autorisation.