Cette conférence, que nous avons une fois de plus la chance de couvrir grâce à la Lettre de l’Infectiologue (Edimark)1Avec Valérie Pourcher et Laurence Morand-Joubert à la rédaction experte, Jean-Philippe Madiou à la console et à l’écriture et Thierry Leveau à la technique. On ne change pas les équipes qui gagnent. Avec le soutien institutionnel de ViiV Healthcare en toute liberté éditoriale, d’habitude policée tendance républicaine corsetée, où tout est si fine, s’est jusque-là tenue à distance relative des débats de société ou politiques autour de la lutte contre le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. les ISTIST Infections sexuellement transmissibles. bactériennes, le mpox ou encore le Covid-19Covid-19 Une maladie à coronavirus, parfois désignée covid (d'après l'acronyme anglais de coronavirus disease) est une maladie causée par un coronavirus (CoV). L'expression peut faire référence aux maladies suivantes : le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) causé par le virus SARS-CoV, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) causé par le virus MERS-CoV, la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) causée par le virus SARS-CoV-2. préférant laisser cela aux conférences internationales de l’International Aids Society (IAS). Mais cette année, la coupe est pleine.
Depuis sa deuxième investiture, l’administration de Donald Trump a attaqué de manière répétée la science et la liberté de la recherche, l’égalité des soins, la recherche sur les populations cibles de la prévention VIH (migrant·es, personnes trans, femmes enceintes, etc.), la collaboration Nord-Sud, l’aide au développement, les données et les projets de recherche, le financement des universités ou des laboratoires, le CDC et autres administrations qu’il faudrait épurer.
Pour celles et ceux qui ont éteint la télé ou leur portable depuis des semaines, il est important de résumer ici les attaques de l’administration Trump contre ce qui fait notre cœur de métier, nos préoccupations, et ce qui guide en général les politiques publiques dans la route aux objectifs 3 x 95 de l’OMS, déjà malmenés par la crise sanitaire:
- Lors de sa seconde investiture, Donald Trump a signé par décret le retrait des États-Unis de l’OMS au registre que «l’Organisation mondiale de la santé nous a escroqués» rejoignant ses critiques passées de l’institution pour sa gestion de la pandémie de Covid-19. Il y exhorte les agences fédérales à «suspendre le transfert futur de tous fonds, soutien ou ressource du gouvernement des États-Unis à l’OMS». Les États-Unis contribuaient jusqu’à présent à 15% du budget de l’OMS, sans compter les «contributions volontaires» aux programmes d’urgence (Marbourg, Mpox, Ukraine, Gaza, etc.). A lire à ce sujet: Les États-Unis se retirent de l’OMS: un jeu perdant-perdant.;
- Le gel du PEPFAR, qui s’annonce comme une catastrophe: ce programme présidentiel américain est présent dans plus de 50 pays à travers le monde et a, au cours des deux dernières décennies permis de sauver plus de 26 millions de vies et fournir un traitement antirétroviral à plus de 20 millions de personnes contaminées par le virus du sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. dont 566 000 enfants de moins de 15 ans. Le lecteur pourra visualiser pour se convaincre de l‘impact délétère de ce gel de financement le compteur du site www.pepfar.impactcounter.com, où sont modélisés et comptabilisés heure par heure les morts et contaminations induites par ce gel du PEPFAR3. A lire à ce sujet, l’article de Cédric Arvieux sur les modélisations du gel du PEPFAR en Afrique du Sud telles que présentées à la dernière ID Week en Octobre 2024 par des chercheurs de la fondation Desmond Tutu sur Vih.org;
- Le retrait de toutes les publications impliquant les chercheurs du CDC ou les projets de recherche comportant les termes «genre», «transgenre», «personnes enceintes», «LGBT», «transsexuel», «sexe assigné à la naissance», «mâle biologique», etc. Une véritable chasse idéologique conduisant à la suppression par le CDC de 3000 pages de données et l’interruption de la publication du Mortality Weekly Report (MMWR) les 23 et 30 janvier 2025, une première en soixante ans. Sous pression, certaines équipes de recherche souhaitent déjà fuir le territoire des États-Unis, comme le rapporte Yasmine Belkaid, nouvelle directrice générale de l’Institut Pasteur après être passée par le NIH dans la Tribune Dimanche datée du 9 mars. Dans le cas des personnes trans, il est possible que cela impacte les communications à la CROICROI «Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections», la Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes annuelle où sont présentés les dernières et plus importantes décision scientifiques dans le champs de la recherche sur le VIH. pourtant soumises avant les prises de position trumpiennes, énoncées dans son discours d’investiture du 21 janvier 2025: «À partir d’aujourd’hui, la politique officielle du gouvernement des États-Unis sera qu’il n’y a que deux sexes, masculin et féminin (…) Ces sexes ne sont pas modifiables et sont ancrés dans une réalité fondamentale et incontestable» et «les fonds fédéraux ne doivent pas être utilisés pour promouvoir (…) l’idéologie de genre».
Stand Up for Science
Nous étions nombreux à craindre que la CROI 2025 en dépit de ce constat édifiant soit toujours une CROI as usual2«Comme d’habitude», en français. A l’évidence, il en sera autrement. Le 7 mars dernier, précédant la journée internationale des droits des femmes3Ce sont des socialistes américaines qui en 1909 ont instauré cette journée dédiée aux femmes et à l’égalité homme-femme ; La France retiendra ce jour seulement à partir de 1982., est né le mouvement de révolte Stand Up for Science —Défendons la science – qui a généré des manifestations dans le monde entier. Donna M. Jacobsen, executive director/president de l’IAS et executive manager de la CROI, a invité des pointures internationales à «compiler et partager une série de vidéos courtes et ciblées qui mettent en lumière le rôle important et les progrès réalisés grâce à la recherche sur le VIH, à la science et à l’aide mondiale, ou les dommages et les conséquences potentiels des politiques américaines actuelles.»

Que résume le slogan de Stand Up for Science? Science is for everyone, qu’on peut traduire par «la science est un bien commun». Dès son discours de bienvenue de l’opening session, Diane Havlir, co-chair et grande figure locale l’a exprimé du bout des lèvres: «Nous condamnons la censure de la science». Avant de rappeler que, si la CROI était une conférence indépendante qui ne recevait aucun financement fédéral, beaucoup de ses collègues étaient des employés de l’administration fédérale, travaillant de fait sous les nouvelles contraintes dictées par l’administration Trump.
La recherche française se mobilise également pour défendre la science. Ainsi, Françoise Barré-Sinoussi, nobel laureate, et Yazdan Yazdanpanah pour l’ANRS-MIE sont intervenus dans le cadre de cette initiative, en prenant comme exemple la collaboration américaine, française, belge, africaine qui a permis d’arriver aux résultats que l’on sait pour la prévention de la transmission fœto-maternelle du VIH.
L’opening session a connu son décollage politique et émotionnel avec le témoignage de Rebecca Denison, écrivaine, activiste et séropositive depuis l’âge de 21 ans présentant, moment fort de cette session – à l’écran et dans la salle – ses jumelles nées en 1996 dans un essai de phase 1 de la névirapine, avec un mari toujours séronégatif. Au-delà de son histoire personnelle couvrant quarante ans d’activisme et de vie avec le VIH, elle a insisté sur l’impact mortifère de la suppression de USAID4United States Agency for International Development, Agence des États-Unis pour le développement international chargée du développement économique et de l’aide humanitaire dans le monde et du gel du PEPFAR5Le PEPFAR ou President’s Emergency Plan for AIDS Relief est un plan d’aide d’urgence à la lutte contre le sida à l’étranger que le président des États-Unis George W. Bush a lancé en 2003. Sur l’écran géant, se sont affichés les chiffres du nombre de victimes de ces coupes sauvages au 9 mars: 19 257 adultes et 2049 enfants morts. Provocation ou dérapage, un parallèle sera fait ensuite entre les 53 jours qui ont suffi à Hitler pour démanteler la démocratie et les 48 jours de Trump II. Avec cette phrase qui pourrait être un des leitmotiv de la défense de la science sous Trump: «The cruelty is intentional.»
Au programme de la CROI 2025
De science, il sera question, on peut le voir dans le programme en l’analysant rapidement: 2160 abstracts soumis, 1170 acceptés (54%), 106 communications orales et 1064 posters. En réponse aux limitations d’entrée aux États-Unis, Diane Havlir, dans une réponse assez politiquement correcte, a montré que 40% des participants enregistrés (3772 au total, 507 en virtuel) venaient de pays autres que les États-Unis, portant à 69 le nombre de pays représentés.
En 2024, nous avions quitté la CROI de Denver avec une communication plénière aux relents freudiens: «The end of oral? How long-acting formulations are changing the management of infectious diseases». En 2025, les discussions reprendront là où on les avait laissées: sur le moteur de recherche du programme, on compte 57 occurrences pour l’expression long acting, en thérapeutique ou en PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. dont 29 pour le cabotegravir et 10 pour le lénacapavir. On suivra, par exemple, la suite de CARES à S 96, étude dans la vraie vie du cabotégravir en PrEP en Afrique (#202) qui a déjà fait couler beaucoup d’encre.
Bonne nouvelle pour les cliniciens qui pourront ainsi répondre aux questions de leurs patients en rentrant, le cure est bien présent avec notamment une plénière dès le lundi matin par Ole S. Søgaard (Aarhus University, Danemark, #16) et deux sessions entières de posters (D01 et D05). Et si on en croit certains titres, on devrait avoir droit à deux nouveaux (?) cas de patients «guéris» par greffe de cellules souches à partir d’un donneur CCR5Δ32/Δ32, un à Oslo et un autre aux États-Unis (#531, #532).
Peu de Covid-19 dans les communications orales, mais plus de mpox. Dès lundi, l’épidémie en Ouganda sera en session orale (#131, #132) et nous fera voyager au Japon (#302), en Corée du Sud (#300, #301) ou au Brésil (#1090) pour un retour sur les critiquables résultats négatifs du técovirimat dans l’essai ACTGACTG Aids Clinical Trials Group, l’organisation américaine des centres de soins et d’essais cliniques sur le sida. https://actgnetwork.org/ A5418 (#201) et les séquelles à long terme de l’infection (#1094). Sans oublier, une très attractive session (#C5) dédiée à la réponse immunitaire anti-mpox, un sujet qui demeure nébuleux pour le clinicien.
Côté français, les places semblent avoir été encore plus chères cette année. Il est vrai qu’on vient d’un pays où le Cos d’Estournel et le Saint-Nectaire (très bel accord mets-vin) pourraient être taxés en douane à 25% par l’administration Trump. Nous reviendrons sur la courte communication de Juliette Hemery (#1110, 5 minutes) concernant le temps avant l’initiation d’un traitement antirétroviral chez les femmes trans en France (1997-2022).
Bref, en 2025, pendant la crise politique, la science continue. Qu’en sera-t-il de la CROI en 2026 ? Difficile à prévoir.
Cet article a été précédemment publié dans le e-journal de la Lettre de l’infectiologue. Nous le reproduisons ici avec leur aimable autorisation.