Quels risques infectieux à l’heure où les cas d’arboviroses autochtones augmentent drastiquement ? Quelle sera la gestion d’une éventuelle ixième vague de variants du coronavirus durant cette période estivale 2024? Qu’est-il prévu pour la santé des athlètes et des délégations y compris sur le plan de la santé sexuelle? Comment l’hôpital public en souffrance et en période de vacances du personnel fera face à l’inévitable afflux de patient(e)s? Comment seront dépistées d’éventuelles maladies émergentes ou ré-émergentes à l’instar du mpox que personne n’avait prédit à l’été 2022 (lire notre article)? Quelle offre de soins pour les personnes séropositives ou sous PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. qui voyageront en France lors des JO sans couverture sociale?
261 risques
Les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) en France, du 26 juillet au 8 septembre 2024, premiers jeux de l’ère «post-Covid», provoqueront un afflux exceptionnel d’athlètes, de délégations et de public. Avec 10 500 athlètes olympiques et 4 350 athlètes paralympiques, accompagnés de 45 000 volontaires sans compter 12 millions de spectateurs et 25 000 journalistes. Le tout éclaté sur 39 sites olympiques, dont 15 en Île-de-France. Quoi qu’il en soit du risque terroriste, notamment lors de la cérémonie d’ouverture sur la Seine qui n’a à ce jour aucun plan B, c’est un casse-tête pour classifier les risques (im)prévisibles ou prévus qui, du strict point de vue de l’infectiologue, vont du bioterrorisme à une poussée d’arboviroses autochtones, en passant par les infections sexuellement transmissibles dans le sillage de l’effort ou de l’ambiance fan zone {1-51}. Selon la très secrète «analyse nationale des risques» (ANR) des autorités françaises, pas moins de «261 risques» sont associés à cet évènement mondial. C’est vertigineux. Chaque risque recensé dans ce document – classifié, mais cité par la Cour des comptes dans son rapport de juillet 2023 – est décliné en scénarios, et associé à un degré de criticité qui dépend de sa plausibilité et de ses conséquences potentielles. Des contre-mesures destinées à réduire la probabilité d’occurrence et à atténuer les conséquences sont associées à chaque scénario.
Difficile à l’heure de ces lignes de savoir où est la faille. En menant l’enquête auprès de la direction de l’AP-HP, de la Coordination opérationnelle risque épidémiologique et biologique (Coreb) ou de la direction de services aux jeux de Paris 2024*, tout semble «sous contrôle». Tous les interlocuteurs s’entendent sur le risque majeur que constitue la cérémonie d’ouverture le long de la Seine (avec ou sans bouquinistes) en termes d’attentat notamment biologique, ricine, anthrax ou charbon…
Des athlètes (en bonne santé) bien traités…
Selon l’AP-HP, tout est prévu pour les athlètes. Une polyclinique réservée aux sportifs sera installée en plein cœur du village olympique, pour 700 consultations prévues par jour, 2 IRM tournant 24 heures sur 24 (soit 70 IRM par jour!) et une antenne de pharmacie avec 200 volontaires français diplômés et 30 volontaires internationaux ; dispositif auquel s’associent trois hôpitaux franciliens référents pour les «publics CIO» et l’appui de deux experts en infectiologie et urgences, les Prs Jade Ghosn et Enrique Casalino (AP-HP). C’était une demande de la commission des lois de l’Assemblée nationale (rapport du 9 mars 2023) : «En effet, alors que l’Île-de-France est classée à hauteur de 63 % en désert médical, en Seine-Saint-Denis ce taux atteint 93 % ; le département ne saurait donc subir la moindre surcharge».
Zones d’ombre
Reste encore nombre de zones d’ombres. En une liste très infectiologique compte tenu du brassage de populations en plein été qu’on pressent caniculaire et qui décuple les facteurs de risques :
- toxi-infections alimentaires (comme aux JO de Londres),
- intoxications lors des épreuves de natation en eau fluviale, possible au vu de l’annulation des épreuves tests pour cause de taux d’Escherichia coli trop élevé,
- maladies sexuellement transmissibles en recrudescence (lors des jeux de Londres en 2012, on a observé une baisse des passages aux urgences mais une augmentation des consultations en centre de santé sexuelle),
- risque biologique terroriste avec en premier le botulisme et l’anthrax de mauvais souvenir étatsunien,
- superposition des épidémies saisonnières en plus des JO qui pèseraient sur un système de santé à genoux : ixième vague CovidCovid-19 Une maladie à coronavirus, parfois désignée covid (d'après l'acronyme anglais de coronavirus disease) est une maladie causée par un coronavirus (CoV). L'expression peut faire référence aux maladies suivantes : le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) causé par le virus SARS-CoV, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) causé par le virus MERS-CoV, la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) causée par le virus SARS-CoV-2. nouvelle épidémie de mpox, canicule…).
Par ailleurs qu’est-il prévu pour l’offre de santé aux personnes étrangères pour assurer leur prise en charge gratuite, de la bobologie à la pilule du lendemain en passant par le traitement post-exposition au VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. (TPE)? Le sujet est en discussion et Paris 2024 renvoie volontiers la balle vers l’hôpital Bichat, mais sans ligne budgétaire en face. Il est néanmoins prévu une campagne d’information «IST et Santé sexuelle» et de prévention des violences sexuelles à destination des athlètes et des spectateurs et possiblement la mise à disposition de TROD en attente de financement.
Scénarios catastrophes
On peut envisager des scénarios plus problématiques. Exemple : à l’été dernier, la ville de Nantes a été envahie par aedes albopictus qui transmet, entre autres, la dengue et le chikungunya. Ce, en raison de l’alternance de pluie et de fortes chaleurs. Or Nantes est site olympique en 2024 pour le football masculin et féminin et le territoire a également été retenu pour accueillir des délégations étrangères dans le cadre de leur préparation. Santé publique France a récemment alerté sur la «situation exceptionnelle» des cas autochtones de maladies transmises par les moustiques (52 cas de dengue autochtone) en 2022 (lire notre article). Le scénario est connu: une personne infectée revient de région endémique pour les JO, le moustique tigre, présent en France métropolitaine dans 71 départements, la pique et le virus se transmet à une autre personne ou plusieurs sur le sol français. Nantes comme d’autres villes olympiques (Marseille, Lille, Nantes, Bordeaux…) sont-elles préparées à ce risque hypothétique mais réel? Précisons que la politique des ARS pour la lutte antivectorielle est plus qu’hétérogène d’une région à l’autre en dehors des départements ultra-marins. Les services hospitaliers sont-ils informés et équipés de moustiquaires? Pour certaines institutions, comme le Coreb, le risque épidémique est vraiment hypothétique même s’il n’est pas nul.
Rappelons que le Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (Covars) qui a remplacé le Conseil scientifique Covid, entendait guider les politiques publiques à se préparer aux grands évènements internationaux se déroulant en métropole dans le contexte du réchauffement climatique et des mouvements de populations exposant à une recrudescence de cas d’arboviroses (lire notre article). Il souhaitait notamment «organis[er] une simulation du déclenchement et de la réalisation d’un plan Orsec Dengue en métropole (par exemple en simulant 20 foyers et 200 cas en PACA et 20 foyers et 200 cas en Occitanie en 2023). Et en anticipant la survenue de cas de dengue pendant les JOP 2024 (par exemple en simulant la survenue de 5 foyers autour de 5 sites de JOP).» À notre connaissance, aucune de ces simulations n’a été réalisée ou programmée.
Vieux risques
Autre facteur d’inquiétude : les variants du Sars-Cov-2 de type recombinants XBB à haut niveau de transmissibilité s’inviteront-ils aux JO 2024? Qu’est-il prévu dans ce sens: simplement appliquer les mesures gouvernementales dans une surveillance épidémiologique que l’on espère pleinement réactivée (R0, taux de positivité des tests, base SidepSIDEP SIDEP (Système d’Information de DEpistage Populationnel) est un système de surveillance qui vise au suivi exhaustif de l’ensemble des tests effectués en France dans les laboratoires de ville et dans les laboratoires hospitaliers pour la recherche du SARS-CoV-2. incidence par population, enquête flash sur les variants)? Ou programmer des mesures barrières contraignantes pour les spectateurs à partir de certains niveaux d’alerte fixés préalablement? Et quid de l’analyse des eaux usées sous les sites olympiques (faisabilité? moyens?) passée de l’artisanat de recherche d’Obépine qui avait fait ses preuves à une structure étatique Sum’Eau qui peine à fournir des données? (lire notre article)
Enfin, le risque animal. Au Brésil en 2016, un cheval, victime de la morve [maladie infectieuse et mortelle causée par la bactérie Burkholderia mallei, qui touche les chevaux et se transmet à l’homme], avait été euthanasié, comme l’impose la législation brésilienne près de l’endroit accueillant les épreuves olympiques équestres. En 2024, c’est à Versailles que les épreuves équestres attireront l’attention.
Un œil dans le rétroviseur
Pour les précédents JO, de telles inquiétudes ont pu être exprimées: à Rio en 2016, on craignait le risque de gastro-entérite et d’autres infections dues à divers virus et bactéries transmis par l’eau, ainsi que l’arbovirose due au virus Zika. Cependant, la proportion globale d’athlètes malades lors des Jeux de Rio (5 %) s’est révélée inférieure à celle des Jeux de Londres en 2012 (7 %), Vancouver en 2010 (7 %) et Sochi en 2014 (8 %). Alors que la majorité des maladies à Rio (56%) étaient causées par une infection, la proportion d’athlètes ayant contracté une infection (3 %) était identique à celle de Londres 2012 (3 %) et inférieure à celle de Sotchi 2014 (5%). De même, l’incidence des maladies du système digestif (1 %) était identique à celle de Londres 2012 (1 % également). En ce qui concerne le virus du virus Zika, aucun cas n’a été rapporté parmi les athlètes ou la population générale pendant les Jeux olympiques de Rio {2}.
*Remerciements pour les informations et échanges à Xavier Lescure (Coreb), Laurent Dalard (Paris 2024), Christophe Leroy et Florent Bousquié (AP-HP).
La Cour des comptes s’en mêle
L’afflux de personnes engendrera d’importants besoins en matière de soins, notamment au sein du village olympique qui accueillera «plus de 15 000 personnes athlètes et membres des délégations». Dans un rapport publié en janvier 2023, la Cour des comptes avait insisté sur la nécessité de resserrer la gouvernance et de finaliser le plan global de sécurité afin de pouvoir passer rapidement à la phase de planification opérationnelle et de déclinaison, site par site, des concepts généraux de sécurité.
Elle avait, en outre, identifié comme nécessitant une attention particulière les risques cyber, nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC) et sanitaire. Elle avait enfin souligné le défi capacitaire auquel font face les Jeux, s’agissant tant des entreprises privées de sécurité que des forces de sécurité intérieure. Sur la plupart de ces points, les évolutions constatées depuis s’inscrivent dans les recommandations formulées par la Cour.
Compte tenu des tensions capacitaires constatées – tant par l’État que par le Cojop – pour assurer la couverture francilienne en termes de secours médicalisé et du système de santé, le ministre de la Santé a missionné en novembre 2022 l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), dont le rapport a été remis en février 2023. L’Igas a constaté que le ministère, l’ARS et l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) étaient désormais engagés dans un processus de préparation volontariste.
- (1) S. Nakamura et al. Health risks and precautions for visitors to the Tokyo 2020 Olympic and Paralympic Games. Travel Medicine and Infectious Disease 22 (2018) 3–7
(2) Severi E, Heinsbroek E, Watson C, Catchpole M; HPA Olympics Surveillance Work Group. Infectious disease surveillance for the London 2012 Olympic and Paralympic Games. Euro Surveill. 2012 Aug 2;17(31):20232. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/22874458/
(3) Panagiotopoulos T, Mavroidi N, Spala G, Schnitzler J, Kalamara E, Triantafyllou H, et al. Experience of epidemiological surveillance and response for communicable diseases. In: Tsouros AD, Efstathiou PA, editors. Mass gatherings and public health: the experience of the Athens 2004 Olympic Games. Copenhagen: World Health Organization Regional Office for Europe; 2007. p. 67-80. Available from: http://www.euro.who.int/__data/assets/pdf_file/0009/98415/E90712.pdf
(4) Zhao C, Zhao T, Deng Y, Huang R, Wang Q, Luo P. Prevention and control of communicable diseases. In: Jin D, Ljungqvist A, Troedsson H, editors. The health legacy of the 2008 Beijing Olympic Games: successes and recommendations. Manila: World Health Organization Regional Office for the Western Pacific; 2010. p. 53-61. Available from: http://www.olympic.org/Documents/Commissions_PDFfiles/Medical_commission/The_Health_Legacy_of_the_20
(5) Murakami M, Fujii K, Naito W, Kamo M, Kitajima M, Yasutaka T, Imoto S.
COVID-19 infection risk assessment and management at the Tokyo 2020 Olympic and Paralympic Games: A scoping review.
J Infect Public Health. 2023 Mar 28:S1876-0341(23)00107-7. doi: 10.1016/j.jiph.2023.03.025. ↩︎ - Soligard T et al. Sports injury and illness incidence in the Rio de Janeiro 2016 Olympic Summer Games: A prospective study of 11274 athletes from 207 countries
Br J Sports Med. 2017 Sep;51(17):1265-1271. doi: 10.1136/bjsports-2017-097956. ↩︎