Peut-on proposer de nouveaux systèmes facilitant l’accès au dépistage? Comment améliorer le lien entre dépistage et soins? C’étaient les questions posées le 23 juillet 2019, à l’occasion de la deuxième journée de la 10e Conférence scientifique sur le VIH, à Mexico.
Barrières au diagnostic et à l’accès au traitement
Ingrid Bassett, Massachusetts General Hospital
Alors que certains pays ont atteint des taux de diagnostic de l’infection par le VIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. assez élevés, le Botswana fait une très belle performance avec 91/92/95. L’évaluation mondiale actuelle donne le chiffre de 79% de personnes dépistées, 78% des dépistés sous traitement et 86% des personnes sous traitement ayant une charge virale La charge virale plasmatique est le nombre de particules virales contenues dans un échantillon de sang ou autre contenant (salive, LCR, sperme..). Pour le VIH, la charge virale est utilisée comme marqueur afin de suivre la progression de la maladie et mesurer l’efficacité des traitements. Le niveau de charge virale, mais plus encore le taux de CD4, participent à la décision de traitement par les antirétroviraux. indétectable.
Il existe un certain nombre de barrières qui limitent l’accès au 1er 90 et font que 21% des personnes infectées par le VIH dans le monde ignorent leur statut. On peut ainsi énumérer quelques problème de premier plan :
- Le mauvais dépistage des hommes, qui sont moins susceptibles que les femmes d’êtes dépistés et traités précocément.
- Les ados : ils sont moins susceptibles de connaître leur statut, par défaut de perception du risque, défaut de proposition des tests, la nécessité dans certains pays d’avoir un consentement parental pour se faire dépister, la non adaptation de l’offre (problème d’horaire des structures de dépistage, d’accès…).
- Les populations clés sont souvent stigmatisées et font face à des difficultés d’accès aux structures, et le dépistage communautaire n’est pas encore assez développé pour répondre à toutes les demandes. La mise en place de lois discriminantes en terme de sexualité diminue l’accès aux soins : plus les barrières d’accès au soin augmentent, plus le risque de décès augmente (Afrique du Sud)
- Stigma et discrimination au sein même du système de santé persistent : les pays du Maghreb sont champions dans le domaine, notamment l’Algérie et le Maroc , avec les plus mauvaises évaluations réalisées par l’OMS !
Peut-on proposer de nouveaux systèmes facilitant l’accès au dépistage ? Le dépistage communautaire est probablement une voie de choix, notamment dans toutes les zones où les infrastructures de soins sont défaillantes. Le dépistage mobile a également montré son efficacité, même s’il doit encore faire la preuve de sa capacité à orienter les personnes dépistées vers le soin. Certaines études montrent que les personnes dépistées au cours d’actions mobiles sont plus jeunes, plus souvent des hommes, ont des CD4 plus élevés et peuvent être vues plus loin de leur domicile que dans les structures de dépistage fixes (Bassett et al. 2015). L’auto-dépistage doit également être développé. L’essai d’auto-dépistage STAR (Hatzold et al. 2019) au Malawi, Zimbabwe et Zambie permet d’accéder aux hommes, aux jamais dépistés, aux jeunes, avec une prévalence Nombre de personnes atteintes par une infection ou autre maladie donnée dans une population déterminée. faible (1,9% versus 10% pour ceux qui se font tester en clinique). Les média sociaux pourraient être mieux mis à contribution, notamment auprès de la communauté HSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes. qui les utilise beaucoup pour les rencontres : en Chine, (Wang et al. MMWR 2019) la promotion du dépistage sur une appli de rencontre gay a permis une augmentation massive des dépistages. Enfin, dans les pays où la prévalence est assez faible, la notification assistée des partenaires peut être une bonne option, car la prévalence de l’infection chez les partenaires est alors beaucoup plus élevée que dans la population générale.
Comment améliorer le lien entre dépistage et soins (pour le second 90…) ? A San Francisco, la mise en place de médiateurs de santé assurant le lien entre structures de dépistage et structures de soins (Coffey et al. 2019) a permis de diminuer les perdus de vue et raccourcir la mise sous traitement. Dans le Lesotho rural (LabHardt et al. JAMA 2018), la mise en place d’une initiation du traitement à domicile au moment du dépistage améliore le lien vers le soin. En Tanzanie, les travailleuses du sexe qui ont le choix du lieu communautaire où elles auront accès au traitement améliore la qualité des soins. Les incitations financières permettent d’améliorer le dépistage des partenaires hommes des femmes dépistées positives au Malawi, mais les stratégies d’incitation ont pu montrer des résultats mitigés. Enfin au Kenya, la mise en place de structures dédiées aux adolescents améliore le lien vers le soin.
L’accès universel au traitement, recommandé depuis 2015, a entrainé un certain nombre de défis à relever. Non seulement le fait d’avoir un très grand nombre de personnes à prendre en charge, mais également le fait d’avoir à soigner des personnes se sentant en bonne santé : les centres de santé éloignés, surbookés, les attentes interminables sont autant d’obstacles dont on a du mal à voir l’intérêt quand on ne se sent pas malade. Au Kenya et en Ouganda, l’essai SEARCH (Havlir et al. NEJM 2019) montre une amélioration du lien vers le soin en facilitant l’accès ; En Russie (Samet et al. AIDS 2019), la mise en commun de services autour du VIH et des usagers de drogue permet d’améliorer l’accès aux soins. Enfin, il faut faire une place aux « repentis », que sont ces patients perdus de vue qui reviennent tardivement aux soins et qui doivent être bien accueillis, et probablement de façon spécifique : dans certains centres de soins d’Afrique du Sud, la majorité des patients consultant avec des CD4 <50 sont des patients ayant déjà été sous ARV, et il existe peu d’étude et de programmes d’intervention pour faciliter la ré-entrée dans le soin de personnes ayant été perdues de vue.
Phases précoces de la transmission du VIH : perspectives pour améliorer les interventions
Lyle McKinnon, University of Manitoba, Canada
La prévention de la transmission du VIH passe par deux actions : rendre moins contagieux le porteur du VIH, ou rendre moins réceptive la personne non encore infectée.
Une fois en contact avec le VIH, la période de « préinfection » qui se situe au niveau des stades Feibig 0 à 1 est très courte, de l’ordre de quelques jours. Plusieurs études chez le singe montrent que le réservoir s’établit très tôt, au cours des 3 à 6 premiers jours. Il faut donc pouvoir agir très tôt si on souhaite diminuer un taux d’infection.
Parmi toutes les quasi-espèces présentent au niveau de la muqueuse après un contact, une seule sera transmise et passera les muqueuses : elle doit avoir de hautes capacités réplicatives, et être capable de résister aux défenses locales. Mais l’état des défenses locales et essentiel : dans l’essai CAPRISA, la présence d’une inflammation locale, mesurée par la présence de certaines cytokines, est hautement associée au risque d’acquisition du VIH (McKinnon et al. Nature Medicine 2018). L’inflammation permet à des virus ayant moins de capacités réplicatives de passer la barrière muqueuse. Le microbiote vaginal est une cause majeure d’inflammation en cas de dysbiose, et cela peut entrainer une expression élevée de cytokines pro-inflammatoires. Le traitement classique de la vaginose bactérienne n’est pas très efficace pour diminuer l’inflammation. Dans un essai d’anneaux vaginaux de Ténofovir, l’inflammation liée aux anneaux incite à arrêter le port de ceuxci afin de ne pas entraîner un sur-risque d’infection (Keller et al. Lancet HIV 2019).
Essayer de diminuer l’incidence des IST Infections sexuellement transmissibles. afin de diminuer l’inflammation favorisant l’acquisition du VIH, est également une piste importante.
Faire de la prévention du VIH en milieu hautement instable
Camila Gelpí-Acosta, Center for Drug Use and HIV Research (CDUHR), United States
Dans une intervention passionnée, Camila Gelpi-Acosta a dressé un tableau absolument apocalyptique de la situation sanitaire à Porto-Rico, notamment pour les usagers de drogues, qu’il est difficile de traduire sur le papier…
Porto Rico est une « colonie américaine » ayant un très haut niveau de consommation de drogue, en rapport avec sa situation de plaque tournante du trafic entre les états producteurs d’Amérique du Sud et les Etats-Unis.
La mortalité liée au VIH est très élevée, l’accès au traitement du VHC est quasi-nulle. Depuis 2017, on constate une explosion des cas d’overdose, et il y a très peu de programmes d’échanges de seringues. Les lieux d’injections et les prisons sont quasiment dénués de structures de prévention. Venant se surajouter à cette situation de base déjà assez épouvantable, l’ouragan Maria en 2017 a fortement désorganisé l’Île. Le peu d’infrastructures existantes se sont effondrées, et les personnes qui avaient besoin de soins se sont trouvées extrêmement démunies, avec un désengagement total de l’état et la nécessité d’une forte mobilisation de la communauté et de la diaspora. Les portoricains, qui sont des citoyens américains, ont massivement migré dans le Nord des USA et en Floride, mais étant très pauvres, se sont retrouvés SDF et dans des situations de haute vulnérabilité, avec de nouveaux comportements à très haut risques. Les autorités publiques ont encore très peu réagi à cette situation, laissant les communautés livrées à elles-mêmes.
Ce texte a été publié sur le site du COREVIH Bretagne, nous le reproduisons ici avec l’aimable autorisation de son auteur, le Dr Cédric Arvieux.