Description et épidémiologie
Le terme «chikungunya», qui désigne indistinctement le virus et la maladie, fait référence à ces arthralgies particulières : il signifie en effet «marcher courbé» en makondé. La «maladie de l’homme courbé» occasionne de très fortes douleurs articulaires associées à une raideur, et donne aux patients une attitude courbée caractéristique.
Le chikungunya se transmet d’homme à homme par l’intermédiaire de moustiques du genre Aedes aegypti et plus encore d’Aedes albopictus – le « moustique tigre », désormais présent dans 71 départements métropolitains. Lors d’une piqûre, le moustique prélève le virus sur une personne infectée, et à l’occasion d’une autre piqûre, il le transmet à une personne saine.
Le chikungunya (CHIKV) est un arbovirusArbovirose Les arboviroses sont des maladies virales dues à des arbovirus transmis obligatoirement par un vecteur arthropode (moustique, moucheron piqueur, tique) à des hôtes vertébrés (mammifères, oiseaux), d’où leur nom adapté de l’anglais : ARthropod-BOrne virus. de type alphavirus, responsable selon l’OMS de 8 millions de cas entre 2004 et 2017. Il a été découvert pour la première fois en 1952 sur le plateau de Makonde (dans l’actuelle Tanzanie) en Afrique de l’Est.
Un article récent de Nature retrace : «entre les années 1960 et les années 1990, des épidémies de CHIKV ont été signalées en Asie et en Afrique, et on pensait que le virus était maintenu dans un cycle sylvatique (transmission cyclique entre un hôte animal non humain et des insectes) avec une transmission occasionnelle à l’homme. Aujourd’hui, le CHIKV a été signalé dans des pays d’Afrique, d’Asie, d’Europe et des Amériques en raison de la mondialisation des voyages et du commerce ainsi que du changement climatique qui a conduit à la dispersion des moustiques Aedes dans un nombre croissant de régions tempérées.»
En 2004, la maladie a commencé à se répandre, causant plusieurs épidémies à travers le monde. En 2005, une épidémie sans précédent touche l’île française de la Réunion, puis ailleurs dans l’Océan Indien. C’est Aedes albopictus, présent à la Réunion de longue date, qui en est le vecteur présumé et qui a déjà été identifié comme vecteur responsable des épidémies de dengue de type 2 en 1977-1978 (200 000 cas) et de dengue de type 1 en 2004 (300 cas). D’autres épidémies se produisent à la Réunion en 2009 et 2010, à Mayotte en 2005, puis dans les départements français d’Amérique en 2014.
Des cas autochtones sont enregistrés en Floride en 2014, puis en Guyane, Venezuela, Colombie, etc. renforçant les craintes d’une épidémie capable de s’étendre à l’ensemble du continent américain. En Europe, les premiers foyers sont identifiés en 2007, en Italie. Des cas de chikungunya autochtones (acquis sur place et non importés) ont été détectés en France en 2010 dans le Var, puis en 2014 et 2017.
D’après une étude de l’institut Pasteur parue dans le Journal of Travel Medicine, le moustique tigre peut acquérir la capacité de transmettre le virus du chikungunya avec la même efficacité à 20°C qu’à 28°C. «Le chikungunya risque donc de poursuivre son expansion dans les zones où s’implante le moustique tigre. En l’absence de vaccins et de traitements, il pourrait devenir un problème de santé publique dans un plus grand nombre de pays des régions à climat tempéré», indique Anna-Bella-Failloux qui a participé à cette étude (lire son article sur la lutte contre les arboviroses).
Les réservoirs
En période épidémique, c’est l’homme qui sert de réservoir de virus. Celui-ci ne fait pas de distinction d’âge, genre ou classe sociale. Hors période d’épidémie humaine, ce sont essentiellement des singes, mais également des rongeurs, oiseaux, et autres vertébrés mal identifiés qui constituent le réservoir, en un cycle sauvage moustique-animal-moustique. Des épizootiesEpizootie Épidémie qui frappe les animaux. se produisent chez les singes, lorsqu’une majorité d’animaux ne sont pas ou plus immunisés. Ces derniers développent une forte virémie, mais pas de maladie clinique apparente, du moins parmi les singes verts, chimpanzés et macaques d’Asie. (Lire l’article de Gilles Pialoux)
Symptômes
La maladie se manifeste après une incubation de 4 à 7 jours en moyenne. Elle est asymptomatique dans 10 à 40 % des cas.
Le cas échéant, une fièvre élevée (> 38,5 °C) survient brutalement, accompagnée de maux de tête, de douleurs articulaires invalidantes, qui peuvent être intenses, touchant principalement les extrémités des membres. D’autres symptômes peuvent être associés, telle une conjonctivite, une éruption cutanée, des nausées.
L’évolution peut être rapidement favorable, si le malade répond bien au traitement symptomatique. Cependant, la maladie peut aussi évoluer vers une phase chronique marquée par des douleurs articulaires persistantes et incapacitantes. Selon les études, des douleurs articulaires persistent plusieurs mois chez 13 à 70 % des patients.
L’épidémie de la Réunion a surpris par son émergence inattendue, sa magnitude et par la survenue de formes cliniques rarement ou jamais décrites auparavant, notamment des formes sévères, des formes avec atteinte neurologique centrale, cytolyses hépatiques (destruction des cellules du foie), lymphopénie profonde (diminution de certains globules blancs, les lymphocytes B et T), des formes dermatologiques graves, des formes mortelles, ainsi que des formes néonatales. Sans compter des syndromes post infectieux articulaires durables.
Le diagnostic de l’infection par le virus chikungunya est réalisé par des techniques qui peuvent être directes (détection du virus par culture ou de son génome par PCR) ou indirectes (détection d’anticorps par sérologie). La PCRPCR "Polymerase Chain Reaction" en anglais ou réaction en chaîne par polymérase en français. Il s'agit d'une méthode de biologie moléculaire d'amplification d'ADN in vitro (concentration et amplification génique par réaction de polymérisation en chaîne), utilisée dans les tests de dépistage. est utile en phase initiale virémique (J0-J7) ; la sérologieSérologie Étude des sérums pour déterminer la présence d’anticorps dirigés contre des antigènes. qui utilise une gamme technique classique (inhibition de l’hémagglutination, fixation du complément, immuno-fluorescence, Elisa) est de pratique plus aisée. Les IgM sont mises en évidence par un prélèvement à partir du 5ᵉ jour, et persistent plusieurs semaines à 3 mois, les IgG le sont par deux prélèvements (phase aiguë et convalescence), et persistent pendant des années.
Traitement et vaccin
En l’absence de traitement curatif, le vaccin contre le CHIKV est listé comme une priorité pour la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (Cepi, Coalition for Epidemic Preparedness Innovations). En 2018, l’OMS l’a ajouté à la liste des priorités de recherche et de développement. Notons que la CHK est sur la liste des échecs de… l’hydroxychloroquine (HCQ). Certaines études ont même montré que l’HCQ pouvait aggraver les symptômes.
Plusieurs vaccins sont en cours de développement, dont l’un de la biotech franco-autrichienne Valvena, qui sera examiné par la Food and Drug Administration (FDA) fin novembre 2023. Un autre candidat vaccin à particule pseudo-virale, PXVX0317 de la société Bavarian Nordic, est testé dans un essai de phase 3…
Surveillance
En France, les autorités ont ajouté le chikungunya à la liste des 37 maladies à déclaration obligatoire sur l’ensemble du territoire métropolitain et toute l’année. Le dispositif de surveillance épidémiologique du chikungunya est adapté aux différentes situations épidémiologiques et au risque vectoriel en France métropolitaine et dans les départements d’outre-mer (voir ce dispositif sur le site de Santé publique France). Il s’inscrit dans les dispositifs de lutte contre les arbovirosesArbovirose Les arboviroses sont des maladies virales dues à des arbovirus transmis obligatoirement par un vecteur arthropode (moustique, moucheron piqueur, tique) à des hôtes vertébrés (mammifères, oiseaux), d’où leur nom adapté de l’anglais : ARthropod-BOrne virus.
Au 4 août 2023, 5 cas importés de chikungunya sont relevés par Santé publique France.
En l’absence de vaccin, les seules mesures de prévention concernent la protection individuelle contre les piqûres de moustiques et la lutte antivectorielle. Cette dernière est en tous points superposable à celle appliquée à la dengue et qui a fait la preuve de son efficacité relative dans de nombreux pays et situations dont à La Réunion : ralentir leur reproduction en détruisant les gîtes larvaires les plus évidents (dessous de pots, déchets, gouttières, piscines résiduelles, troncs d’arbres). Cependant, il s’agit d’une lutte permanente, coûteuse, mobilisant un grand nombre de personnels, et qui n’est pas toujours bien acceptée par des populations dont la collaboration est pourtant indispensable.
Individuellement, il faut se protéger contre les piqûres de moustique (vêtements longs, répulsifs cutanés, moustiquaires). Les moustiquaires de lit ne protègent guère contre les piqûres diurnes de Aedes. Elles sont cependant à recommander aux enfants, malades et personnes âgées qui font la sieste ou restent alités dans la journée. Elles le sont aussi à l’hôpital chez les hospitalisés virémiques pour réduire la transmission homme-moustique et pour éviter la transmission inverse moustique-homme. Le plan adopté à la Réunion contre Aedes albopictus a associé les services publics (suppression des gîtes connus, lutte adulticide préventive, traitement autour des cas) et la communauté, encouragée par les pouvoirs publics (traitements péri-domestiques, traitements des cimetières, information grand public …).