CROI 2016 — La CROI sous le risque de la maladie VIH chronique

Gilles Pialoux est à la CROI, la conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes, qui se tient cette année encore à Boston, du 22 au 25 février. 

Comme de coutume, c’est dans l’avion que se débute une bonne, une vraie CROICROI «Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections», la Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes annuelle où sont présentés les dernières et plus importantes décision scientifiques dans le champs de la recherche sur le VIH. digne de ce nom. Non pas tant en conversant avec le personnel navigant de comment mieux contrôler son vis-à-vis, ou des compétences de Paolo Basso, meilleur sommelier du Monde 2013, qui permettent d’effacer la distance Paris-CROI sur Air France; pas même en échangeant avec ceux-là des pathologies émergentes qui submergent médiatiquement des infections dûment morbides mais restées dans l’ombre (à noter qu’Éric Caumes est en photo pleine page du numéro de L’Express disponible en cabine, en point d’orgue d’une interview érudite sur la menace Zika —absente du programme—, où il est, fort à propos, question du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. comme modèle viral). Non pas. Le voyage-aller est l’occasion de tester ses attentes, d’entrevoir ce qu’on en dira aux patients dés le retour, d’éplucher le programme en PDF le stabilo à la main, ses propres expériences en sourdine. Et de sécher ses frustrations en termes d’abstracts refusés (surtout cette année), de laboratoires recalés (exceptés le sponsoring Platinum, gold ou additionnal support), d’études françaises, européennes ou africaines minorées, des sciences sociales oubliées et d’invités laissés pour compte. 

Une CROI de plus en plus repliée sur elle-même

Impossible de discerner combien la campagne pour les investitures républicaines et démocrates en cours a pesé sur le programme de cette XXIIIème CROI. Il n’empêche, les injonctions ou délires protectionnistes d’un Donald Trump1«Il faut empêcher les patients atteints par Ebola d’entrer aux Etats-Unis. Soignez-les, très bien, mais là-bas. Les Etats-Unis ont assez de problèmes!». D.Trump. 1er Aout 2014 sur Twitter. semblent apparaitre en filigrane du programme de cette CROI 2016. Des sessions entières «100% made in US», de la PrepPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. à la PTME, en passant par le poussif modèle «cure». Difficile d’oublier que nous sommes en terre US et à la conférence US, pour et avec les US. Avec çà et là, un ou deux chinois en guise de cousins(#969,#970), comme le chantait Jacques Brel. Sans compter un goût, plus marqué encore cette année, pour l’effet titre. A l’instar du «Where are the HIV hot spots?», «Expanding the toolbox for prevention», ou bien «Are we clothing the gap?» concernant le linkage of care, où l’Amérique de Obama fait moins bien que la Côte d’Ivoire et le Cameroun: moins de 28% d’américains en charge viraleCharge virale La charge virale plasmatique est le nombre de particules virales contenues dans un échantillon de sang ou autre contenant (salive, LCR, sperme..). Pour le VIH, la charge virale est utilisée comme marqueur afin de suivre la progression de la maladie et mesurer l’efficacité des traitements. Le niveau de charge virale, mais plus encore le taux de CD4, participent à la décision de traitement par les antirétroviraux. contrôlée au dernier pointage de la Carder Cascade.

Certains scientifiques américains, ou installés aux Etats-Unis, se plaignent de cette dérive clanique des organisateurs de la CROI. Une conférence pourtant mis en péril, à la fois par la fuite de certains laboratoires pharmaceutiques génés par la gestion des conflits d’intêtets, mais aussi par la restriction des problématiques spécifiquement VIH si l’on exclut, au Nord, le champ médical de la prévention, le TasPTasp «Treatement as Prevention», le traitement comme prévention. La base du Tasp a été établie en 2000 avec la publication de l’étude Quinn dans le New England Journal of Medicine, portant sur une cohorte de couples hétérosexuels sérodifférents en Ouganda, qui conclut que «la charge virale est le prédicteur majeur du risque de transmission hétérosexuel du VIH1 et que la transmission est rare chez les personnes chez lesquelles le niveau de charge virale est inférieur à 1 500 copies/mL». Cette observation a été, avec d’autres, traduite en conseil préventif par la Commission suisse du sida, le fameux «Swiss statement». En France en 2010, 86 % des personnes prises en charge ont une CV indétectable, et 94 % une CV de moins de 500 copies. Ce ne sont pas tant les personnes séropositives dépistées et traitées qui transmettent le VIH mais eux et celles qui ignorent leur statut ( entre 30 000 et 50 000 en France). et l’inflammation chronique associée à la problématique des réservoirs. Faut savoir que cette CROI, outre son américano-centrisme, a mis en place un sytéme de filtre des incriptions quelque peu paranoïaque. On y chasse, jusque par relance mail ou téléphonique, le médecin de laboratoire, ou de ville, et il faut montrer sa motivation, même si on y est inscrit depuis plus de 20 ans. Une adresse mail professionnelle est exigée. Impossible de ne pas être hébérgé dans un des hotels choisis par le Comité. Et si d’aventure, vous caressiez le désir d’être hébérgé par l’autochtone, votre inscription est simplement refusée.

L’afrique vue par le prisme de l’anglophonie

Et puis, comme il est forcement question de la représentativité francophone dès le vol-aller, force est de constater que la France s’affaiblit à la CROI. L’Afrique francophone, aussi. Même si l’ANRS y lutte à armes inégales avec le NIH. Beaucoup d’abstracts refusés (49 % d’acceptation au total), peu de français à l’oral pour cette cuvée 2016, peu d’études françaises en bonne place. Certaines études mises à l’écart, à l’image de la phase ouverte de l’étude ANRS-Ipergay2L’auteur de ces lignes est co-investigateur de l’essai ANRS-Ipergay postérisée. Si l’on exclut quelques un d’entre nous : Joseph Larmarange (Etude de Tasp ANRS 12249), Thierry Tiendrebeogo (leDEA West Africa) ou Antoine Jacquet (alcool, VHB et fibrose en Afrique de l’Ouest), sans oublier le doublé, mérité, de Karine Lacombe en invitation orale autour de l’hépatite C, trés à l’aise, ce lundi 22 Février 2016, sur la question du retraitement des patients VHC + de génotype 3 (#10) . Même le très esthétique belge, Gilles Van Culsem, de Médecins Sans Frontières, «héros» de la précédente CROI sur fond de crise Ebola, est relégué, cette année, en poster.

Reste que la CROI peut rivaliser avec la cérémonie des Oscars: pas un seul afro-américain parmi les 41 membres du Scientific Progam Committee. Quant à l’Afrique, elle représente, tractée par ses pays anglophones, 13,5% des abstracts acceptés, loin derrière l’Amérique du nord (54,9%) et l’Europe (22,7%). En témoigne la session (TD-5) dévolue au dépistage avec des communications de Tanzanie, Lesotho, Botswana, Mozambique, Ouganda.

Rechercher les nouvelles tendances ou entrevoir la fin de la grand-messe nord-américaine ?

Encore plus complexe de discerner dès l’avion et à l’issue de la journée de workshops qui précèdent la cérémonie d’ouverture, les lignes de force de cette CROI. Si l’on exclut, bien sûr, le flot de communications US autour de la PreP VIH (46 abstracts au total dont 3 français) et du VHC (38 abstracts). Citons néanmoins quelques «latebreakers» alléchantes: l’impact d’une immunisation Vacc-4x/GM-CSF et de la Romidepsine sur les reservoirs prémices à une appréhension du Cure, (#26LB) , les résultats à S32 de l’association injectable Carbotegravir+Rilpivirine dans l’essai Latte2 (#31LB), les premiers résulats de l’utilisation préventive des anneaux vaginaux à base de Dapivirine (# 109 et 110LB), l’éfficacité de 6 semaines de ledipasvir/sofosbuvir dans l’hépatite C aigüe (#154LB) etc. Sans compter une session entière dévolue au micriobiote, transplantable chez les personnes vivant avec le VIH (session #TD-8) dans le but de diminuer la translocation bactérienne, et donc un des facteurs induit d’inflammation chronique.

Parmi les autres tendances notables dés J1, que vih.org aura à cœur de décortiquer, citons: la notification et le dépistage des partenaires peur débattus en France, l’accès plus rapides aux traitements ARV élément clé de la cascade et du «Test & Treat», l’évaluation scientifique de la perception d‘être contaminant (#55 essai ACTGACTG Aids Clinical Trials Group, l’organisation américaine des centres de soins et d’essais cliniques sur le sida. https://actgnetwork.org/ A5257), les données de résistance aux DAA anti-VHC issues de la vrai vie (session TD-3), la chasse aux réservoirs du VIH…

Sans que l’on sache si toute cela suffit à faire une CROI, rendez-vous mondial annuel, même amputée d’une journée de conférence.

La Prep tous azimuts

En session de Workshops préalable à la séance d’ouverture, Sharon L Hiller (Los Angeles, Ca), Co-Chair de la conférence, a dressé une vision restrictive, mais prospective, de la recherche en matière de Prep. Où il semble que l’on soit déjà dans «l’après Truvada», au mois sur le plan de la recherche. En mettant l’accent sur deux populations cible de la Prep: les réceptifs et les jeunes. Les réceptifs parce qu’ils sont plus vulnérables, qu’ils peuvent moins contrôler l’usage du préservatif ou du TasP par le(s) partenaire(s) et que de fait ils ont besoin d’outils spécifiques de prévention. Et les jeunes parce qu’ils sont moins demandeurs de la médicalisation de la prévention, qu’ils sont moins observant et plus à risques sexuellement (risque x6 pour les moins de 20 ans de l’étude IPREX).

Parmi ces nouveaux outils, dont les premiers résultats sont présentés à la CROI 2016, figurent pêle-mêle: l’association maraviroc + tenofovir oral (HPTN 064), l’association de Prep oral + gel rectal de tenofovir (HPTN 017), les formes injectables (une injection tous les deux mois) de Carbotégravir et rilpivirine, les anneaux vaginaux (délitement sur un mois)  imprégné d’antirétroviral (Dapivirine ou tenofovir : études ASPIR/MTN 020, IPM 027, CONRAD) et de contraceptif (levonogestrol) ou d’antibiotiques contre les autres ISTIST Infections sexuellement transmissibles.  alors que des  anneaux de seconde génération à délitement sur 90 jours sont à l’étude (4 vaginal ring par an !). A voir aussi comme outils en devenir, les films vaginaux imprégnés d’anticorps anti VIH et anti HSV 2, les essais d’anticorps monoclonaux en préventif (VRC 01 dans les études HVTN 703/704 et HPTN 081/085), les microbicides rectaux, assez décevant jusque là dans l’attente des résultats de l’essai MTN 017 ce mercredi. Tout en précisant avec Sharon L Hiller que «la prévention doit aller vers les gens, notamment les jeunes qui ne veulent pas être médicalisés ou stigmatisés».

— En collaboration avec le E-journal (Edimark/la lettre de l’infectiologue) avec à la rédaction : jean-Philippe Madiou, Valérie Pourcher-Martinez, Laurence Morand-Joubert et Rodolphe Garaffo.