Que retenir de cette CROI 2023 une fois les écrans éteints ?

Tout retour de CROI – en présentiel, il s’entend– impose cette interrogation multi-facettes: que retenir de cette CROI 2023 après trois années de disette en zoom, que rapporter qui puisse avoir un intérêt pour notre pratique clinique, pour les recherches ou les staffs, quels souvenirs seront imprimés en nous?

«Nous trouvons de tout dans notre mémoire. Elle est une espèce de pharmacie, de laboratoire de chimie, où on met la main tantôt sur une drogue apaisante, tantôt sur un poison dangereux.» 

Marcel Proust

D’abord le contexte: le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. est toujours là 40 ans après la découverte du virus, les objectifs OMS ont pris du retard, les vihologues, pour beaucoup, ont vieilli mais l’Amérique de Biden est encore plus tolérante avec ses vieux; d’autres virus occupent l’espace du mpox au SARS-CoV-2, sans que l’on sache si on a bien tiré les leçons de la pandémie sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome.   Et puis il y a les chiffres de fréquentation :  3499 personnes inscrites, c’est moins qu’avant le CovidCovid-19 Une maladie à coronavirus, parfois désignée covid (d'après l'acronyme anglais de coronavirus disease) est une maladie causée par un coronavirus (CoV). L'expression peut faire référence aux maladies suivantes : le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) causé par le virus SARS-CoV, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) causé par le virus MERS-CoV, la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) causée par le virus SARS-CoV-2. mais Seattle n’est pas la ville la plus attractive des États-Unis avec son centre-ville qui se vide, on dirait parfois un downtown fantôme. Macy’s, Abercrombie & Fitch ou Banana Republic sont fermés, ou déplacés. Et on a vu beaucoup de désespérance parmi les congressistes. Parmi ces 3500 participants, 2947 le sont in person et 552 en virtuel, 72 pays sont représentés, 40% des inscrits viennent de l’extérieur des États-Unis, et 959 y venaient pour la première fois. Peu de Français présents, c’est une évidence, moins de 50 à vue de congressistes. Peu de communications ou posters français en miroir de cette absence, à part les études de l’ANRS-MIE (3 communications orales, avec Doxyvac x2 et Promise, et 20 posters) sans parler de l’omniprésence classieuse1Néologisme attribué à Serge Gainsbourg, formé sur l’adjectif « classe », auquel s’ajoute le suffixe « -ieux », qui peut évoquer l’adjectif « précieux ». du Pr Jean-Michel Molina.    

Retiendra-t-on l’omniprésence de la recherche en santé sexuelle, de la PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. futuriste à la PeP antibiotiques des ISTIST Infections sexuellement transmissibles.  du microbiote aux diffuseurs d’antirétroviraux long acting qui sortent un peu plus les maladies vénériennes de la naphtaline? Mais aussi les variations dans le violet capillaire de Chloé Orkin (Queen Mary University of London) dans sa très élégante présentation des infections mpox chez 382 PVVIHPVVIH Personne vivant avec le VIH et immunodéprimées, dont 2 formes disséminées (# 173)? Inévitablement la CROICROI «Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections», la Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes annuelle où sont présentés les dernières et plus importantes décision scientifiques dans le champs de la recherche sur le VIH. s’est ouverte aux pathologies émergentes: après le VHC, ce fut au tour du mpox et du SARS-CoV-2.

Retiendrais-je pour ma part le nombre de fois où des collègues bien intentionnés m’ont demandé quand je prendrai ma retraite2pas maintenant ! (N=4 dont deux en conflit d’intérêts sur le sujet)? Ou bien la session iconoclaste sur la recherche vaccinale anti-VIH de mardi avec dix minutes pour expliquer que l’énorme essai de Phase III HVTN 706/ HPX3002/Mosaico est un échec total (combien de millions de $ engloutis?) et qu’avec Lawrence Corey (Seattle), on comprend que toute cette recherche est repartie à zéro notamment dans le sillage de la réussite des vaccins ARN anti-covid? 

L’état de la ville est une interrogation de plus. Une ville où l’on construit partout  autour du palais des congrès flambant neuf alors que Seattle traverse une crise du logement sans précédent (dans les 10 dernières années, la valeur médiane d’une maison y a bondi de 80%, alors que le revenu médian de ses habitants n’a augmenté que de 55%) et qu’il n’y a jamais eu autant de personnes qui dorment dans la rue ou dans les parcs de la ville. Cette paupérisation influence l’épidémiologie du VIH dans la ville avec une augmentation d’incidence chez les homeless, les usagers de drogues et principalement les femmes en situation de vulnérabilité. L’effet post-Covid se fait sentir sur l’économie locale avec les GAFAM (Amazon, Microsoft, etc.) qui ont leur siège dans la ville émeraude et qui, après avoir embauché à tour de bras durant la crise sanitaire qui leur a souri (954 000 personnes en 2021), licencient massivement. 

Retiendra-t-on que pendant que les congressistes tentaient de percevoir comment atteindre un jour les objectifs OMS du 95-95-95 en matière de lutte contre le VIH, compte tenu du retard pris dans le déploiement des nouveaux outils de prévention, principalement chez les non-HSH, et de l’effet délétère de la crise sanitaire Covid, l’information en France était ailleurs? On y discutait de l’avis récent de la Haute autorité de Santé (HAS) sur la fin de la vaccination obligatoire des soignants contre le covid et de fait de la très politique réintégration des soignants non vaccinés (moins de 0,3% des 1,2 million d’agents). Sans compter le bruit fait autour du patient guéri de Düssedorf ou la science pour la science.

Mais de ce Covid en CROI 2023, retiendra-t-on l’étude assez rare de Rebecca Fielding-Miller (Université de San Diego, # 210) dont devraient s’inspirer bien des décideurs politiques? L’étude de la corrélation entre le port du masque à l’école et la circulation du SARS-CoV-2 dans les eaux usées à San Diego (CA) a démontré que la probabilité d’un prélèvement positif au SARS-CoV-2 des eaux usées diminuait de moitié (ORa 0,49; CI: 0,27-0,90) pour chaque augmentation de 10% du port du masque (parents, enseignants et enfants). Au passage le chairman de la CROI, Robert T. Scholley, en session d’ouverture nous avait vanté l’arrivée des «sciences sociales et cognitives» à la CROI3«Je savais déjà que la question du SIDA ne pouvait pas être plus longtemps confinée comme question médicale.» Daniel Defert (1937-2023), le 29/09/1984 ; lettre constitutive de la création de l’association AIDES. Ce n’est pas évident en épluchant le programme. L’année prochaine peut-être à Denver? 

On retiendra à l’évidence la poussée de Cabo/Rilpi en thérapeutique et en préventif avec aussi ces interrogations sur l’avènement d’un nouveau syndrome de LEVI. Celle du Lenacapavir avec ou sans anticorps neutralisants à large spectre, molécule prometteuse qui cherche partenaire particulier. Comme dans la chanson. 

Enfin, comment ne pas retenir cette dernière session, et première du genre à la CROI, sur «la communication scientifique à l’heure de désinformation» (S09), avec trois communications de haut vol dans le sillage de l’explosion des fake news durant la crise covid. Rappelons ici, en léger décalage, un sondage Ifop-Reboot-Fondation Jean-Jaurès d’octobre 2022 qui révélait que 17% des 18-24 ans considèrent que «la science apporte plus de mal que de bien» —ils étaient seulement 6% en 1972— et 41% «autant de bien que de mal»… Plus encore, 17% de la génération Z pense «qu’il est possible que la terre soit plate» et 27% que «les êtres humains ne sont pas le fruit d’une longue évolution». Parmi les facteurs de risques de scepticisme authentifiés figurent le temps passé sur des sites de microblogging comme Twitter ou autres réseaux sociaux (TikTok, Telegram, etc.); Si, modestement, ce e-journal drivé par la Lettre de l’Infectiologue, avec le soutien institutionnel de ViihHeathcare, peut avoir contribué un tant soit peu à une information de qualité, c’est déjà un début de satisfaction.

Cet article et ces illustrations ont été initialement publié dans le e-journal de la Lettre de l’infectiologue consacré à la CROI 2023.