Cet article a été publié dans Transcriptases n°149 Spécial Washington 2012, réalisé en partenariat avec l’ANRS.
En ce dernier jour d’une grande conférence internationale d’avant-garde sur le sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. et après deux ans de travail avec un leader africain pour qui j’ai beaucoup d’admiration, le professeur Elly Katabira, c’est maintenant à mon tour de m’adresser à vous en tant que présidente de l’IAS.
La Conférence internationale sur le sida de 2012 a mis en valeur le contenu scientifique de haut niveau et le «leadership» mondial et local. Les plénières ont été une source d’inspiration, et l’ensemble du programme permet à tous les délégués de retourner au travail la semaine prochaine avec une énergie renouvelée et de nouvelles collaborations. Nous avons également mis en lumière des questions controversées.
Aujourd’hui, je voudrais me concentrer sur ce que je pense que nous pouvons réaliser dans les deux prochaines années.
Je suis une scientifique.
Comme la plupart de mes collègues, ma carrière a été guidée par l’idée unique de contribuer à l’amélioration des connaissances sur la santé et en particulier dans le domaine du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. au cours des trente dernières années. Je crois que la mise en oeuvre des découvertes scientifiques, des outils et des meilleures pratiques à tous les niveaux de la riposte au VIH est le chemin à suivre pour en finir définitivement avec l’épidémie. Les découvertes scientifiques sont vaines si elles restent dans les revues et les tiroirs. En 2012, il est inacceptable que plus de 300000 bébés naissent infectés par le VIH alors que nous avons, depuis les années 1990, les moyens de prévenir la transmission mère-enfant. Il est inacceptable que les stratégies de réduction des risques, y compris les programmes d’échange de seringues, ne soient pas appliquées partout quand on sait qu’elles sont parmi les interventions les plus efficaces et les plus valables scientifiquement pour prévenir l’infection VIH chez les consommateurs de drogues injectables. Il est inacceptable que les droits de propriété intellectuelle entravent l’accès aux médicaments abordables de haute qualité et aux outils de diagnostic dans les pays à ressources limitées.
Cela doit cesser.
Les personnes vivant avec le VIH s’attendent à bénéficier des preuves et des outils que la science fournit. Nous devons tous nous unir pour s’assurer que leurs besoins se traduisent en engagements des dirigeants politiques et des décideurs.
Je suis une militante.
En 2008, j’ai eu le grand privilège de recevoir le prix Nobel de médecine. Ce prix ne m’appartient pas. Il appartient à chacun d’entre nous. C’est la reconnaissance du mouvement unique de solidarité et d’engagement inlassable dans cette communauté qui s’est battue tous les jours au cours des trente dernières années pour une société meilleure, dans laquelle tous les citoyens sont égaux indépendamment de leur statut sérologique, de la couleur de leur peau, de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur identité, de leurs croyances religieuses ou de leurs comportements. Toute personne, loi, règle ou coutume qui nous dit le contraire a simplement tort.
En tant que lauréat du prix Nobel, il est de mon devoir de mettre tout mon coeur dans la défense des valeurs que nous partageons tous ici : l’égalité d’accès à la prévention, au traitement et aux soins, la fin de la stigmatisation, de la discrimination, de la violence, des politiques répressives, où qu’elles soient.
Pouvons-nous accepter que quelqu’un puisse être écarté des services de santé parce qu’il est un homme qui a des relations sexuelles avec d’autres hommes, parce qu’elle est une femme, parce qu’il ou elle est une travailleuse du sexe, une personne transgenre ou un usager de drogue ? Non.
Pouvons-nous accepter qu’une personne vivant avec le VIH, un usager de drogue ou une travailleuse du sexe se voit refuser l’entrée ou se fasse expulser d’un territoire ? Non.
Je vais continuer à défendre ces valeurs comme j’ai essayé de le faire toute ma vie, à tous les niveaux de responsabilité, avec les dirigeants politiques et les décideurs, locaux comme internationaux.
Je suis une femme.
Dans les années 1980, quand l’épidémie a explosé violemment, les premières campagnes réussies d’information, d’éducation et de prévention en Afrique ont été organisées par des femmes courageuses. Depuis lors, les femmes ont assumé un fardeau injuste. Lutter contre les normes sociales nuisibles, promouvoir l’égalité des sexes et favoriser l’autonomisation des femmes est essentiel pour renforcer la réponse au VIH, pour les femmes et les filles mais aussi pour les familles. Nous devons également tenir compte davantage des femmes dans la recherche en ce qui concerne les questions spécifiques liées à l’infection par le VIH chez les femmes et accroître leur représentation dans les essais cliniques.
En effet, les femmes occupent une place importante dans les activités de la Société internationale sur le sida (IAS). La professeure Adeeba Kamarulzaman sera la coprésidente de la conférence de l’IAS 2013 et la professeure Sharon Lewin sera la coprésidente de l’IAS 2014. Nous disons ce que nous avons sur le coeur et nous serons entendues.
Améliorer la prévention, les soins et le traitement est au coeur de la vision et de la mission de l’IAS. La coorganisation de la Conférence internationale sur le sida est l’un des outils les plus puissants dont nous disposons pour atteindre ces objectifs cruciaux sur le terrain. Les priorités de l’IAS en matière de recherche d’un traitement curatif, de mise en oeuvre du TasPTasp «Treatement as Prevention», le traitement comme prévention. La base du Tasp a été établie en 2000 avec la publication de l’étude Quinn dans le New England Journal of Medicine, portant sur une cohorte de couples hétérosexuels sérodifférents en Ouganda, qui conclut que «la charge virale est le prédicteur majeur du risque de transmission hétérosexuel du VIH1 et que la transmission est rare chez les personnes chez lesquelles le niveau de charge virale est inférieur à 1 500 copies/mL». Cette observation a été, avec d’autres, traduite en conseil préventif par la Commission suisse du sida, le fameux «Swiss statement». En France en 2010, 86 % des personnes prises en charge ont une CV indétectable, et 94 % une CV de moins de 500 copies. Ce ne sont pas tant les personnes séropositives dépistées et traitées qui transmettent le VIH mais eux et celles qui ignorent leur statut ( entre 30 000 et 50 000 en France). (treatment as prevention), de l’élimination de la stigmatisation et de la discrimination, de l’inclusion de la recherche sociale et politique, ou des droits de l’homme pour les professionnels du VIH et de l’efficacité et du renforcement des programmes de lutte contre le VIH doivent tous être reflétés dans la Conférence internationale sur le sida, et je m’engage à ce que ce soit le cas au cours de l’IAS 2014.
Nous venons de vivre une semaine très excitante qui met en valeur la contribution remarquable de milliers de personnes, ainsi que l’engagement des pays à mettre fin à l’épidémie de sida. Mais des échéances importantes se profilent devant nous. Il y a un an, les chefs d’Etats et de gouvernements s’engageaient à ce que 15 millions de personnes soient sous traitement d’ici 2015. L’Onusida a des objectifs forts sous la «stratégie de trois zéros». Nous savons tous qu’une génération sans sida est à portée de main. Ces objectifs doivent être atteints. Nous n’accepterons pas de retour en arrière.
Dans son message vidéo diffusé pendant la séance plénière de lundi, le président français, François Hollande, a confirmé que la France restera très engagée dans le combat contre le VIH. Il a également annoncé la création d’une taxe sur les transactions financières dès le 1er août, un mécanisme novateur pour financer la solidarité. Nous devrions tous appeler d’autres nations, en particulier les membres du G20, à suivre le même chemin et à assurer le financement de la santé mondiale et le développement.
Mais l’argent n’est pas le seul défi que nous devons surmonter pour mettre fin à l’épidémie. Nous devons combler le fossé qui existe entre la science opérationnelle et sa mise en oeuvre dans les pays à ressources limitées. Nous devons construire des systèmes de santé durables, nous devons former des travailleurs professionnels de santé et tendre la main à tous les patients. Nous devons ouvrir nos esprits à d’autres et travailler de concert avec les scientifiques, les prestataires de soins de santé, les communautés et les décideurs en dehors du domaine du VIH. Nous devons agir tous ensemble, et être plus rassembleurs que nous ne l’avons été jusqu’à présent. Nous devons faire appel à la nouvelle génération, aux jeunes femmes et aux jeunes hommes, aux jeunes militants, aux jeunes vivant avec le VIH, aux jeunes scientifiques, aux jeunes prestataires de soins et aux jeunes leaders. Vous êtes la génération qui nous permettra de mettre fin un jour à cette épidémie. J’ai vu beaucoup d’entre vous ces derniers jours lors de cette conférence. Nous avons besoin de vous pour être au front avec nous, si nous voulons atteindre ces objectifs.
Oui, nous pouvons mettre fin à l’épidémie, si nous sommes tous ensemble!
Cela permettra non seulement d’inverser la tendance de l’épidémie, mais ça profitera à tous les hommes, femmes et enfants partout dans le monde, quelle que soit la maladie dont ils souffrent. Nous nous battons pour le droit fondamental, non négociable, à la santé pour tous !
Ceci est notre engagement, notre responsabilité. Je vous remercie, et rendez-vous à Melbourne en 2014.