Il est toujours intéressant dans ces conférences internationales sur le VIH/sida, même américano-centrées, de quitter un peu le chemin des études randomisées pour aller voir un peu ce qui se passe dans la «vraie vie». C’est le cas par exemple avec les posters du CDC sur l’usage de la PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. aux États-Unis, avec ses déterminants, ses iniquités, ses singularités populationnelles et les efforts déployés pour les gommer. Si la France est pionnière sur bien des aspects avec les essais ANRS-MIE (Ipergay, Prevenir, DoxyVac), l’Amérique a pris de l’avance et elle a pour elle le poids du nombre.
Rappelons que plusieurs formes de PrEP ont été approuvés par la FDA: le fumarate de ténofovir disoproxil et emtricitabine (TDF/FTC) en juillet 2012, le ténofovir alafénamide et emtricitabine (TAF/FTC) en octobre 2019, le TDF/FTC générique en juillet 2020 et le cabotégravir injectable à action prolongée (CAB-LA) en décembre 2021.
Le CDC a analysé une base de données nationale (IQVIA) en utilisant un algorithme pour identifier les personnes à qui a été prescrit la PrEP et non un traitement ou un TPETPE Traitement (ou prophylaxie) post-exposition. Consiste à prescrire à une personne exposée à l'infection par le VIH, lors d’un accident d’exposition professionnel ou sexuel, une multithérapie d'antirétroviraux, de préférence dans les 4h qui suivent l'accident. (TAF/FTC, TDF/FTC générique, CAB-LA) entre janvier 2013 à juin 2022. Parmi les personnes ayant une première prescription de CAB-LA de janvier à mai 2022, les chercheurs ont été estimé la proportion ayant reçu une seconde ordonnance un mois plus tard. Résultats: le nombre de personnes à qui a été prescrit du TDF/FTC a augmenté de janvier 2013 à octobre 2020, puis a nettement diminué chaque mois après la mise à disposition du TAF/FTC et du TDF/FTC générique. A partir de décembre 2021, le nombre de personnes sous TDF/FTC génériqué a dépassé le nombre prescrit de TAF/FTC chaque mois. En juin 2022, 177 293 personnes se sont vu prescrire la PrEP; 89 654 (50,6 %) se sont vu prescrire du TDF/FTC en générique et 80 754 (45,5 %) du TAF/FTC (non disponible en France) ; seulement 804 (0,5 %) se sont vu prescrire du CAB-LA. De janvier à mai 2022, parmi 800 personnes ayant été en PrEP sous CAB-LA, 633 (79,1%) ont reçu une prescription pour une deuxième dose. Les femmes représentaient 11,5 % des personnes sous PrEP injectable par CAB-LA par rapport à 6,4 % des personnes ayant reçu une PrEP orale.
Concernant les femmes précisément, aux États-Unis (# 34) elles ne représentaient en 2020 que 6 % (11 974) des mises sous PrEP alors qu’en regard elles pesaient pour 18 % (5347) des nouvelles infections VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. ! le Dr Jeanne Marrazzo (# 163) a présenté la plus grande étude18+ years pooled analysis: Adherence and HIV incidence in 6000 Women on F/TDF for PrEP, Marazzo J et al., abstr. 163, CROICROI «Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections», la Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes annuelle où sont présentés les dernières et plus importantes décision scientifiques dans le champs de la recherche sur le VIH. 2023 d’observance et d’incidence VIH chez les femmes sous PrEP orale par F/TDF. Huit ans d’analyses poolées pour plus de 6 000 femmes sous PrEP orale.
La conclusion en est que même sous un sous-groupe cette large étude montre une moindre adhérence (50%) des femmes à la PrEP orale d’où la nécessité de développer d’autres méthodes préventives telles que les anneaux vaginaux, les injectables les implants…
Aux États-Unis, toujours, mais la CROI n’a jamais été aussi recentrée sur ses ressortissants —combien de français présents? quelques dizaines?—, les afro-américains et les hispaniques (ou latinos) sont des populations avec une incidence élevée du VIH mais une faible couverture de la PrEP malgré des indications de PrEP évidentes. Les données de Medicaid aux Etats-Unis incluant la race/ethnicité sont très utiles pour comprendre. Ainsi le CDC s’est aussi penché sur les données des Centers for Medicare et Medicaid Services dans 50 États américains et le District de Columbia pour estimer le nombre de prescriptions de PrEP de 2015 à 2020 par sexe, groupe d’âge et origine ethnique. Le nombre de personnes auxquelles la PrEP a été prescrite y a augmenté dans toutes les populations, mais des disparités raciales/ethniques persistantes ont été observées et aggravée chez les hommes. Les femmes noires avaient une tendance similaire par rapport aux femmes blanches malgré des taux plus élevés de VIH diagnostiqués chez les femmes afro-américaines.
Les cas (rares) d’infection VIH sous PrEP injectable par cabotégravir aux États-Unis sont l’objet d’une attention particulière durant cette CROI. Ils ont même leur acronyme, LEVI, pour Long-acting Early Viral Inhibition syndrome (#160). Raisons de cette attention ? La difficulté du diagnostic car les tests Elisa de 4éme génération sont pris à défaut, le retard au diagnostic amplifié par le fait que le patient n’est vu que de manière espacée, l’émergence de résistance due à la poursuite de l’injection préventive faute de diagnostic en temps réel…etc. Les recommandations de la FDA prévoient de fait l’utilisation de la PCRPCR "Polymerase Chain Reaction" en anglais ou réaction en chaîne par polymérase en français. Il s'agit d'une méthode de biologie moléculaire d'amplification d'ADN in vitro (concentration et amplification génique par réaction de polymérisation en chaîne), utilisée dans les tests de dépistage. pour le diagnostic de ces infections VIH sous PrEP injectable. Susan H. Eshleman de l’équipe des essais HPTN 083 et 084 (#160) en a fixé la fréquence dans ces études 6 cas pour 2282 participants. Dressant au passage les différences entre l’infection VIH classique et la LEVI. Avec notamment un délai de 3 mois pour le diagnostic et de 9 mois pour l’obtention du génotype de résistance.
Et puis côté plus futuriste, on retiendra les analyses pharmacologiques d’un insert intra rectal chez 17 hommes et 6 femmes (# 164). L’objet novateur a la forme d’un suppositoire qui diffuse deux antirétroviraux, le TAF et l’elvitégravir. Données pharmacologiques encourageantes.
Plus futuriste encore et là nous sommes dans un modèle simien : l’implant ultra long acting d’islatravir (# 165) présenté par Alessandro Grattoni. Il se présente sous la forme d’un boitier implanté sous la peau de l’animal et que l’on peut remplir régulièrement du produit long acting. Ingénieux. A voir chez l’humain. C’est important l’humain …
Cet article et ces illustrations ont été initialement publié dans le e-journal de la Lettre de l’infectiologue consacré à la CROI 2023.