Pour autant, des stratégies thérapeutiques extrêmement complexes pourraient dans l’absolu permettre d’avancer vers la voie de la guérison (« cure ») avec un cas de guérison connu (le fameux «patient de Berlin»). La Pr Brigitte Autran (Pitié-Salpétrière, Paris) a fait une remarquable présentation qui a traité de ces différents aspects.
Les obstacles à l’éradication des réservoirs peuvent être regroupés dans une triade : intégration du virus dans les génomes des cellules CD4, réplication virale a minima avec réensemencement de nouvelles cellules CD4 et résidus d’inflammation immunitaire. Ces réservoirs du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. sont représentés à la fois par des lymphocytes T CD4 et par des cellules non lymphocytaires comme les cellules de la lignée macrophagique présents dans les sites sanctuaires. Il peut s’agir aussi de cellules infectées n’exprimant pas les antigènes viraux, extrêmement hétérogènes avec des durées de vie variées (de quelques jours à plusieurs années) ce qui explique le phénomène de latence. Des stratégies thérapeutiques offensives (répression de la transcription afin de lutter contre la latence post-intégration du VIH, ciblage de la répression) sont aujourd’hui envisagées, dirigées contre des mécanismes internes au noyau de la cellule afin de « purger » le génome.
L’étude des réservoirs a été très controversée alors qu’il est nécessaire de disposer de test consensuels et standardisés pour les essais cliniques. L’équipe de Christine Rouzioux a mis au point un test mesurant l’ADN-VIH total (à la fois non intégré ou intégré dans le génome de l’hôte) qui est aujourd’hui bien standardisé et permet d’étudier la cinétique d’établissement des réservoirs. Cette mesure de l’ADN-VIH est très bien corrélée à ce qui est observé dans les tissu muqueux (ADN-VIH rectal). L’essai OPTIPRIM a ainsi montré qu’au cours ou à la fin du 1er mois de contamination – Fiebig III), les cellules CD4 sont massivement infectées avec un seul clone de VIH. Les pics de réservoir sont principalement observés en primo-infectionPrimo-infection Premier contact d’un agent infectieux avec un organisme vivant. La primo-infection est un moment clé du diagnostic et de la prévention car les charges virales VIH observées durant cette période sont extrêmement élevées. C’est une période où la personne infectée par le VIH est très contaminante. Historiquement il a été démontré que ce qui a contribué, dans les années 80, à l’épidémie VIH dans certaines grandes villes américaines comme San Francisco, c’est non seulement les pratiques à risques mais aussi le fait que de nombreuses personnes se trouvaient au même moment au stade de primo-infection. alors qu’après 10 ans de traitement antirétroviral, les niveaux sont comparables à ceux observés pour les «elite controllers».
Existe-t-il des cas de « guérison » ? Le seul cas connu, celui du patient de Berlin, a été rappelé : il s’agit d’une procédure thérapeutique très lourde dans un contexte de leucémie myéloblastique où le patient a bénéficié de 2 greffes issues d’un donneur avec délétion delta 32 sur le gène codant pour le récepteur CCR5. D’autres tentatives de greffe de moelle osseuse n’ont pas permis d’aboutir à des cas de guérison.
Il existe en revanche plusieurs modèles de rémission : les « elite controllers » ou « long term non progressors » infectés depuis 10 à 30 ans, avec une CV inférieure à 500 copies/ml et/ou un niveau normal de CD4 et n’ayant jamais reçu de traitement. Ils ne représentent que moins de 0,5 % des patients et apparaissent génétiquement protégés (HLA-B57 ou B27) avec de fortes réponses T CD4 et CD8, des cellules T CD4 mémoire centrales normales et un faible niveau d’activation immune. Les « post treatment controllers » (VISCONTI) représentent environ 12 % des patients ayant reçu un traitement en primo-infection et contrôlant toujours leur VIH pour une médiane de 3,5 ans après arrêt du traitement de la primo-infection (5 ans). Ils ne présentent pas de fond génétique particulier et l’activation immune est faible. Ces résultats font penser qu’un traitement précoce serait susceptible de baisser le niveau des réservoirs avec la possibilité – chez certains patients – de parvenir à un arrêt thérapeutique programmé. Pour les patients à des stades plus tardifs de la maladie, de nouvelles stratégies sont à l’étude afin d’éradiquer les réservoirs : drogues anti-latence (inhibiteurs HDAC et HMT) permettant une purge des réservoirs dans les cellules quiescentes, vaccins ou anticorps thérapeutiques monoclonaux ciblant la réplication résiduelle ou les cellules purgées. Pour l’instant les essais ERAMUNE 1 et 2 (intensification + IL-7 ou vaccin VRC) de contrôle des réservoirs n’ont pas montré d’efficacité sur le contrôle des réservoirs, ni pour les essais ayant évalué le disulfiram ou le SAHA (inhibiteur HDAC de 1ère génération). Les résultats d’un inhibiteur de HDAC de 2ème génération, la romidepsine, ont été présentés au congrès de Melbourne l’été dernier et semblent encourageants.
En conclusion, une recherche très active continue à être menée sur les stratégies de rémission et de réduction des réservoirs même s’il s’agit de procédures extrêmement complexes. D’ores et déjà des pistes pour le futur sont imaginées au vu des modèles de rémission (guérison « fonctionnelle ») observés chez les « elite controllers » et les « post-treatment controllers ».
Un article réalisé pour Edimark à l’occasion des journées de la SFLS 2014, d’après la communication de B. Autran – Plénière 3.