ICONE 1 et 2, Intervention communautaire en vue d’éliminer le VHC parmi les usagers de drogues

En France, la prévalence de l’hépatite C chronique dans la population générale était de 0,3% en 2015. Néanmoins, il est bien établi que les personnes qui utilisent des drogues (PQUD) sont une population à risque de contracter cette infection, avec des taux de prévalence bien plus hauts. L’étude ICONE, présentée par son instigatrice principale, tend à recruter des usagers, par les pairs, afin de les amener vers le soin.

En France, la prévalencePrévalence Nombre de personnes atteintes par une infection ou autre maladie donnée dans une population déterminée. de l’hépatite C chronique dans la population générale était de 0,3% en 20151. Néanmoins, il est bien établi que les personnes qui utilisent des drogues (PQUD) sont une population à risque de contracter cette infection, avec des taux de prévalence bien plus hauts. Malgré l’avènement de nouveaux traitements antiviraux directs (AVD) permettant la guérison de l’infection dans plus de 95% des cas2 et l’indication de traiter tous les PQUD, l’accès au traitement anti-VHC dans ce groupe à risque reste faible. Actuellement, la description des usages de drogues à l’échelon local en France est réalisée via les dispositifs TREND qui se basent sur les données issues de consultations en centre d’addictologie.

Cela concerne donc une partie des usagers de drogues « visibles ». Or les PQUD constituent une population protéiforme difficile à atteindre avec les méthodes classiques. La prévalence de troubles psychiatriques au sein de la population des PQUD, en particulier les plus précaires, est forte avec au moins un trouble psychiatrique caractérisé constaté dans 50% à 80% des situations et l’existence de ces difficultés non-repérées et non-traitées est un facteur de moindre accès aux soins somatiques, en particulier aux soins du VHC3. Nous posons l’hypothèse qu’un recrutement innovant associé à une intervention à base communautaire permettrait d’améliorer le dépistage et la mise en traitement indispensables pour l’élimination du VHC chez les PQUD. Cette approche communautaire a d’abord été testée dans la ville de Montpellier (ICONE 1), puis a été élaborée dans les villes de Paris, Marseille, Lyon et Fort-de-France (ICONE 2). La technique innovante de recrutement est basée sur la méthode dite de RDS (Respondent Driven Sampling), créée en 1997 par le sociologue Douglas Heckathorn4. Cette technique de recrutement de type « boule de neige » part d’un groupe de participants ou « graines », sélectionnés de façon non aléatoire au sein de la population cible. Chaque graine ayant participé à l’étude est indemnisée pour sa participation et recrute un nombre déterminé de pairs éligibles au sein de son réseau social via des coupons, recrutement pour lequel il est également indemnisé.

Les participants d’une enquête RDS sont accueillis dans un lieu fixe et neutre qui facilite la conduite d’examens, les entretiens, les soins, afin d’évaluer la nécessité d’un traitement et d’initier le traitement anti-VHC rapidement, ce qui est un avantage reconnu5. Enfin, l’utilisation de cette technique de recrutement est couplée à une implication de pairs usagers employés sur la structure de RDS. L’ensemble des démarches (accueil, questionnaire, examens) est ainsi facilité par la présence de pairs employés par la structure.

En pratique : dans chaque ville où ICONE 1 et 2 ont été implémentées, des « graines » ont été choisies avec la participation des différents intervenants dans le champ des addictions de la ville et de l’accompagnement des personnes usagères en situation de précarité. Ces personnes ayant reçu un premier coupon se rendent sur le site dès son ouverture et sont accompagnées tout au long de leur passage dans la structure par des pairs employés et des soignants. Ils répondent à des questionnaires en face à face avec des pairs employés et sont testés par TROD pour le VHC, le VHB et le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. En cas de positivité du TROD VHC, une charge viraleCharge virale La charge virale plasmatique est le nombre de particules virales contenues dans un échantillon de sang ou autre contenant (salive, LCR, sperme..). Pour le VIH, la charge virale est utilisée comme marqueur afin de suivre la progression de la maladie et mesurer l’efficacité des traitements. Le niveau de charge virale, mais plus encore le taux de CD4, participent à la décision de traitement par les antirétroviraux. est faite sur site (GenExpert Cepheid). Si cette charge est positive, ils rencontrent un médecin qui effectue un bilan pré thérapeutique (bilan sanguin, fibroscan) et instaure d’emblée le traitement contre l’hépatite C si les droits à la Sécurité sociale sont ouverts. L’accompagnement à la suite dans des structures pérennes de soins est encouragé et soutenu par les pairs employés d’ICONE.

Des premiers résultats encourageants

Les résultats d’ICONE 1 sur Montpellier ont été publiés 6. Durant les 11 semaines d’ouverture du site de RDS, 634 personnes ont été accueillies et 554 inclues dans l’étude, 79% étaient des hommes, l’âge médian était de 39 ans, 29 nationalités étaient représentées, dont une majorité de française. Le lieu de vie était jugé comme précaire ou provisoire pour 75% des participants, et 14% n’avaient pas de droits ouverts en France. Seuls 33% d’entre eux avaient consulté au moins une fois dans l’année précédente dans une structure d’addictologie. D’emblée, ces données confirment que cette technique de recrutement permet d’atteindre des personnes éloignées du soin en situation de précarité. La majorité des participants étaient des polyconsommateurs, les substances les plus utilisées étaient la cocaïne et les opiacés dont les médicaments de substitution mésusés. En moyenne, ils consommaient 4,7 substances en plus de l’alcool, du tabac et/ou du cannabis (Tableau 1).

Tableau 1, substances consommées par les participants de la RDS d’Icone 1

Selon le test AUDIT-C, plus de la moitié avait une consommation d’alcool avec de probables mécanismes de dépendance. En ce qui concerne l’injection de substances, 35 % des personnes étaient concernées, seules 66% fréquentaient un Caarud afin d’accéder à la délivrance du matériel et à l’accompagnement de l’injection. Au sujet de l’hépatite C, 32,7% avaient un TROD VHC positif et 8,8% (49 personnes) une hépatite chronique virale C (charge virale positive). Ces personnes étaient plus fréquemment des injecteurs. Grâce à l’accompagnement des pairs usagers employés par ICONE, 76% ont pu être mis en traitement et 55 % ont été guéris (figure ci-dessous).

Figure 2, cascade de soins VHC des participants d’Icone 1

À la suite de cette étude preuve de concept, l’idée a été d’implémenter cette technique sur le territoire français, d’envisager une expérimentation selon l’article 51 et de créer une « boîte à outils ICONE » afin que d’autres équipes s’approprient cette technique efficace de recrutement et d’accompagnement des PQUD cachés du soin. ICONE 2 a été mise en place grâce à l’obtention de financements par l’ANRS, l’IRESP et les ARS locales. Ainsi, Paris, Marseille, Lyon et Fort-de-France se sont lancées dans ce projet. Les sites de Paris, Lyon et Marseille ont actuellement finalisé la période de recrutement et effectuent le suivi afin de traiter les personnes chez qui une infection a été diagnostiquée et proposer un soin pérenne en structure d’addictologie. Les résultats ne seront pas diffusés avant la fin de la période de RSD à Fort-de-France qui devrait débuter au dernier trimestre 2024. Dans ICONE 2, un volet sociologique a été rajouté pour apporter un éclairage supplémentaire à la question principale des bénéfices et des risques de la RDS dans le champ des recherches et des interventions auprès des PQUD. Cette approche qualitative permettra également de mettre en lumière la spécificité de chaque site.

L’objectif de ces études est de prouver l’efficience de la technique de recrutement de type RDS et l’accompagnement du soin par des usagers pairs employés par les sites de soins. La RDS s’apparente aux approches dites de « gestion des contingences » qui ont systématiquement prouvé leur efficacité dans l’accès aux soins des personnes qui utilisent des drogues en situation de précarité.

  1. Roudot-Thoraval F. Epidemiology of hepatitis C virus infection. Clin Res Hepatol Gastroenterol. 2021 May;45(3):101596 ↩︎
  2. D’Ambrosio R, Degasperi E, Colombo M, Aghemo A. Direct-acting antivirals: the endgame for hepatitis C? Curr Opin Virol. 2017; 24 :31-37. ↩︎
  3. Font H, Roelandt JL, Behal H, et al. Prevalence and predictors of no lifetime utilization of mental health treatment among people with mental disorders in France:findings from the ‘Mental Health in General Population’ (MHGP) survey. Soc Psychiatry Psychiatr Epidemiol. 2018 Jun ;53(6) :567-576 ↩︎
  4. Heckathorn D. Respondent-driven sampling:A new approach to the study of hidden populations. Soc Problems 1997; 44(2) : 174-99.https://doi.org/10.2307/3096941 ↩︎
  5. Blackburn NA, Patel RC, Zibbell JE.Improving Screening Methods for Hepatitis C Among People Who Inject Drugs: Findings from the HepTLC Initiative, 2012-2014. Public Health Rep. 2016 May-Jun;131 Suppl 2(Suppl 2):91-7 ↩︎
  6. Donnadieu H, Quillet C, D’Ottavi M, Castellani J, Debellefontaine A, Guichard S, Baglioni R, Langendorfer N, Faucherre V, Hanslik B, Tuaillon E, Laureillard D, Nagot N. Community-based responden tdriven sampling as a strategy for drug use surveillance in a large French urban area. Harm Reduct J. 2023 Jun 29;20(1):82.
    – Nagot N, D’Ottavi M, Quillet C, Debellefontaine A, Castellani J, Langendorfer N, Hanslik B, Guichard S, Baglioni R, Faucherre V, Tuaillon E, Pageaux GP, Laureillard D, Donnadieu-Rigole H. Reaching Hard-to-Reach People Who Use Drugs: A Community-Based Strategy for the Elimination of Hepatitis C. Open Forum Infect Dis. 2022 Apr 14;9(6): ofac181. ↩︎