Marie Jauffret-Roustide (Invs) a présenté les résultats très attendus de l’étude Coquelicot 2011 et notamment les données de prévalence VHC et VIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. chez des usagers de drogues fréquentant les CSAPA et les CAARUD lors du Forum national sur les hépatites virales et les maladies du foie.
Ces résultats étaient très attendus pour deux raisons: La première étude Coquelicot datait de 2004 et celle-ci, restant sur un taux de prévalence de VHC de 60%, sanctionnait les modèles de réduction des risque de la transmission du VHC, par ailleurs efficaces sur le VIH. D’autre part, l’attente était forte de connaître l’évolution des pratiques, tant sur l’injection que sur les produits.
Profil de l’étude
Coquelicot 2011, comme en 2004, est une étude de séroprévalence multi-sites dont le principal critère d’inclusion est d’avoir injecté ou sniffé une fois dans sa vie. On notera au passage les limites d’une étude francophone, notamment pour de nouvelles populations usagers de drogues. Mais Marie Jauffret-Roustide a annoncé qu’une enquête sur les russophones, à la fois en terme socio-comportemental et d’incidence serait effectuée et donnerait des résultats en 2014.
La méthode de l’étude est celle du point de sondage représentatif de la population des CAARUD et des CSAPA, avec auto-prélèvement virologique sur buvard. Elle a concerné 122 structures avec un taux de participation de 75%, une acceptation du test sanguin très élevé à 92% ce qui correspond donc à 1568 usagers de drogues questionnés. La comparaison des 25% de refus ne montre pas de différences significatives en termes de socio-démographie. Les objectifs principaux étaient l’étude des séroprévalences VIH, VHC et VHD qui caractérisait la population des usagers de drogues, de décrire les facteurs de risque et enfin de décrire les déterminants sociologiques et anthropologiques, avec une évaluation qualitative.
D’autres données, concernant les usagers «cachés» ne fréquentant pas les CSAPA et les CAARU, devraient être disponible en 2014.
La cohorte était composée à 79% d’hommes avec un âge médian de 39 ans, 16% des personnes incluses dans Coquelicot 2011 avaient moins de 30 ans, 18% vivaient en squat, 79% ne travaillaient pas et 57% avait été incarcérés une fois au moins dans leur vie, ces éléments témoignant d’un haut niveau de précarité de la population participante.
> Produits consommés au cours du dernier mois, Coquelicot 2011, InVS.
En terme de consommation de produits, le crack Le crack est inscrit sur la liste des stupéfiants et est la dénomination que l'on donne à la forme base libre de la cocaïne. Par ailleurs, ce dernier terme est en fait trompeur, car le mot cocaïne désigne en réalité le chlorhydrate de cocaïne. L'origine du mot 'crack' provient du craquement sonore qu'il produit en chauffant. et le freebase arrivent en premiers dans les produits consommés (33%) lorsqu’on regarde le produit consommé dans le dernier mois avant l’enquête, devant la cocaïne (32%) et loin devant l’héroïne (19%). On note aussi une consommation importante de produits médicamenteux avec 32% d’hypnotiques et 37% de benzodiazépines. Les nouveaux produits type Kétamine ou MDMA ne représentent que 3% des usages.
Notons que contrairement à l’idée communément admise, ces consommations spécifiques ne sont pas un phénomène uniquement parisien, même si Paris, la Seine-Saint-Denis et la Seine-et-Marne accueillent le plus grand nombre d’usagers. Un tiers des usagers de Marseille ou de Strasbourg consomme du crack et/ou du freebase. Un freebase fumé dans 40% des cas à Paris et dans plus d’un tiers des cas à Lille.
Traitements substitutifs
Une forte majorité des usagers de drogues de Coquelicot 2011, 77%, sont sous Traitement substitutifs aux opiacés (TSO), ou l’était dans les six derniers mois. Dix pour cent l’était hors cadre médical. En termes de traitements de substitution, 64% des usagers étaient sous méthadone, 38% sous buprénorphine et 3% sous sulfates de morphine (ceux-ci exclusivement en région parisienne).
La surreprésentation de la Méthadone est évidemment liée au recrutement des usagers dans les CSAPA et les CAARUD; En médecine de ville, la buprénorphine est plus prescrite.
Sur les prévalences, celle du VIH est à 10% [7-12] et celle du VHC montre indiscutablement un fléchissement par rapport aux 60% observés en 2004 avec une prévalence à 44% [39-48] contrastant avec la stabilité de la prévalence VIH. Des données d’incidence sont en cours d’analyse. A noter que cette prévalence VHC est très en baisse par rapport à 2004 pour ce qui concerne les moins de 30 ans passant de 30% à 9%.
> Prévalence VIH et VHC par classes d’âge, Coquelicot 2011, InVS.
Pratiques d’injection
Pour ce qui est des pratiques d’injection, 65% des usagers de drogues de l’étude ont injecté au moins une fois dans leur vie, ce qui est à peu près le même niveau qu’observé en 2004. Parmi eux, 36% ont injecté au cours du dernier mois, et si l’on regarde les moins de 30 ans, 53% ont injecté au moins une fois au cours du dernier mois.
Plus inquiétant encore, 26% des personnes questionnées reconnaissent un partage de seringue et 43% reconnaissent un partage du petit matériel au cours du dernier mois. Les pratiques à risques de transmission vis-à-vis de l’injection semblent donc avoir doublé entre 2004 et 2011 ce qui correspond à une augmentation des pratiques à risque de transmissions virales multipliées par deux par rapport à l’étude de 2004.
Cette reprise récente des pratiques à risques s’explique en partie par une plus grande difficulté d’accès au programme d’échange de seringues, victimes de restrictions budgétaires.
Notons que par ailleurs, on observe une légère diminution du partage de pipe à crack (57%).
En conclusion, on observe donc un vieillissement et une précarisation des usagers, des pratiques d’injection à risque en augmentation de 2004 à 2011 malgré les politiques de réduction des risques et une domination des produits stimulants.
Lors du Forum Hépatites, Marie Jauffret-Roustide a souligné les forces et faiblesses du modèle actuel de réduction des risques en France avec une très bonne couverture pour les TSO, qui constitue un modèle en Europe mais «les choix d’un modèle faible des réductions des risques associant le maintien de l’interdit, la pénalisation d’usage de drogue et la valorisation d’une forme exclusivement médicalisée de la réduction des risques qui se désintéresse du modèle social de la contamination».
Marie Jauffret-Roustide a aussi rappelé la réticence française vis-à-vis des innovations, en particulier «le silence autour des problèmes d’échanges de seringues en prison et l’hésitation face aux salles de consommation avec l’avis négatif du conseil d’état» (Un usager détenu sur dix déclare avoir injecté au moins une fois dans le cadre de sa détention.)
Il est noté que Coquelicot 2011 souligne le fait que les kits d’injection disponibles ne permettent pas de réduire notablement l’exposition au risque VHC et que la France, malgré un dépistage élevé du VHC —90% des usagers de drogues avait déjà été dépisté au moins une fois pour le VHC— se maintient à niveau extrêmement haut concernant les prises de risque vis-à-vis du virus.
D’où une conclusion qui renvoie à la déclaration de Vienne de 2010 : l’étude Coquelicot est l’une des évidences scientifiques sur lesquelles devraient se fonder les politiques en matière de réduction des risques en lieu et place de l’idéologie.