Cet article a été publié dans le Transcriptases n°143.
Le terme «transgenre» désigne toute personne dont l’identité de genre, l’expression ou le comportement est en inadéquation avec son sexe biologique. L’identité de genre diffère donc du sexe de naissance et cela peut s’exprimer dans l’apparence physique par un simple changement de comportement, par des mesures cosmétiques, par l’utilisation d’hormones ou, enfin, par des chirurgies de réassignation sexuelle. D’autres termes sont couramment utilisés comme transsexuel, trans-identitaire, travesti, etc., « Trans » étant celui retenu comme plus consensuel.
Depuis l’automne 2008, avec le retrait du transsexualisme de la liste des pathologies mentales par la ministre de la santé, la population trans-identitaire en France semble pouvoir sortir de l’invisibilité et mettre en exergue ses particularités médico-psycho-sociales et juridiques. Un groupe, composé majoritairement par des associatifs Trans, a été sollicité par la Direction générale de la santé (DGS) pour l’élaboration du plan national de prévention VIH/IST/hépatites 2010-2014. L’avis sur ce plan émis conjointement par le Conseil national du sida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. et la Conférence nationale de santé cite la population transgenre comme une de celles pour -lesquelles « la réglementation en vigueur complique considérablement le travail de prévention, d’accès aux soins et de réduction des risques ». En février 2010, la transsexualité a été supprimée de la liste des affections de longue durée (ALD) suite à la publication d’un rapport de la Haute autorité de santé (HAS) datant de novembre 2009 sur la prise en charge de personnes trans-identitaires. Ceci a généré des réactions des associations concernées, justifiées par la mise en danger du remboursement du parcours de transition.
Les risques de contamination VIH/IST/hépatites dans cette population ont été décrits dans la littérature depuis les années 1990. L’exclusion économique et/ou sociale, le manque d’estime de soi, l’ignorance des modes de transmission des IST Infections sexuellement transmissibles. la multitude de partenaires sexuels ainsi que l’utilisation aléatoire de préservatifs, notamment lors de rapports anaux, sont les principaux facteurs de la prévalence Nombre de personnes atteintes par une infection ou autre maladie donnée dans une population déterminée. élevée de ces infections surtout chez les transgenres MtoF. Cinq études indiquent un moindre risque de transmission VIH chez les transgenres FtoM. Ce n’est qu’en 2007 que le CDC a reconnu comme nationale la cause Trans VIH/IST/hépatites.
A ce jour, en France, nous n’avons pas de données démographiques officielles sur la population Trans. L’estimation de 0,1% de la population française n’est qu’une projection des statistiques réalisées dans d’autres pays européens. Pour le recueil de données concernant le VIH/IST/hépatites, les personnes Trans sont répertoriées comme homme ou femme, leurs prises de risques identiques à celles des homosexuels ou bisexuels et des confusions entre sexualité et identité de genre sont fréquentes. Ainsi, aucune donnée épidémiologique officielle VIH/IST/hépatites sur la population Trans n’est disponible.
L’ajout de la case T aux recueils épidémiologiques spécifiant MtoF et FtoM, la mise en place de cohortes spécifiques Trans VIH/IST/hépatites élaborées en collaboration avec le milieu associatif et avec les professionnels concernés pourraient aider à la compréhension des enjeux de prise en charge et à des actions de prévention ciblées au sein de cette population.
Deux récentes publications françaises montrent des disparités très importantes de prévalence VIH s’expliquant par des biais de recrutement : Trans MtoF immigrées travailleuses du sexe versus Trans enquêtés par internet. Cela laisse présager que la diversité Trans doit être prise en compte lors de l’élaboration des campagnes de prévention et de réduction des risques.
Le service de médecine interne de l’hôpital Ambroise Paré a signé avec l’association PASTT en 2004 une convention pour l’accès aux soins de la population travailleuse du sexe, dont la population transgenre MtoF est majoritairement d’origine latino-américaine non francophone. Pour que l’accueil et les soins soient en adéquation avec les particularités socioculturelles, des professionnels luso-hispanophones ont été recrutés, pour compléter une équipe déjà sensibilisée: un médecin, une infirmière responsable d’éducation thérapeutique et un agent de médiation, issue de la communauté Trans. Les collaborations avec des associations comme ARCAT renforcent ces objectifs, notamment par les actions de prévention, d’insertion sociale et de suivi par un psychologue hispanophone.
Le recrutement est fait majoritairement par les CDAG, grâce aux actions de prévention réalisées sur le terrain (bus du PASTT), par le milieu associatif (PASTT, ARCAT, Le Bus des Femmes, autres) et par les informations transmises par des connaissances (amis, bouche à oreille). Pour un tiers des personnes Trans reçues, il s’agit d’un premier recours aux soins. L’un des objectifs du recours aux soins est l’obtention de l’Aide médicale d’Etat (AME) et d’un titre de séjour pour les PVVIH Personne vivant avec le VIH Les motivations de la venue en France déclarées, outre l’exercice de leur travail, sont l’absence de traitement ARV dans leur pays d’origine, les meilleures conditions de prise en charge, la rupture de prise en charge dans d’autres pays européens du fait de la non obtention ou du non renouvellement d’un titre de séjour. Le délai moyen de recours aux soins depuis l’arrivée en France est de 4 à 6 mois.
Les difficultés de prise en charge et d’accès aux soins, outre le blocage linguistique et culturel, l’inadéquation entre l’état civil et l’apparence physique, peuvent être ressenties par cette population dès l’accueil aux caisses de l’hôpital jusque dans les salles d’attente de consultation et au contact avec les soignants. Les horaires hospitaliers sont, parfois, inadéquats à leur mode de vie. La complexité et le durcissement des démarches d’accès aux soins en France, difficiles à comprendre, peuvent avoir un impact dans la hiérarchisation des priorités dans le suivi médical.
Ainsi, notre expérience de suivi avec la population MtoF, triplement stigmatisée – transgenre, migrante, travailleuse du sexe – met en évidence des constats décrits depuis les années 1990, en France, notamment par le PASTT, à savoir que la santé n’apparaît pas comme prioritaire. La multiplicité des intervenants (assistantes sociales, agents de médiation, agents d’insertion, secrétaires, infirmières, aides soignantes, psychologues, dentistes, médecins traitants et médecins spécialistes) peut gêner l’identification de l’interlocuteur adapté. En revanche, le fait d’être suivi dans un service de médecine interne n’affichant pas « suivi VIH/sida, pathologies infectieuses » est particulièrement apprécié.
Le ressenti du soignant a un rapport direct avec l’indispensable pluridisciplinarité, dont le sens et l’efficacité dépendent d’un travail éducatif solide afin d’éviter la confusion des rôles. Cela est parfois difficile à mettre en place, à l’heure de la comptabilisation des activités. Le suivi médical peut être troublé par les « non-dits », par le manque de confiance dans le praticien et par l’absence de renseignements pertinents sur les suivis antérieurs, entraînant des échanges de courriers et courriels en langue étrangère pouvant retarder la prise en charge optimale. Les ruptures de suivi sont souvent le fait de la mobilité de cette population. Les coordonnées erronées et le non prélèvement de courriers complexifient la reprise de contact. Les incarcérations en rapport avec la loi contre le racolage, le proxénétisme, la priorité donnée à l’obtention de la régularisation de situation en France sont d’autres obstacles à l’optimisation du suivi médico-social.
Les conduites addictives sont surtout liées au tabac, à l’alcool et à la prise de somnifères (sollicitations incessantes auprès du médecin traitant). La consommation de cannabis, cocaïne, popers, héroïne, méthamphétamine reste marginale et épisodique.
Du point de vue esthétique en rapport avec les transformations corporelles, un grand nombre de transgenres ne souhaitant pas, ou ne pouvant pas bénéficier d’une réassignation sexuelle ont recours à des hormones obtenues hors parcours médical. Les effets indésirables sont alors majorés par l’automédication de différentes formes galéniques de ces hormones, souvent surdosées, mais dont il faut tenir compte de facto dans le suivi. L’objectif médical, outre la féminisation ou la masculinisation du patient, est le maintien d’une thérapeutique antirétrovirale efficace, la prévention à court terme des accidents thromboemboliques et, à long terme, des risques cardiovasculaires. Chez les transgenres, des insuffisances surrénaliennes, des prolactinomes, des méningiomes ainsi que des cancers du sein liés à la prise d’hormones féminisantes sont décrits. Dans ce dernier cas, l’intérêt de la réalisation d’IRM mammaires pour le dépistage, plus adaptées qu’une mammographie en présence de silicone, reste à déterminer.
Chez les personnes transgenres infectées par le VIH, il existe un risque d’interactions entre les traitements hormonaux généralement surdosés et les médicaments liés au VIH, notamment par cumul des effets métaboliques délétères (insulino-résistance, diabète sucré et hyperlipidémies mixtes). La surveillance du bilan gluco-lipidique et hépatique et des éventuelles interactions médicamenteuses avec dosages des taux sériques des traitements utilisés sont utiles. La voie transcutanée, prescrite par un endocrinologue habilité, est à privilégier. Des études cliniques analysant les interactions entre différents antirétroviraux et hormones féminisantes seraient nécessaires.
Les implants de silicone au niveau des joues, de la poitrine, des hanches et des fesses sont généralement effectués par un personnel non habilité, utilisant des produits en grand volume et souvent non purifiés. Ils peuvent engendrer localement, ou à distance du point d’injection, des réactions inflammatoires granulomateuses non spécifiques à type de réaction à corps étranger, les « siliconomes ». Ces derniers entraînent parfois des nécroses ou surinfections à type d’érysipèle, de cellulite, de fasciite, imposant un suivi dermatologique et/ou une orientation en chirurgie plastique en cas de nécessité d’exérèse des tissus compromis,. Des phénomènes emboliques pulmonaires à court et moyen terme, similaires à l’embolie graisseuse, ainsi que des chocs septiques peuvent avoir une évolution létale,.
La complexité de l’accès au protocole de réassignation sexuelle en France, les prix élevés, souvent doublés pour les PVVIH, pratiqués par les pays reconnus comme d’excellence pour cette intervention, amènent de plus en plus fréquemment certaines personnes transgenres MtoF à recourir à des professionnels moins habilités dans leur pays d’origine. Un suivi devrait être proposé afin d’éviter des complications infectieuses et de cicatrisation suite à ces chirurgies de réassignation sexuelle réalisées en pays étranger et pour lesquelles les consignes de convalescence ne sont parfois pas respectées.
Les personnes transgenres infectées par le VIH doivent être prises en charge de manière pluridisciplinaire, au moins par un endocrinologue et un spécialiste du VIH. Pour les transgenres MtoF, réassignés ou non, un suivi urologique pour une surveillance prostatique et proctologique pour la prévention des cancers du canal anal liés à l’HPV, est également indispensable. Les FtoM doivent aussi bénéficier d’un suivi gynécologique annuel. Un soutien psychologique et une évaluation psychiatrique sont à proposer en cas de besoin ou de demande,.
Les transgenres étant confrontés à des discriminations et à des difficultés d’ordre médical, social, économique et psychologique, il est nécessaire de pouvoir proposer, en collaboration avec les associations concernées, des lieux d’accueil adéquats, des documentations destinées aux soignants, intervenants et aux patients, des ateliers thématiques ayant pour buts la réduction des risques (RdR), -l’information sur la santé, l’accès aux soins et l’empowerment. Cela permettrait de favoriser un meilleur accompagnement global, d’obtenir une meilleure observance L’observance thérapeutique correspond au strict respect des prescriptions et des recommandations formulées par le médecin prescripteur tout au long d’un traitement, essentiel dans le cas du traitement anti-vih. (On parle aussi d'adhésion ou d'adhérence.) de mieux cerner les comportements à risque face aux VIH/IST/ hépatites et de renforcer leur autonomie afin de revendiquer le statut de citoyen à part entière.