Challenges actuels et objectifs à long terme dans la lutte contre le VIH
Jeffrey Imai-Eaton, Harvard T.H. Chan School of Public Health
L’épidémie évolue actuellement de manière très différente d’une région du globe à l’autre. Si les progrès ont été très importants dans la prévention de la transmission mère-enfant (TME), la courbe d’incidence de la TME a tendance à s’aplatir au cours des dernières années, mais les objectifs 2030 paraissent encore réalistes. Une part non négligeable des TME se fait pendant la grossesse ou l’allaitement (25%), même si l’absence de traitement ou le traitement tardif restent les principaux facteurs de TME à travers le monde.

La mortalité liée au sida a beaucoup baissé entre 2000 et 2025, mais moins rapidement depuis cette date, même si elle diminue toujours. Ici, on ne sera pas aux objectifs pour 2025…
Concernant les diagnostics tardifs, les choses ont peu évolué depuis 2015, quelle que soit la région du monde, avec 25-40% de personnes débutant un traitement avec une maladie VIH avancée.
Hors Afrique, 80% des nouvelles infections se retrouvent dans les populations-clés, et on voit à travers le monde une diminution de l’incidence chez les usagers de drogues mais une augmentation chez les hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes (HSH), avec des épidémies totalement hors de contrôle comme aux Philippines…

En Afrique, la situation est difficile en terme de prévention, car 75% des nouvelles infections concernent des personnes hors des populations clés, et donc plus diluées, et théoriquement plus difficile à atteindre. On dispose de données épidémiologiques assez fines qui permettent de connaitre les zones où les incidences sont les plus élevées. Cela n’est pas suffisant pour cibler efficacement les politiques de prévention, même si c’est une aide précieuse. Même si l’on connait les modes d’infections —jeune âge, multipartenariat, IST HSV-2, ne pas habiter avec son partenaire,etc.—, cela ne permet pas bien de distinguer ceux qui vont vraiment s’infecter et pour qui on souhaiterait être plus offensif en termes de prévention combinée…

La fragilité des pays vis-à-vis des financement est variable, mais 5 pays reçoivent 80% du financement international et sont très vulnérables. Tous les modèles épidémiologiques vont dans le même sens, un arrêt brutal des financements entrainerait une brutale dégradations des indicateurs épidémiques et pourrait annihiler très rapidement 20 ans de progrès.
Intégration et durabilité de la réponse globale au VIH
Tsitsi Apollo, Zimbabwe Ministry of Health and Child Care, Harare, Zimbabwe
Le principe des services de santé intégrés est un continuum entre prévention et soins, tout au long de la vie et adapté aux besoins de santé des populations. Un bon exemple est celui de la tuberculose, qui a connu, au début de l’épidémie de VIH, une absence d’intégration entre les programmes VIH et TB, ce qui a été très nuisible à la santé des patients. L’intégration n’est pas encore complète dans de nombreux pays, même si d’immenses progrès ont été réalisés.
L’intégration est nécessaire dans beaucoup de domaine, quelques exemples: la prévention des cancers induits par le HPV, la mise en place d’espace dédiés aux adolescents pour prendre en compte l’ensemble de leurs besoins au-delà du VIH, l’intégration VIH/maladies non-transmissibles.
Dans le domaine des troubles psychiatriques, les modèles intégratifs permettent de diminuer le niveau de dépression, d’alcoolisme, et améliorent l’intégration sociale (Conteh et al. BMC). Plus récemment, des services intégrés ont permis d’améliorer la qualité de vie des PVVIH déplacés par la guerre en Ukraine.
L’intégration doit répondre à 7 principes clés, adaptés à chaque pays ou région : renforcer l’implication politique et la gouvernance, intégrer des modèles de services, autonomiser les communautés et des populations clés, investir dans le personnel les infrastructures, améliorer les systèmes de données de santé la santé digitale, aligner dépenses et ressources, promouvoir la qualité et la rétention dans les soins… Un vaste programme! L’importance est également de pouvoir être durable, et cela dépends en partie du financement.
Les pays concernés ne manquent pas d’idées pour essayer d’améliorer les choses: En Eswatini, les services ont pu être décentralisés, les propositions de soins adaptées aux personnes, et des provisions de six mois ont été mises en place pour les traitements antirétroviraux; au Kenya, intégration des services liés à la tuberculose, au VIH et à l’hypertension artérielle, diversification des fonds liés à la santé permettant une réduction des coûts; au Malawi, utilisation de l’intelligence artificielle pour la surveillance épidémique et pour l’utilisation des ressources; au Rwanda, mise en place de financement basé sur la performance et centralisation des soins; en Namibie, coopération entre le ministère des Finances et le ministère de la Santé et intégration des soins pour les personnes vivant avec le VIH au sein de paquets de soins financés via l’impôt…
En pratique, on manque encore un peu de données sur l’impact de ces programmes d’intégration, même si les premières évaluations sont plutôt favorables.
Innovations dans la prestation de service lié au VIH : construire un chemin d’avenir avec les laissés pour compte.
Izukanji Sikazwe, Centre for Infectious Disease Research in Zambia, Lusaka, Zambia
Le modèle de soins dominant actuellement consiste à essayer de traiter le plus de personnes possible en dépensant le moins possible, ce qui a tendance à laisser de côté les populations les plus difficiles à atteindre.
Les laissés-pour-compte sont nombreux et varient d’une zone à l’autre : les hommes en Afrique, les femmes enceintes et allaitantes dans les pays à ressources limitées, les adolescents un peu partout, les populations clés dans certains pays, les personnes qui ont besoin de la PrEP mais n’y ont pas accès, les personnes ayant des virus résistants…
Les freins sont connus : la discrimination, les violences basées sur le genre, le racisme, les lois criminalisant les HSH ou les usagers de drogues.
La confiance est un élément essentiel de l’engagement dans les soins, et les prises de position récentes de l’administration américaine ont brisé cette confiance. Il faut pouvoir s’adapter, comme cela a été fait lors de la crise COVID avec des innovations qui ont perduré au-delà de la résolution de la crise.
Ainsi, la Zambie a souhaité mettre en place un vaste programme de PrEP par CAB-LA pour l’ensemble des personnes à risque avéré de VIH, le premier de cette ampleur en Afrique. Les résultats en termes d’observance sont bien meilleurs que ceux obtenus avec la PrEP orale. En Thaïlande, une politique nationale d’autotest a été mise en place avec succès afin de l’intégrer dans les soins primaires. En Afrique de l’Ouest et au Canada, des initiatives du même type sont mises en œuvre pour atteindre les populations clés.
L’amélioration des relations soignants-soignés est également essentielle (Sikombe et al. Lancet HV 2025), La Zambie a ainsi mis en place un programme dédié via une étude de randomisation en cluster permettant d’améliorer considérablement «l’expérience patient» grâce à un programme centré sur les patients.

A la fin des présentations, la question a été posée de savoir si les modèles de prévision «catastrophistes» suite à l’arrêt du PEPFAR et de l’USAID n’exagéraient pas un peu… les oratrices Zambienne et Zimbabwéenne de la session ont décris le chaos lié à l’arrêt brutal imposé à l’administration américaine. Par exemple, le gel imposé à l’USAID a entrainé un shut-down des bases de données, qui fait que quand les personnes arrivent pour prendre leur traitement à la pharmacie, leur dossier n’est plus accessible et on ne dispose pas de données permettant d’assurer la continuité des traitements. Même si les stocks d’ARV existent toujours, le renvoi d’une partie des personnels gérant ces stocks fait que ceux-ci ne sont plus accessibles…

Une autre question a porté sur «comment essayer de récupérer les personnels licenciés par les programmes américains, afin de ne pas perdre l’expérience exceptionnelle de ces personnels»… il ne semble pas y avoir de réponse facile à cette questions.
Je peux témoigner ici de notre longue expérience de coopération avec le Burundi: à la fin de l’année 2024, les personnes les mieux formées dans le pays travaillaient quasi exclusivement pour les programmes de l’USAID ou des programmes financés par le PEPFAR, notamment depuis que la France s’était franchement désengagée à la fin du programme ESTHER (tout en finançant activement le fonds mondial, dont les financements ne pesaient plus beaucoup par rapport à ceux du PEPFAR).
Il serait catastrophique pour le pays que ces ressources humaines soient perdues et que les personnes concernées abandonnent le secteur de la santé faute de ressources disponibles… La plupart —si ce n’est tous— les médecins que nous avions formés dans le cadre d’ESTHER, et qui se sont avérés être des leaders dans leur domaine, ont ensuite été recrutés par les programmes américains.
Les oratrices ont tout de même voulu garder un message d’espoir pour la fin, remerciant toutes les collaborations passées, l’espoir d’en conserver les gains et de trouver des solutions de remplacement à court terme : l’espoir est toujours là, ont-elles conclu sous les applaudissements!
Cet article a été précédemment publié sur le site du COREVIH Bretagne à l’occasion de la CROI 2025. Nous le reproduisons ici avec l’aimable autorisation de l’auteur.