Le décalage horaire (moins 8 heures d’été) pousse à la réflexion, voire à l’introspection. Par exemple, à 4h du matin, quand vous vous retrouvez les yeux grands ouverts dans la chambre d’hôtel, alors que votre collègue est juste de l’autre côté de la cloison, entravant ainsi toute velléité d’allumer la télé.
Pourtant, on pouvait par exemple y suivre l’interview exclusive qu’a donnée à la plus conservatrice des chaînes américaines, Foxnews, l’actuel ministre de la Santé de Trump, Robert F. Kennedy Jr., à l’occasion de la CROI 2025, sans prononcer un mot sur le VIH
Rappelons ici les casseroles de cet avocat devenu ministre de Trump II, en rupture avec son illustre famille, ne serait-ce qu’au regard de qui nous occupe ici. Antivax notoire avant et durant la crise sanitaire du Covid Robert F. Kennedy Jr. à l’habitude de promouvoir la véritable fake news selon laquelle il y aurait un lien de cause à effet entre la vaccination contre la rougeole et l’autisme. C’est aussi un des rares négationnistes du sida ayant encore une audience aussi importante aux États-Unis. Obsédé par Bill Gates, Anthony Fauci et Big Pharma contre lesquels il écrit un livre, RFK Jr. fait souvent référence à «l’orthodoxie» selon lequel le VIH serait à lui-seul la cause du sida. Lubie classique des négationnistes, il continue de répéter: «personne n’a été en mesure de citer une étude qui démontre leurs hypothèses en utilisant des preuves scientifiques.» Pas besoin de rappeler que c’est faux, bien sûr.
Pas de RFK Jr., donc, et mes pensées nocturnes dérivèrent vers l’Europe. Devant les menaces et le démantèlement d’une partie de la recherche sur le VIH/sida aux États-Unis, n’est-ce pas à l’Europe de s’organiser autrement, au-delà de la peu efficace dénonciation? Comme elle le fait, par exemple, dans son soutien revisité à l’Ukraine. En France, des voix s’élèvent pour dénoncer les menaces de baisser les budgets de la recherche dans ce contexte, à l’instar de la directrice générale de l’Institut Pasteur, Yasmine Belkaid: «Il y a 0,3 % d’investissement en France pour la recherche fondamentale, contre 1 % en Allemagne.» L’Europe ne doit-elle pas faire de la recherche autrement, collaborer différemment avec les pays émergents, ouvrir d’autres espaces afin de pallier le désengagement des États-Unis?

La «vraie vie» des injectables
La CROI, c’est aussi l’occasion de consulter les données de «vraie vie» rebaptisées «dans le monde réel» (sait-on pourquoi?) En ce qui concerne les antirétroviraux injectables à longue durée d’action par exemple, sur lesquels s’était refermée la CROI 2024, c’est assez copieux. OPERA est une base de données longitudinale et anonyme de soins de santé couvrant 260 cliniques aux États-Unis dans 23 états, et représentant ainsi 14% des PVVIH sur le territoire américain. Sur 2858 patients sous cabotégravir+rilpivrine (CAB/RPV) long acting (LA) ayant reçu au moins une paire d’injections, 30% ont eu au moins 1 injection retardée et 12% ont «oublié» des injections (#674). Parmi les facteurs identifiés, on retrouve, dans 68% des cas, un problème purement nord-américain d’assurance privée. Ces oublis ne semblent pas avoir d’effet réel sur l’efficacité globale de la thérapie LA puisque 95% des patients avait une charge virale <50 copies/mL.
Le «monde réel» permet aussi de tester l’impact du non-respect des RCP de cette bithérapie. Dans la cohorte américaine TRIO (# 675) de 1198 patients sous CAB/RPV, 2% présentaient des mutations de résistance aux INI et 19% à au moins 1 INNTI avec une efficacité globale (CV < 50) de 95%.
Les données obtenues sont cohérentes avec celles de l’étude CARES, dont les résultats à la semaine 96 seront présentés à San Francisco le 12 mars 2025. L’étude confirme la non-infériorité du traitement injectable par rapport au traitement oral en Afrique, avec un taux de succès de 96,9% (47/255) contre 97,3% (250/257). À l’inclusion, 8% des participants présentaient des mutations de résistance archivées à la RPV (sans mutations APOBEC), 57% avaient un sous-type viral A1 et 21% avaient un IMC initial ≥30 kg/m², des facteurs théoriquement défavorables à l’utilisation du CAB/RPV. Des résultats qui témoignent d’une grande efficacité du traitement, au-delà des attentes conventionnelles.
Parmi les autres bonnes nouvelles du jour, plusieurs avancées prometteuses ont été présentées lors de la session #07. L’une des plus marquantes concerne l’association LEN + TAB + ZAB (lénacapavir, téropavimab, zinlirvimab), administrée tous les six mois, qui est passée en phase II (#151). Ce traitement démontre une efficacité comparable à celle d’un traitement oral, faisant de lui la première combinaison semestrielle disponible.
D’autres innovations incluent la proof of concept de deux nouvelles molécules : le VH4524184 (VH-184), un inhibiteur d’intégrase de troisième génération, et le VH4011499 (VH-499), un nouvel inhibiteur de capside (#152 et #153). Enfin, une nouvelle formulation injectable du lénacapavir, avec une administration annuelle, a également été présentée (#154). Des avancées que les traitements longue durée ont le vent en poupe.
Cet article a été précédemment publié dans le e-journal de la Lettre de l’infectiologue. Nous le reproduisons ici avec leur aimable autorisation.