L’édition 2023 de cette enquête, initiée par l’Inserm et financée par l’Agence nationale de recherche sur le sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. les hépatites et les maladies émergentes (ANRS-MIE), est la quatrième du genre, après celles de 1970, 1992 et 2006. Cette fois, l’enquête intégrait l’offre d’un auto-dépistage par prélèvement des infections sexuellement transmissibles (IST) bactériennes, grâce à la participation de Santé publique France à travers PrévIST.
L’enquête «Contexte des sexualités en France 2023»
L’objectif de cette enquête, comme les précédentes, est double : étudier les sexualités (pratiques, relations et représentations); et faire un état des lieux de la santé sexuelle et reproductive, dans le contexte de la stratégie nationale de santé sexuelle, telle que définie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Pour ce faire, l’enquête a été centrée sur trois grands axes de recherche :
- la diversification des sexualités, dans un contexte de profonde transformation depuis 2006, lié à l’évolution des modes de vie, à l’impact de la révolution numérique, et à l’émergence d’un débat public un peu permanent sur la question des violences sexuelles.
- les conditions de vie et de santé sur les sexualités, dans un contexte de renforcement depuis 2006, des inégalités sociales en général, et de santé en particulier.
- Une meilleure compréhension des enjeux de santé et d’accès aux soins et aux ressources en santé sexuelle et reproductive.
Si ses résultats sont si remarquables, c’est que cette enquête s’appuie sur une méthodologie robuste, fréquemment utilisée dans les enquêtes de santé publique. Un échantillon représentatif de la population française a été constitué grâce à la génération aléatoire de numéros de téléphone, améliorant ainsi la fiabilité des données recueillies.
L’enquête a été réalisée auprès de la population hexagonale et pour la première fois en 2023, auprès de la population de quatre territoires ultramarins: la Guyane, la Martinique, la Guadeloupe et la Réunion. Le questionnaire utilisé, lui, était construit en deux parties, avec un premier questionnaire téléphonique, puis, pour les personnes qui acceptaient, un questionnaire complémentaire sur Internet. Selon Armelle Andro, démographe (université Paris-I), Nathalie Bajos, sociologue (Inserm-EHESS) et Caroline Moreau, épidémiologiste (Inserm, Johns Hopkins University), qui présentaient les résultats dans les locaux de l’ANRS-MIE, l’un des principaux défis a été de définier et de rédiger 350 questions adaptées à des participants de 15 à 89 ans.
La participation à l’enquête a été plutôt bonne pour la démarche de recrutement utilisée : 34% des personnes contactées au téléphone ont accepté de répondre, et parmi celles-ci, 61% qui ont accepté de continuer sur Internet pour des informations complémentaires. Ainsi, 31518 personnes de 15 à 89 ans ont participé à l’enquête. Les données ont ensuite fait l’objet de pondérations grâce aux données de recensement, tenant compte des probabilités d’inclusion et des non réponses, pour obtenir ainsi des résultats représentatifs de la population âgée de 15 à 89 ans vivant en France.
Parmi ces personnes, 17135 ont poursuivi sur le questionnaire en ligne et 5735 ont renvoyé leur kit de dépistage ISTIST Infections sexuellement transmissibles. Pour cette première présentation, les trois chercheuses n’ont discuté que des résultats concernant la France hexagonale, soit 21259 personnes.
Évidemment, avec une enquête de cette ampleur, impossible de résumer ici l’ensemble de ces résultats, même si le dossier de presse, disponible sur le site de l’ANRS-MIE, s’y attelle en partie. Ces données esquissent en tout cas une cartographie sociale et actualisée des sexualités en France.
Une évolution au long cours des sexualités en France
Cette version 2023 de l’enquête illustre, quand on la compare aux précédentes, les changements majeurs survenus dans ce champ. Comme l’âge du premier rapport et le nombre de partenaires, par exemple. À partir du milieu des années 2000, on observe une remontée de l’âge au premier rapport sexuel, avant même les événements liés à la pandémie de COVID-19Covid-19 Une maladie à coronavirus, parfois désignée covid (d'après l'acronyme anglais de coronavirus disease) est une maladie causée par un coronavirus (CoV). L'expression peut faire référence aux maladies suivantes : le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) causé par le virus SARS-CoV, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) causé par le virus MERS-CoV, la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) causée par le virus SARS-CoV-2.
Aujourd’hui, l’âge médian du premier rapport, c’est-à-dire auquel la moitié de la population a connu l’événement, est de 18,2 ans pour les femmes et de 17,7 ans pour les hommes, soit un rapprochement très marqué entre les femmes et les hommes, rapprochement déjà observé dans les enquêtes antérieures. Concernant le nombre moyen de partenaires sexuels, les femmes (18 – 69 ans) déclarent en moyenne aujourd’hui déclarent 7,9 partenaires sexuels au cours de leur vie, quand les hommes en déclarent 16,4. Dans toutes les générations, on observe une augmentation importante du nombre de partenaires sexuels, y compris entre 2006 et 2023.
D’une manière globale, les résultats de CFS 2023 indiquent, selon les chercheuses, une remise en cause de la norme hétérosexuelle de plus en plus marquée. Si le phénomène n’est pas nouveau, il s’est accentué ces dernières années. Pour Nathalie Bajos, «cette remise en cause de la norme hétérosexuelle, c’est aussi un rejet de la disponibilité sexuelle des femmes qui est de plus en plus marquée dans la société française comme le montrent les différents indicateurs».
Ces changements, cette «révolution» selon Nathalie Bajos, s’inscrivent dans un mouvement au long terme de modification des cadres normatifs du consentement sexuel, datant d’avant 2006: «Le discours qui reproche à certaines femmes, et en particulier les féministes, de déstabiliser les hommes dans leur humilité ne se retrouve pas dans les résultats de cette enquête.»
Ces évolutions reflètent l’évolution du contexte social depuis des décennies : une autonomie économique et sociale plus importante pour les femmes, une norme d’égalité entre les sexes qui ne cesse de se diffuser, une évolution des structures familiales avec de moins en moins de personnes vivant en couple, les conséquences de la crise économique depuis 2008 avec des inégalités sociales qui restent marquées, des évolutions juridiques comme le mariage pour tous et la PMA, etc.
Certains changements majeurs sont toutefois plus récents, et sont apparus depuis l’enquête de 2006. Ainsi, les résultats nous montrent une diversification des partenaires, une sexualité qui s’étend sur les espaces numériques et parallèlement, une baisse de certains indicateurs. Ainsi, les personnes qui ont des partenaires ont moins de rapport sexuels. C’est ce que les trois chercheuses ont présenté comme le «paradoxe contemporain de la sexualité».
«Plus de diversité mais moins d’intensité», résume Nathalie Bajos, avant de constater que «les contours de l’activité sexuelle se modifient». Une sexualité plus diversifiée dans ses pratiques, mais aussi une sexualité qui est plus souhaitée, avec une diminution faible mais notable de la proportion, particulièrement des femmes qui s’engagent dans des rapports sexuels sans en avoir envie.
Les résultats de CFS 2023 mettent aussi à mal l’idée que les hommes et leur sexualité auraient été malmenés par des phénomènes visant à dénoncer les violences sexuelles et sexistes, comme «MeToo»: On ne constate pas de baisse de la satisfaction sexuelle, et même une augmentation chez les hommes. En 2023, 45,3% des femmes et 39% des hommes se déclarent très satisfaits de leur vie sexuelle.
La prévention des IST
Intéressons-nous tout d’abord à l’évolution de l’usage du préservatif lors du premier rapport sexuel. On constate que son utilisation a augmenté de manière vraiment très significative dans les années 1990, au moment des campagnes de lutte contre le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. puis pour atteindre un plateau relativement élevé dans les années 2000. Les derniers chiffres montrent une petite érosion, avec 75% d’utilisation pour les femmes et 84% pour les hommes, pour les personnes qui ont commencé leur sexualité entre 2019 et 2023.
D’autres indicateurs sont moins favorables: environ 49% des femmes et 53% des hommes déclarent avoir utilisé un préservatif lors du premier rapport avec un nouveau partenaire dans les 12 derniers mois.
La vaccination contre les risques d’IST virale a également été étudiée. Pour le HPV, chez les moins de 30 ans, la couverture vaccinale s’établit à 51% pour les femmes et 20% pour les hommes (pour lesquels les recommandations datent de 2021).
Pour l’hépatite B, les chiffres sont de 63,5% pour les femmes (15-29 ans) et de 52,9% pour les hommes.
Dans les deux cas, on constate qu’un nombre important d’hommes ignorent leur statut vaccinal.
Prévalence des IST bactériennes
Chez les 18 à 59 ans, la prévalencePrévalence Nombre de personnes atteintes par une infection ou autre maladie donnée dans une population déterminée. des IST a été mesurée sur les prélèvements réalisés dans le cadre de l’enquête. La prévalence des chlamydias est de 0,9% chez les femmes et de 0,6% chez les hommes. Chez les jeunes de moins de 30 ans, elle est un plus élevée, avec 2,2% pour les femmes et 1,9% pour les hommes. Cette prévalence est assez significativement plus forte chez 26-29 ans. Ces résultats peuvent être mis en rapport avec les politiques de prévention et les dépistages systématiques qui sont plutôt orientés vers la population de moins de 26 ans.
Un seul cas de Neisseria Gonorrhoeae (Ng) a été détecté et non intégré aux résultats.
Cette étude nous permet aussi de disposer, pour la première fois, des données de prévalence concernant les infections à Mycoplasma Genitalium (Mg) en France, avec 3,1% chez les femmes et 1,3% chez les hommes de 18-59 ans, soit des prévalences comparables à celles observées dans d’autres pays européens. (Voir notre article: PrévIST: enfin des chiffres de prévalence des IST en population générale.)
Ces prévalences sont comparables aux estimations de 2006 pour les femmes, et en légère diminution (non significative) pour les hommes, avec 0,9 % versus 1,6 % chez les 18-44 ans pour qui les données sont comparables.
Mycoplasma genitalium (Mg) est un agent d’infection sexuellement transmissible (IST) émergent chez les hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes (HSH), évoluant vers une multirésistance aux antibiotiques, faisant même soulever la notion de bactérie «XDR» (Extensively Drug Resistant), réduisant les possibilités thérapeutiques chez les patients symptomatiques. (À ce sujet, lire notre article: La résistance de Mycoplasma genitalium aux antibiotiques est très élevée chez les HSH sous PrEP)
Ces chiffres, qui montrent une stabilité de Ct et rareté de Ng, rapprochés des données de surveillance des IST qui montrent une forte augmentation dans les pays européens dont la France, laissent penser que l’augmentation est concentrée dans des populations particulières.
Acceptation sociale de l’homosexualité et de la transidentité
C’est l’un des résultats marquants de cette étude, par rapport à 2006. En 2023, l’acceptation sociale de l’homosexualité a beaucoup augmenté. Aujourd’hui, près de 70% des femmes et un peu moins de 56% des hommes considèrent que l’homosexualité est une sexualité comme une autre. Une augmentation qu’on retrouve dans les chiffres concernant l’acceptation que son enfant soit homosexuel, avec respectivement 77,9% et 72,6% pour les femmes et les hommes. Un changement à mettre en lien avec l’évolution récente du contexte juridique sur l’accès à la parentalité pour les couples de femmes et les femmes seules.
Selon l’enquête, en 2023, une personne sur mille déclare avoir entrepris des démarches pour changer de genre. Par ailleurs, 2,3% des femmes et 2,4% des hommes déclarent avoir déjà considéré un changement de genre, un chiffre qui monte à 6% chez les 18-29 ans. C’est la première fois que la transidentité fait partie de l’enquête
Vis-à-vis de la transidentité, les niveaux d’acceptation sont moins élevés: seulement 42% des femmes et 32% des hommes considèrent que la transidentité est une identité comme une autre. Les pourcentages de personnes déclarant qu’elles n’auraient pas de problème à accepter que leur enfant soit transgenre sont de 40% pour les femmes et 33% pour les hommes.
Ces réponses attestent d’une réflexivité en évoution sur le genre au niveau national. Les questions liées à la transidentité sont relativement récentes dans le débat public et social. Le mouvement des personnes trans a porté avec force sur la scène publique les violences et discriminations de tous ordres subies dans la famille, dans l’école, dans l’espace public mais aussi les obstacles mis par le droit et par la médecine à la transition de genre.
Ces évolutions positives laissent exister un haut niveau de résistances qui se traduisent par les discriminations subies par les personnes qui ont des rapports avec des personnes du même sexe, et plus encore par les personnes trans avec leur enchainement de violences physiques et psychologiques et leur cortège d’effets en santé mentale et en exclusion sociale.
(Voir à ce sujet le BEH de mai 2021: Stigmatisation des minorités sexuelles : un déterminant clef de leur état de santé (Journée internationale de lutte contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie, 17 mai))
Pratiques de l’homosexualité et autodétermination
Ces changements d’attitudes face à l’homosexualité, on les retrouve dans les informations sur l’orientation sexuelle abordée comme dans les enquêtes antérieures dans plusieurs de ses dimensions : Attirance, pratique, identité, soit le fait d’être attiré par une personne du même sexe, le fait d’avoir des partenaires sexuels du même sexe, et le fait de se définir comme hétéro, gay ou autre.
Si on regarde l’attirance, près de 15% des femmes de 18-89 ans et 8,3% des hommes ont déjà été attirés par une personne du même sexe. Chez les plus jeunes, les pourcentages sont encore plus élevés, avec 36,6% des femmes et 15,7% des hommes.
Concernant les pratiques, près de 9% des hommes et des femmes déclarent avoir déjà eu au moins un partenaire du même sexe. En majorité, ce chiffre concerne des personnes ayant des rapports sexuels avec des personnes de plusieurs sexes et/ou genres, celles n’ayant eu que des partenaires du même sexe représentant une petite minorité. Des chiffres, là-encore, beaucoup plus importants pour les 18-29 ans. Quand on les compare aux chiffres de l’étude CSF de 2006, on note une forte augmentation.
Pour la première fois, un indicateur global permet de définir d’une sexualité qui n’est pas strictement hétérosexuelle, en prenant en compte le fait d’avoir été attiré par une personne du même sexe, d’avoir eu un partenaire du même sexe, ou de se définir comme homo ou bisexuel. Et l’enquête nous montre que 22,6% des femmes et 14,5% des hommes peuvent être rattachés à cet indicateur et être considérés comme non-strictement hétérosexuels. Chez les 18-29 ans, ce chiffre monte à 38% chez les femmes et 18% chez les hommes.
Ce chiffre, qui souligne des changements profonds dans la façon dont les personnes pensent et vivent leur sexualité, est extrêmement intéressant d’un point de vue social, en tant que tel il témoigne d’une évolution profonde de la société, et interpelle les catégories utilisées dans les stratégies de santé sexuelle et dans les études et la recherche. Il interroge en effet les catégories utilisées dans le cadre de la recherche et leur pertinence. Pour Nathalie Bajos, «les résultats associés à ce nouvel indicateur vont et doivent entrainer des échanges, avec tous nos collègues à l’ANRS-MIE, en épidémiologie, en sciences sociales, et ils vont interroger aussi les définitions utilisées dans les politiques de prévention vis-à-vis des personnes qui ne sont pas strictement hétérosexuelles».
En effet, l’exposition aux violences, rapports forcés ou tentatives, concerne 53% des femmes et près de 30% des hommes qui rapportent des partenaires de même sexe. Ces expériences sont également très communes chez les personnes qui indiquent à un moment de leur vie avoir pensé à changer de sexe (43%). La fréquence des violences rapportées par les personnes qui ne se conforment pas à une identité de genre binaire ou à une pratique strictement hétérosexuelle exprime la persistance des modèles dominants et leurs effets délétères.
Ces données de cadrage mettent en évidence des évolutions importantes dans le rapport à la vie sexuelle dans la société française, mais aussi la persistance d’une hétéronormativité toxique. La mise au jour des déterminants de ces phénomènes et du dessin des identités et pratiques émergentes à travers les générations et les milieux sociaux qu’elles vont continuer à permettre d’esquisser est attendue impatiemment. Il faudra pour cela attendre quelques mois, avec la publication du grand ouvrage de référence comme ceux auxquels ont abouti les enquêtes de 1992 et 2006, offrant à réflexion de la société française un miroir d’elle-même.
Un nombre de violences sexuelles rapportées en augmentation
Les violences sexuelles ont sensiblement augmenté au fil du temps: en 2023, 29,8% des femmes et 8,7% des hommes de 18 à 69 ans ont déclaré avoir subi un rapport forcé ou une tentative de rapport forcé au cours de leur vie. Chez les 18-25 ans, ces pourcentages sont encore plus élevés.
Ces violences sont plus souvent déclarées, en partie grâce à l’abaissement de ce que les chercheuses appellent un seuil de tolérance aux violences sexuelles, notamment à l’intérieur du couple mais pas seulement: ces faits qui sont au cœur du débat public sont désormais plus faciles à qualifier mais aussi à déclarer dans les enquêtes. Les analyses comparant les déclarations des mêmes générations dans les enquêtes de 2006 et de 2023 confirment la plus grande capacité de déclaration de ces violences.