Les chiffres de l’incidence, qui estiment le nombre de personnes infectées pendant une période donnée, sont essentiels mais restent encore difficiles à calculer. Santé publique France, pour ses dernières estimations, a développé un nouveau modèle prenant en compte le stade et le niveau de CD4 au diagnostic, l’éventualité et la date du dernier test négatif, la date d’arrivée en France pour les personnes nées à l’étranger.
Ce modèle permet ainsi de disposer pour les personnes nées à l’étranger de l’estimation du moment de l’infection —avant ou après leur arrivée en France— ainsi que des délais entre l’arrivée sur le territoire national et le diagnostic. Ce mode de calcul et d’estimation permet également de disposer, pour tous les groupes de population, des délais entre l’infection et le diagnostic, du nombre de nouvelles infections incidentes par année, ainsi que la taille de la population non diagnostiquée.
Ces informations donnent à voir une image fine de la dynamique de l’épidémie VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. et donc, les succès et les limites des stratégies de la prévention combinée. Notons que ces nouveaux paramètres ne sont pas comparables aux informations antérieures, puisque ces dernières ne prenaient pas en compte la date d’arrivée en France pour les personnes nées à l’étranger.
Les chiffres de l’incidence
Santé publique France estime que 3650 (IC: 3271- 4030) personnes ont été contaminées par le VIH en France en 2023.
En 2023, les personnes nées à l’étranger acquièrent l’infection VIH en France pour 42% (40%-45%) d’entre elles, des chiffres qui confirment les données des études PARCOURS et GANYMEDE menées respectivement en 2012-13 et 2021-22 par des équipes soutenues par l’ANRS-MIE.
Cette proportion est plus élevée pour les hommes ayant des rapports avec des hommes (HSH) et les hommes hétérosexuels, et la plus faible chez les femmes, infectées plus nombreuses et plus jeunes, notamment en Afrique subsaharienne d’où vient une part importante de celles-ci. Les personnes trans et les usagers de drogue sont en position intermédiaire.
En 2023, les découvertes d’infection VIH, tous groupes confondus, ont été faites dans un délai médian de 1,9 ans (IIQ 0,6-4,8) après l’infection. Ce délai médian est proche d’un an pour les HSHHSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes. et les personnes trans, quel que soit leur lieu de naissance, de 2 ans pour les femmes nées en France et de 3 pour les hommes nés en France. Il est encore plus long pour les personnes nées à l’étranger et les usagers de drogue injectable (UDI). En revanche, pour les personnes nées à l’étranger, le délai médian entre l’arrivée en France et le diagnostic en 2023 est de 3 mois, un très bon chiffre.
Une baisse du nombre de nouvelles infections jusqu’en 2021
Sur la période 2012- 2023, on observe une baisse globale de l’incidence, donc du nombre de nouvelles infections, jusqu’en 2021. Cette baisse semble se stabiliser ensuite, même si les estimations pour les années 2022 et 2023 restent dans un intervalle de confiance qui ne permet pas de trancher s’il y a stabilité ou évolution à la hausse, pour tous les groupes.
Si on observe cette baisse dans le détail, on peut voir que les HSH nés en France, avec le nombre le plus élevé de cas incidents, ont une part majeure dans cette évolution, puisque l’incidence dans cette population a connu une baisse rapide jusqu’en 2021. Pour les hétérosexuels nés en France, hommes et femmes, la tendance estimée est lentement décroissante jusqu’en 2020, avec des niveaux très bas en nombre absolu.
Chez les personnes nées à l’étranger, au contraire, le nombre d’infections incidentes apparaît croissant depuis 2020, pour les HSH, les hommes hétérosexuels et les femmes cis.
Enfin, ce modèle d’incidence nous permet d’estimer la population non diagnostiquée en France à 10756 personnes avec un intervalle de confiance de 10244 à 11267 et une répartition de 85%/15% selon le lieu d’acquisition de l’infection en France ou à l’étranger.
Ce chiffre est très différent de celui qu’on prêtait à l’épidémie, improprement appelée «cachées», qui était estimée à 25000, 28000 ou même 30000 depuis 2013. Cette estimation figure dans la plupart des documents de formation ou des campagnes de dépistage, et un véritable effort de pédagogie sera nécessaire pour expliquer que cette différence de chiffres est due à une méthode de calcul plus précise.
Améliorer l’accès à la prévention
Cet ensemble d’information est précieux pour concevoir les inflexions à apporter aux stratégies de dépistage et de prévention. Les chiffres concernant le nombre de découvertes du VIH chez les personnes nées à l’étranger doivent être mis en relation avec le nombre croissant d’entrées d’étrangers en France et la taille de l’immigration en France : 2,812 000 personnes sont entrées en France selon l’Insee entre 2012 et 2022, dont 795 000 de 2020 à 2022.
On peut donc considérer que le taux de découvertes rapportées à une population immigrée croissante, en prenant en compte la rapidité du diagnostic après l’arrivée, témoignent d’une bonne performance du dépistage et de la prise en charge médicale des migrants en France. C’est sans doute sous ce prisme qu’il faut envisager l’amélioration nécessaire de l’accès à la prévention en France pour ces populations, une amélioration inséparable de celles de leurs conditions de vie.
Concernant les personnes nées en France, les chiffres appellent à continuer, à élargir et consolider la prophylaxie pré-exposition (PrEP) chez les HSH. Les données d’ERAS 2023 en indiquent les directions : aller vers les HSH les plus éloignés des communautés des grandes villes et de leurs codes identitaires 1VIH et autres infections sexuellement transmissibles : enjeux de la surveillance et de la prévention, BEH 2023 et continuer la normalisation de la PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. comme option de première intention dans une population très exposée et son utilisation à long terme. Des directions stratégiques que les nouveaux médicaments à longue durée d’action faciliteront peut-être.
La stratégie est plus complexe pour les femmes et les hommes nés en France, car ces chiffres d’incidence nous montrent que le risque existant est très bas et dilué dans la population et les régions. Grâce à sa forte accessibilité géographique —plus de 4000 laboratoires de biologie médicale en France— et psychologique —pas d’intermédiaire dans la réalisation de la sérologie—, le dispositif de dépistage «VIH Test» devrait permettre de s’adresser à cette population en particulier. Mais une meilleure compréhension des conditions d’exposition reste aussi bien évidemment nécessaire.