La PrEP en 2023 : encore de vastes marges de progrès et de diversification

Cette fin d’année est l’occasion d’un point très actualisé sur la PrEP avec des informations du 1er semestre 2023 : celles du système national des données de santé (SNDS) et les premiers résultats de l’étude ERAS.

Le groupement d’intérêt scientifique Epi-Phare (ANSM-CNAM) publie les informations actualisées sur l’utilisation de la PrEP au 30 juin 2023 à partir des informations du SNDS de remboursement de Truvada et génériques par l’assurance-maladie, sur la base des délivrances du médicament en pharmacie. À noter d’emblée que sont exclus de ces chiffres les usagers qui reçoivent la PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. gratuitement en CeGIDDCeGIDD Centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD) des infections par les virus de l'immunodéficience humaine, des hépatites virales et des infections sexuellement transmissibles. Ces centres remplacent les Centres de dépistage anonyme et gratuit (CDAG) depuis le 1er janvier 2016. faute de couverture maladie ou pour d’autres raisons. Leur nombre devrait être connu par les informations à venir par la base d’information des CeGIDD (SurCeGIDD).

L’actualisation annuelle d’Epi-phare confirme la diffusion régulière de la PrEP : au cours de chacun des deux derniers semestres, un peu plus de 10 000 personnes ont commencé la PrEP (soit plus 7% par rapport à l’année antérieure), et au total 52 802 personnes ont reçu la PrEP au 1ᵉʳ semestre 2023 sur les 84 997 qui en ont reçu au moins une fois depuis 2016, soit une augmentation de 24% sur 12 mois. La part de l’Île-de-France, et de Paris au sein de la région, diminue progressivement à mesure de la diffusion de la PrEP dans les autres grandes régions métropolitaines, mais aussi au profit des assurés des communes rurales ou des petites villes (les communes de <10 000 habitants représentent désormais 15,5 %, soit entre 2019 et 2022 un plus que doublement des nouveaux usagers)

Des caractéristiques stables

Au-delà de la commune de résidence, les caractéristiques individuelles des usagers sont très limitées dans les bases de données de l’assurance-maladie : sexe, âge, mode de couverture. Et ces caractéristiques à l’initiation évoluent peu avec une quasi-stabilité de l’âge médian (36 ans, avec un intervalle inter-quartile de 26 à 43 ans) et une lente progression de la proportion de femmes – 4,6% au premier semestre 2023 (soit 459 femmes) – vs 2,6% en 2020. Les assurés via la CSS (intégrant CMU-C et ACS) sont progressivement plus nombreux, passant de 7,1% en 2020 à 8,9% dans ce premier semestre 2023.

Le maintien de l’utilisation de la PrEP d’un semestre à l’autre se situe à près de 90 % avec, par semestre, un nombre médian de délivrances de 2 (0-4) ; 23,5% des usagers ont eu 5 délivrances du médicament ou plus, ce qui indique une PrEP prise en continu sur le semestre, cette proportion ayant tendance à baisser. Ces chiffres invitent à mieux caractériser les usages de la PrEP dans le temps.

L’autorisation d’initiation de la PrEP depuis juin 2021 en ville se traduit par une augmentation de la proportion de médecins de ville dans la prescription et le renouvellement de la PrEP : 42% sur les 12 derniers mois.

C’est donc un tableau en demi-teinte de la diffusion de la PrEP : des marges à gagner chez les hommes, en particulier comme le montrent les informations issues d’ERAS (voir plus bas) pour augmenter le niveau de protection et un accès des autres populations exposées, notamment parmi les femmes et les hommes migrants.

Les apports d’ERAS

Annie Velter a présenté les caractéristiques des hommes éligibles à la PrEP selon les critères basés sur l’AMM et les traits de ceux qui ne l’utilisent pas, à l’occasion du 1ᵉʳ décembre. Elle met en évidence des freins individuels et des freins structurels à la PrEP.

Un tiers des HSHHSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes.  non séropositifs au VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. sont éligibles à la PrEP et parmi eux, 51% l’utilisaient début 2023. Les profils sociaux, sexuels, identitaires étaient contrastés vis-à-vis de l’usage de la PrEP, au détriment des plus jeunes, des moins diplômés, des moins aisés, des moins identitaires, ayant une vie sexuelle avec moins de partenaires et pratiquant moins de chemsexChemsex Le chemsex recouvre l’ensemble des pratiques relativement nouvelles apparues chez certains hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH), mêlant sexe, le plus souvent en groupe, et la consommation de produits psychoactifs de synthèse.

Les non-usagers habitent davantage hors de l’Île-de-France et dans des aires moins denses où l’accès aux soins est sans doute réduit, mais aussi dans des relations avec les médecins dans lesquelles l’expression des besoins liés à la santé sexuelle est plus limitée.

La différence entre les hommes nés à l’étranger et les hommes nés en France est faible : parmi les prépeurs 8% sont nés à l’étranger contre 6% parmi les non prépeurs, ce qui suggère que l’enquête ERAS n’a vraisemblablement pas atteint suffisamment la catégorie des HSH nés à l’étranger, les plus éloignés de la communauté.

Cette observation rejoint les données d’Epi-phare: les étrangers assurés via l’Aide médicale d’État comptent pour 195 personnes au total depuis 2016 (sur 85 000), un royal 0,2% sur la période et 0,1% au premier semestre 2023, alors même que parmi eux se trouvent des personnes très exposées du fait de la précarité de leurs conditions de vie et pour une bonne part du fait de leur appartenance à une communauté dans laquelle la prévalencePrévalence Nombre de personnes atteintes par une infection ou autre maladie donnée dans une population déterminée. du VIH non diagnostiquée est élevée. Ce double constat invite à une recherche et des interventions auprès de ces hommes parmi lesquels selon la déclaration obligatoire, les nouveaux diagnostics augmentent (lire notre article).

On observera aussi l’accent à mettre sur le dépistage et son articulation avec la proposition PrEP : rapprocher le dépistage des 42% qui n’ont pas fait de test dans les 12 derniers mois, mais aussi comprendre comment les 38% qui en ont fait 1 ou 2 et les 20% qui en ont fait 3 ou plus ont été informés sur la PrEP à l’occasion de ces tests, voire se la sont vu proposer.

La diffusion géographique de la PrEP se poursuit à un rythme soutenu, mais la diversification de ces usages pour les plus exposé.e.s nécessite un double effort de recherche et d’innovation en ingénierie préventive.