La prévention biomédicale et le changement de paradigme qu’elle a provoqué ont permis de renforcer l’offre préventive. Celle-ci compte désormais le dépistage, le préservatif, mais aussi le traitement post-exposition, la prophylaxie préposition (PrEP) et le traitement comme prévention pour les personnes vivant avec le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi.
Dans ce contexte évolutif, il est plus important que jamais d’évaluer l’appropriation de l’ensemble de ces outils dans une population qui est toujours disproportionnellement touchée par l’épidémie de VIH: les hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes, les HSHHSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes. C’est le but des enquêtes Rapport au Sexe (ERAS) 2017, 2019, 2021 et 2023, dont les résultats ont permis à Annie Velter et son équipe à Santé publique France d’estimer la couverture préventive de cette population. Ce nouvel indicateur a été présenté par la chercheuse à l’occasion des journées santé sexuelle 2024, organisées par la SFLS, le SPILF et Santé publique France.
ERAS, depuis 2017, est une enquête transversale, répétée, anonyme, en ligne, et qui est basée sur le volontariat, mise en place par Santé publique France, avec le soutien de l’ANRS-MIE. Un site internet est totalement dédié à cette enquête et permet aux volontaires de répondre à un questionnaire en ligne, de février à mars ou avril. Le recrutement des participants a un peu évolué depuis 2017, il se fait désormais exclusivement via le numérique. Des bannières, autrefois sur des sites de rencontre gay, sont aujourd’hui placées sur des applications géolocalisées, mais également sur des sites d’information communautaire. Les bannières sont également diffusées sur les réseaux sociaux auprès d’hommes majeurs avec un certain profil, malgré les difficultés de ciblage sur ces plateformes. Le questionnaire, auto-administré, est plutôt court, même si le nombre de questions a augmenté au cours du temps. Il recueille les caractéristiques socio-démographiques, des informations sur les modes de vie, la santé, et évidemment, la sexualité, les comportements préventifs, que ce soit avec les partenaires réguliers ou occasionnels, dans les six derniers mois avant l’enquête et lors du dernier rapport sexuel.
Lors de ses quatre éditions, ERAS a regroupé énormément de participants, puisque plus de 83 000 participants ont rempli le questionnaire. Parmi elles, seuls les répondants indiquant résider en France, et répondant à la définition de HSH (avoir déjà eu un rapport sexuel avec un homme), mais aussi qui déclaraient avoir eu au moins un partenaire occasionnel dans les six derniers mois, ont été pris en compte pour cette analyse. Les résultats présentés portent sur plus de 44 000 participants, 10192 pour 2017, 12901 pour 2019, 7752 pour 2021, et enfin, 13219 pour 2023. Ce nouvel indicateur prend en compte l’ensemble des répondants, quel que soit leur statut sérologique.
Évaluer l’exposition au VIH selon les pratiques sexuelles
Six catégories de participants, mutuellement exclusives, ont été mises en évidence. Les quatre premières ont été considérées comme ayant des pratiques sexuelles ne pouvant pas transmettre le VIH:
- les personnes, quel que soit leur statut sérologique, qui n’ont pas pratiqué de pénétration anale avec leurs partenaires occasionnels;
- les personnes, quel que soit leur statut sérologique VIH, qui ont pratiqué la pénétration anale en utilisant systématiquement des préservatifs;
- les personnes vivant avec le VIH avec charge viraleCharge virale La charge virale plasmatique est le nombre de particules virales contenues dans un échantillon de sang ou autre contenant (salive, LCR, sperme..). Pour le VIH, la charge virale est utilisée comme marqueur afin de suivre la progression de la maladie et mesurer l’efficacité des traitements. Le niveau de charge virale, mais plus encore le taux de CD4, participent à la décision de traitement par les antirétroviraux. indétectable grâce aux traitements qui ont pratiqué la pénétration anale non protégée par le préservatif avec des partenaires occasionnels;
- Les personnes ayant eu des pénétrations anales sans préservatif mais protégées par la PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. avec des partenaires occasionnels
Les deux dernières catégories sont considérées comme ayant des pratiques sexuelles les exposant à un risque d’infection ou de transmission du VIH:
- Les personnes séropositives sans traitement ou avec une charge virale détectable pratiquant la pénétration anale sans préservatif avec des partenaires occasionnels;
- Les personnes séronégatives ou non testées, qui ne sont pas sous PrEP, et qui pratiquent la pénétration anale sans préservatif avec des partenaires occasionnels.
Une couverture préventive stable
Selon Annie Velter, la couverture préventive n’a pas beaucoup augmenté entre 2017 et 2023, et passe de 71% à 73% :
- La proportion de personnes ne pratiquant pas la pénétration anale est stable à environ 15%;
- L’usage systématique du préservatif est en forte baisse, passant de 46% à 28%;
- Cette baisse est compensée par la part des HSH séronégatifs sous PrEP, qui augmente de manière significative, de 5% à 25%;
- La proportion de personnes vivant avec le VIH sous traitement avec une charge virale indétectable reste stable, à 6%.
Notons au passage que le nombre de rapports sans pénétration varie peu, que ce soit selon le temps, l’âge, le lieu de résidence ou l’orientation sexuelle exclusive ou pas, sans que pourtant cette pratique soit spécifiquement valorisée dans la prévention.
Cette évolution varie selon les groupes d’âges : chez les 18-24 ans, où on constate effectivement une diminution de l’usage des préservatifs avec les partenaires occasionnels (d’environ 48% à 33% des participants), mais l’usage de la PrEP augmente peu (1,6% à 10,9%) et les pratiques sexuelles exposant à un risque d’infection par le VIH en 2023 représentent 40% des relations sexuelles dans les 6 derniers mois. Chez les 25-44 ans, la part de la PreP est de 28% au détriment du préservatif, et la non protection des rapports avec pénétration reste de 26%.
On constate également une différence en fonction du lieu de résidence déclaré : les HSH résidant dans une ville de moins de 100 000 habitants protègent moins leurs pénétrations (31% V.S. 21% pour ceux qui résident dans une grosse agglomération), avec toujours ce différentiel sur l’usage de la PrEP et la diminution systématique de l’usage du préservatif.
Et enfin, seuls 9% des HSH se déclarant bisexuels utilisent la PrEP, contre 29% des homosexuels, avec un niveau de non-protection estimé à un niveau important, 34%.
Profil des participants à l’enquête ERAS
Les participants sont majoritairement des hommes nés en France : on relève très peu d’hommes nés à l’étranger parmi les participants (environ 6%), et pour la majorité d’entre eux, ils sont nés dans un pays européen ; ce qui suggère un biais de participation alors même que l’on sait que les HSH nés à l’étranger hors d’Europe constituent un groupe dont le nombre de nouveaux diagnostics ne baisse pas. Le niveau d’études supérieures au BAC est également important, de 68% à 75% des participants. Ils sont urbains, même si on constate une diminution des personnes résidant dans de grosses agglomérations (47% à 42%). Enfin, c’est un échantillon qui connait une situation financière assez confortable (de 53% à 64%).
La chercheuse a également constaté un vieillissement de la population qui participe à cette enquête —phénomène classique dans les enquêtes répétées —: on passe de 31 ans en médiane en 2017 à 38 ans en 2023, avec une part de moins de 25 ans qui passe de 30% à 14%.
Les participants sont majoritairement homosexuels (environ 80%), avec une proportion de personnes se déclarant bisexuelles en légère augmentation (de 12% pour 2017 à 17% en 2023). La plupart fréquente des lieux de convivialité homosexuelle (environ 70%) et ont eu plusieurs partenaires dans les 6 derniers mois: plus de 10 pour 26% en 2017, 30% en 2023.
Les chiffres du recours au dépistage sont encourageants, même si encore insuffisants, puisqu’il a augmenté significativement entre 2017 et 2023, passant de 56% à 64%.
Des résultats comparables dans plusieurs pays
Annie Velter a rappelé que ces résultats ne sont pas représentatifs de l’ensemble de la population HSH en France, mais que le dispositif ERAS permet l’obtention d’un échantillon solide, avec des profils diversifiés, et ce, malgré un vieillissement notable des participants.
Les résultats sont d’ailleurs similaires à ceux présentés par les collègues étrangers, en particulier ceux de Martin Holt pour l’Australie, qui rapportaient une couverture préventive de 75% environ pour 2021, un chiffre proche des 73% observés en France. Différence notable cependant : La couverture préventive offerte par la PrEP est de 35% en Australie, ce qui explique en partie les excellents résultats dont le pays peut se prévaloir ces dernières années.
Enfin, les différents résultats obtenus selon l’âge, selon le lieu de résidence ou encore entre bisexuels et homosexuels demandent à être mieux expliqués et confirment l’importance de rechercher des moyens de proposer ou de rendre disponible une prévention adaptée autant que ce peut aux comportements sexuels.