La CROICROI «Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections», la Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes annuelle où sont présentés les dernières et plus importantes décision scientifiques dans le champs de la recherche sur le VIH. aime bien surjouer un concept, surtout quand il est made in US, – on se souvient du « cure » de la Croi 1996, David Ho devenant dans la foulée « man of the year » du Time. Cette année, c’est la dernière session plénière qui a donné le LA avec ce titre emphatique : « The end of oral ? How long-acting formulations are changing the management of infectious diseases ». Il ne s’agit point, là, du stade oral de la théorie freudienne de la sexualité infantile, premier stade de l’évolution libidinale, mais de voir les maladies infectieuses se passer du per os pour virer vers le tout-injectable ?
À la manœuvre du concept, Charles W. Flexner, médecin, pharmacologue et professeur à l’Université Johns Hopkins. Son propos est calqué d’une sentence quasi biblique qui lui servira d’introduction et de conclusion : « People don’t fail drugs. Drugs fail people ». Sous-entendu, ce sont les molécules qui font échouer les patients dans leur traitement. Dès lors, à partir d’exemples d’échec des traitements per os et de beaucoup d’autocitations scientifiques, le pharmacologue distingué narre un changement de paradigme en cours, à la fois vers le tout-long acting et vers le tout-injectable. Et ce dans le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. mais aussi dans la tuberculose, le VHB et le VHC.
LA à Denver
Au-delà de l’acquis, plutôt la success story (cabotégravir + rilpivirine en thérapeutique du VIH et cabotégravir en prévention), une partie sélective des molécules futuristes est passée en revue, sans réelle mise en perspective clinique – acceptabilité, effets secondaires, perspectives de disponibilité… Bictégravir dimer (XVIR 131) en sous-cutané (#654), emtricitabine injectable, association ténofovir/3TC/dolutégravir long acting (AIDS 2023 Nov 15;37(14):2131-2136), lamivudine en gel long acting (LA)…
Dans la tuberculose, la bedaquiline LA et autres diarylquinolines LA, la rifapentine LA. Dans l’hépatite B, le proof of concept du ténofovir TAF en un ou deux implants dont les effets secondaires semblent limiter la portée (Caprisa 018 ; # 123) ou dans l’hépatite C, le glécaprevir et le pibrentasvir en LA, chez le rat (# 161). Comme le pointait l’un d’entre nous, il ne manquait que le paracétamol LA.
Reste que ce changement de paradigme annoncé ne tient pas compte d’un élément clé : le désir des patients. On ne peut pas laisser croire – cf. les études ayant précédé la mise à disposition de CABO/RILPI – que 100 % veulent du LA injectable. D’autres voies sont attendues par les PVVIHPVVIH Personne vivant avec le VIH notamment les formes LA per os. D’où un petit rappel du principe de Denver de 1983, ici :
Souvenirs 2024
De nouveaux antirétroviraux : il en faut toujours pour répondre aux questions des patients une fois de retour de la CROI. Et il en fut : le GS-1720, un inhibiteur d’intégrase dont l’originalité serait de pouvoir être administré de façon hebdomadaire ; le MK-8527, un nouvel INNTINNRTI Les inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse (INNTI en Français ou «non-nucleoside reverse transcriptase inhibitors», NNRTI, en anglais) ont un effet inhibiteur direct sur la transcriptase inverse (TI) du VIH-1 en formant une liaison réversible et non compétitive avec l'enzyme. La nevirapine, la delavirdine et l'efavirenz sont des NNRTI. proche de l’islatravir qui peut être utilisé en monoprise per os une fois par semaine, voire par mois ; le N6LS, un anticorps neutralisant à large spectre ; un anticorps monoconal, VRC07-523LS long acting associé au cabotégravir, le lénacapavir associé à deux Ac neutralisants à large spectre, téropavimab (TAB) et zinlirvimab (ZAB) ayant également une longue durée d’action (6 mois). Sans compter l’association lenacapavir/islatravir très prometteuse (#208). Mais aussi des données non concluantes sur le CABO/RILPI en IM (ou SC) tous les 4 mois (#130).
La doxycycline et la Pep des ISTIST Infections sexuellement transmissibles. sont indiscutablement les vedettes de la CROI 2024 (voir cet article). On en parle à tous les moments de la conférence. Si l’on regroupe l’ensemble de données publiées chez les HSHHSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes. le nombre de personnes à traiter pour éviter une IST est seulement de cinq. Pour les autres populations, les données sont moins probantes avec des problèmes d’observance au traitement préventif dans l’essai mené au Kenya chez des femmes sous PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. (Stewart et al. NEJM 2023). On sent à la fois un engouement des uns et un certain doute chez les autres. Au registre qu’il est encore bien des inconnus: de l’impact individuel de la prise répétée et au long cours de doxycycline, et de l’impact en santé publique à travers le risque de résistance bactérienne. Un débat scientifique qui devrait permettre d’avancer vers des recommandations nationales et internationales.
À ce titre, la session interactive #IS06 de mardi avec Chase A. Cannon (#35), Béatrice Bercot (#36) et Stéphanie Cohen (#37) était éclairante des enjeux de la PEP des IST. Chase Cannon et Béatrice Bercot ont bien montré le spectre de cette nouvelle approche préventive qui date… des années 1950. Avec l’hésitation des cliniciens à prescrire la PEP sans guidelines, l’impact positif sur les personnes, la diminution des traitements curatifs, mais aussi les possibles mécanismes compensatoires du risque, d’antibiorésistance notamment sur les céphaloporines de troisième génération, la nécessité d’un plateau technique bactériologique opérant qui en limite l’usage, l’impact sur le microbiote, etc. Et en soulignant un paradoxe de plus : celui de l’augmentation à terme de la consommation d’antibiotiques dans une population donnée (HSH et personnes trans à risques) alors même que l’antibiorésistance est un des enjeux majeurs de l’approche One Health (voir notre article).
Autre vedette de cette CROI 2024 : la tuberculose dont l’éradication est aussi trop lente par rapport aux outils diagnostiques et thérapeutiques dont on dispose. Les objectifs de l’OMS de 2018 n’ont pas été atteints. À Denver, c’était un peu CROI-TB. Dans les sessions Tuberculose, au-delà de la tentation du LA, on a vu la course aux traitements plus courts et avec moins de molécules. Le traitement de 4 mois chez les adultes et les adolescents ayant une tuberculose sensible a déjà été validé (NEJM 2021). Mais l’essai CLOFAST (# 164 LB) qui teste l’association clofazimine + rifapentine avec l’objectif de réduire la durée de traitement à 13 semaines, a donné des résultats préliminaires qui montrent un manque d’efficacité par rapport au bras SOC (Standard of care). Ce bras SOC a également présenté un taux élevé d’événements défavorables malgré une négativation élevée des cultures à la semaine 12. Mieux, l’association quabodepistat (un nouvel antituberculeux qui cible la decaprenylphosphoryl-β-D- ribose 2′-oxidase (DprE1))+ delamanid + bedaquiline durant quatre mois (# 163 LB) testée chez 122 patients dont aucun PVVIH, ce qui fait désordre à la CROI. L’analyse intermédiaire montre des taux élevés de négativation des BK crachats pour un schéma thérapeutique généralement bien toléré. À suivre donc. Toutes ces études amènent l’OMS à revoir ses recommandations de traitement de la tuberculose maladie, comme de la tuberculose latente.
Quels autres souvenirs emporte-t-on de cette CROI 2024 à Denver ? L’envie de ne pas y retourner, peut-être tant le centre-ville est exsangue et triste (73e ville au classement des « Happiest Cities in the US » mais le soleil brille 300 jours par an, comme quoi cela ne suffit pas) ; la prise de pouvoir des bactériologistes qui se prépare ? Les symptômes que quelques congressistes ont présentés dès lors qu’ils ont pris conscience que le congrès se déroulait dans la Mile-High City, soit à 1 609 m (comme un congrès à Courchevel), l’image du feu orange pour les charges virales entre 50 et 999 copies/ml3, le badge qui n’est plus à 10 000 $ pour les industriels du médicament toujours contingentés, le sac du congrès d’un bleu et d’une facture réussis avec une carte du monde en décoration intérieure où il manque… l’Australie pays-phare de la PrEP et du TasPTasp «Treatement as Prevention», le traitement comme prévention. La base du Tasp a été établie en 2000 avec la publication de l’étude Quinn dans le New England Journal of Medicine, portant sur une cohorte de couples hétérosexuels sérodifférents en Ouganda, qui conclut que «la charge virale est le prédicteur majeur du risque de transmission hétérosexuel du VIH1 et que la transmission est rare chez les personnes chez lesquelles le niveau de charge virale est inférieur à 1 500 copies/mL». Cette observation a été, avec d’autres, traduite en conseil préventif par la Commission suisse du sida, le fameux «Swiss statement». En France en 2010, 86 % des personnes prises en charge ont une CV indétectable, et 94 % une CV de moins de 500 copies. Ce ne sont pas tant les personnes séropositives dépistées et traitées qui transmettent le VIH mais eux et celles qui ignorent leur statut ( entre 30 000 et 50 000 en France). et le chinook, ce vent qui souffle régulièrement depuis les montagnes Rocheuses vers la ville et qui assèche les muqueuses (certaines).
Vous pouvez retourner à la vraie vie : rendez-vous à San Francisco en 2025.
Cet article a été publié dans le e-journal de la Lettre de l’infectiologue consacré à la CROI 2024. Nous le reproduisons ici avec l’aimable autorisation d’Edimark.