DoxyPEP : la doxycycline en traitement post-exposition, star de la CROI 2024

La 31e conférence scientifique annuelle sur les rétrovirus et les infections opportunistes, la CROI 2024, se tient du 3 au 6 mars à Denver, aux États-Unis. Le Dr Cédric Arvieux est présent sur place pour le COREVIH-Bretagne.

C’est indiscutablement la vedette de la CROICROI «Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections», la Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes annuelle où sont présentés les dernières et plus importantes décision scientifiques dans le champs de la recherche sur le VIH. 2024. On en parle à tous les coins du centre de conférence. On sent une certaine crispation entre les partisans sans condition de l’utilisation de la doxycycline en traitement post-exposition et les partisans de la prudence, alléguant qu’il est assez difficile de connaître l’impact individuel de la prise répétée de doxicycline sur des périodes prolongées, ainsi que l’impact en santé publique, à travers le risque de résistance bactérienne. On le sent bien dans les discussions autour des communications sur le sujet, et on espère bien que les communications scientifiques vont permettre d’avancer vers des recommandations appropriées.

La session de symposium consacrée à DoxyPEP à travers trois communications brillantes, très bien documentées et très bien illustrées permet de se faire une idée assez précise de la situation actuelle. (Les webcasts sont donc fortement recommandés pour ceux qui s’intéressent au sujet.)

Introduction à DoxyPEP : comprendre les enjeux

Chase A. Cannon, University of Washington, Seattle, WA, USA

La doxycycline a l’avantage d’être assez bien tolérée, d’avoir un large spectre sur les ISTIST Infections sexuellement transmissibles.  d’être utilisée depuis de nombreuses années pour d’autres pathologies que les IST : on n’est donc pas dans l’inconnu!

Bénéfices quantitatifs de doxyPEP
• Efficacité prouvée pour la réduction des IST bactériennes ; NNT = 5
• Taux de syphilis et de CT (~ 75 %)
r Inférieur pour GC (~ 55 %), en supposant la sensibilité de l'isolat
• Sûr, bon marché, bien toléré, hautement acceptable
• Réduit l'utilisation de ceftriaxone de 50 % (compromis pour la doxycycline ?)
• PEP vs PrEP : moins de jours d'exposition à la doxycycline
Bénéfices quantitatifs de DoxyPEP, Chase A. Cannon, University of Washington, Seattle, WA, USA, CROI 2024

Chez les HSHHSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes.  le premier essai ayant montré l’efficacité en post-exposition sur syphilis et chlamydiae portait sur seulement 30 personnes (Bolan et al. Sex trans Dis 2015). Ces résultats ont été ensuite renforcés par une sous étude d’Ipergay (Molina et al. Lancet 2018), puis de l’essai DoxyPEP (Luetkemeyer et al. NEJM 2023). Concernant ce dernier essai, dans la phase en ouvert ayant suivie la phase randomisée, communiquée lundi 4 mars à la CROI, on retrouve une persistance de l’efficacité pour réduire l’incidence des IST. L’essai DOXYVAC a également montré une efficacité sur la partie doxycycline (lire notre article sur le sujet), même si le vaccin contre le méningocoque s’est finalement montré inefficace dans la prévention du gonocoque. Si l’on regroupe l’ensemble de ces résultats,  chez les HSH, le nombre de personnes à traiter pour éviter une IST est seulement de 5, ce qui montre une haute efficience. Hors HSH, les données sont moins convaincantes, avec des problèmes d’adhésion au traitement préventif dans l’essai mené au Kenya chez des femmes sous PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. (Stewart et al. NEJM2023).

 Si le TPETPE Traitement (ou prophylaxie) post-exposition. Consiste à prescrire à une personne exposée à l'infection par le VIH, lors d’un accident d’exposition professionnel ou sexuel, une multithérapie d'antirétroviraux, de préférence dans les 4h qui suivent l'accident.  par doxycycline est aussi efficace, pourquoi ne l’utilise-t-on pas plus largement ?

Le problème est essentiellement celui du risque d’émergence de résistance, comme on l’a vu pour la pénicilline puis la monocycline dans les années 1950. Une étude de pratique aux États-Unis montre que la DoxyPEP est connue des médecins mais qu’ils hésitent à prescrire du fait de l’absence de recommandations claires. Dans l’essai DoxyPEP, les données de résistance sont pour l’instant rassurantes, de même que dans DOXYVAC, qui ont tous les deux réalisé des analyses pour ne pas méconnaître l’émergence de résistance. Un essai récent sur le microbiome (CROI 2024) ne montre pas de changement majeur.

La tolérance est considérée comme acceptable sur le long terme, une méta analyse récente a été réalisée (Chan et al. Sexually Transmitted Diseases 2023). L’acceptation communautaire du TPE par doxycycline apparaît assez bonne actuellement, avec des messages plutôt positifs. La question est maintenant de savoir quelles sont les stratégies seront proposées pour trouver un équilibre entre diminution de l’incidence des IST et risque de résistance et d’intolérance. Il faut voir DoxyPEP comme un outil de plus dans la boîte, et se demander comment l’intégrer à l’existant.

DoxyPEP : faut-il s’inquiéter de la résistance aux antimicrobiens ?

Beatrice B. S. L. Bercot, St Louis Hospital, Paris, France

Les cyclines sont des inhibiteurs de la synthèse protéique des bactéries, avec un large spectre d’activité. La résistance peut se faire via une pompe à efflux, une inactivation enzymatique ou une protection ribosomale. La bactérie devient résistante aux cyclines essentiellement via l’expression du gène TET entraînant un mécanisme de protection ribosomale et joue également un rôle dans l’efflux. Ce gène peut être transféré d’une espèce bactérienne à une autre par un plasmide (par exemple d’un streptocoque à un gonocoque).

Comment les bactéries résistent-elles à la tétracycline?, Beatrice B. S. L. Bercot, St Louis Hospital, Paris, France, CROI 2024

Concernant Chlamydia, une espèce porcine de Chlamydia suis peut transférer son gène TET C. trachomatis, avec une CMI qui monte ainsi à 8 mg/l. Pour la syphilis, il existe également chez le porc un tréponème proche de Treponema pallidum, avec de possibles transferts de résistance. Pour le gonocoque, il y a de fortes inquiétudes sur l’émergence de souches résistantes à tous les antibiotiques, car cette bactérie a une forte capacité à multiplier les mécanismes de résistance à différents antibiotiques depuis que ceux-ci existent. La résistance aux cyclines est déjà très présente, notamment en Europe. Dans certains pays asiatiques ou africains, la prévalencePrévalence Nombre de personnes atteintes par une infection ou autre maladie donnée dans une population déterminée. de la résistance aux cyclines est encore plus élevée.

Dans DoxyPEP et DOXYVAC, on observe une petite augmentation des CMI des gonocoques, qui sont déjà assez résistants. Une question est par ailleurs de savoir si la pression liée aux cyclines favorise la résistance aux C3G. Cela ne semble pas être le cas dans une première étude, mais une communication récente (Whiley et al. Lancet 2023) montre le transfert du gène de résistance penA60 sous la pression de la doxycycline.

Concernant le microbiote, on observe une diminution de la quantité de S. aureus mais une légère augmentation de la résistance de cette bactérie aux cyclines dans DoxyPEP, mais pas de modification dans DOXYVAC. Dans l’étude DoxyPEP on retrouve également une augmentation de l’expression des gènes de résistance aux cyclines dans le groupe PEP par rapport au groupe placeboPlacebo Substance inerte, sans activité pharmacologique, ayant la même apparence que le produit auquel on souhaite le comparer. (NDR rien à voir avec le groupe de rock alternatif formé en 1994 à Londres par Brian Molko et Stefan Olsdal.)

Toutes ces données doivent nous rendre prudents, et surtout nous inciter, en cas d’élargissement des indications des cyclines en TPE, à disposer de moyens très efficaces de surveillance de l’émergence des résistances bactériennes.

Implémentation de DoxyPEP: défis et opportunités

Stephanie E. Cohen, San Francisco Department of Public Health, San Francisco, CA, USA

La question est : à qui faut-il prescrire la doxycycline en TPE? On l’a vu pour la PrEP, initialement réservée à certains HSH à haut risque, ce qui a limité l’accès par rapport à l’ensemble des personnes qui auraient pu en bénéficier et ralenti l’implémentation d’un outil puissant de réduction de risque. Par ailleurs, le fait de mettre des restrictions aggrave en général les inégalités sociales de santé: Aux États-Unis, 94% des besoins de PrEP des blancs sont couverts, contre seulement 13% de ceux des afro-américains!

À qui faut-il proposer DoxyPEP? Les recommandations actuelles n’accordent pas, Stephanie E. Cohen, San Francisco Department of Public Health, San Francisco, CA, USA, CROI 2024

Actuellement, les recommandations sont très variables d’un pays et d’une région à l’autre. Les recos les plus libérales sont celles de San Francisco avec une offre DoxyPEP chez toutes les personnes non enceintes ayant un sur-risque d’IST ou en faisant la demande. A l’inverse, les recommandations de Seattle sont beaucoup plus restrictives, collant à la population des essais cliniques (HSH multipartenaires avec ATCD d’IST multiples).

Dans les cliniques de santé sexuelle de San Francisco, les nouvelles recommandations ont été suivies d’une importante majoration des prescriptions. Les premiers résultats montrent une forte réduction de l’incidence des IST liées à chlamydiae et syphilis, non seulement chez les HSH sous PEP, mais également à l’échelle de l’ensemble de la population HSH (cf. courbe de droite dans l’image ci-dessous).

Baisse des cas de chlamydia et de syphilis précoces dans toute la ville chez les HSH à SF
après la publication des recommandations DoxyPEP, Stephanie E. Cohen, San Francisco Department of Public Health, San Francisco, CA, USA, CROI 2024

On a donc l’impression, dans la population des personnes fréquentant les cliniques de santé sexuelle de San Francisco, d’un très haut niveau d’efficacité dans la population HSH, qui permettrait peut-être à termes de réduire l’incidence de la syphilis en population générale et d’inverser la courbe des syphilis néonatales, une vraie préoccupation outre-Atlantique.

Mais il est encore beaucoup trop tôt pour se prononcer sur cela.

NDR : Ces données américaines auraient tendance à nous inciter à prescrire plus largement la doxyycycline en TPE, on est donc en attente des recommandations françaises!

Ce texte a été initialement publié sur le site du COREVIH-Bretagne, nous le reproduisons ici avec l’aimable autorisation de son auteur.