SFLS 2022 : Affronter les inégalités de genre en santé

La plénière inaugurale du congrès annuel de la Société française de lutte contre le sida (SFLS) était consacrée aux inégalités en santé liées au genre.

La session «Au-delà des frontières de genre» a ouvert le 23e congrès de la SFLS, en commençant par l’intervention dynamique de France Lert, en sa qualité de présidente de Vers Paris sans SidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. Engagée de longue date dans la lutte contre le VIH/sida, la chercheuse —et présidente de l’association Pistes, éditrice de vih.org— a tenu à parler du sort réservé aux migrants et aux exilés, des personnes qui font parties des populations clés face aux VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. Les discriminations auxquelles elles font face, au-delà de l’aspect humanitaire voire simplement humain, entretiennent l’épidémie de VIH en France: «il est absolument important de se battre contre ce recul et ce déni de droit», a-t-elle ainsi martelé. 

France Lert a ensuite rappelé plusieurs données éclairantes, comme le fait que les femmes représentent 32% des nouveaux diagnostics en 2021 mais seulement 2,5% des initiations PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. depuis 20161S. Billioti de Gage Lancet reg. Health Europe, 2022, ou l’existence de très fortes morbidités psychologiques dans les populations gays et particulièrement lesbiennes, à cause de violences et de discriminations systémiques, envers celles et ceux qui ceux qui s’éloignent des normes de genre. 

Mais les hommes hétérosexuels sont eux aussi exposés face au VIH, et connaissent un taux de dépistage des infections sexuellement transmissibles (IST) en laboratoire beaucoup plus bas que celui des femmes2BSP national, déc. 2021 et un délai au dépistage du VIH de plus de 4 ans.

C’était d’ailleurs le propos de départ de l’étude ANRS-MIE PARTAGE de Pauline Penot (CHI Montreuil), qui évaluait l’acceptabilité et la faisabilité d’une consultation prénatale de prévention dédiée aux pères d’enfants à naître dans une maternité de Seine-Saint-Denis. En effet, les femmes bénéficient de plusieurs visites de contrôle pendant la grossesse, mais les pères sont peu nombreux à y recourir. (Voir notre article : Le dépistage VIH prénatal auprès des pères : L’expérience de Montreuil.)

Si quasiment aucun diagnostic VIH chez les hommes participants n’a été découvert, les consultations médicales ont dépassé le périmètre géré par les sages-femmes et elles ont permis de mettre en place des parcours d’accès aux soins, de l’hépatite B au diabète, dans une population qui n’y avait pas recours auparavant. Ce, au prix de beaucoup d’«aller vers», d’horaires décalés et d’une exigeante résilience de l’équipe pluridisciplinaire. En fait, pour Pauline Penot, cette offre de dépistage VIH, réalisée durant la grossesse de la mère, apparaît probablement tardivement dans le parcours des personnes. 

Interroger les recommandations pour l’allaitement 

Conjuguer traitements antirétroviraux (ARV) et grossesse pose d’ailleurs des défis spécifiques. L’intervention de Laurent Mandelbrot3Service de Gynécologie-Obstétrique, Hôpital Louis Mourier, Colombes Université Paris Cité a permis de rappeler l’incroyable réussite de la prévention de la transmission mère-enfant (PTME). D’après des données provenant de la cohorte périnatale 2000-2017, aucune transmission n’a été constatée chez les personnes bénéficiant d’un traitement dès avant la conception et qui connaissent un succès virologique au moment de l’accouchement. Mais ces succès ne concernent pas l’allaitement. En France, et dans la plupart des pays du Nord, l’allaitement maternel est encore contre-indiqué pour les femmes séropositives. Il est en revanche recommandé dans les pays du Sud, tant que la mère peut bénéficier d’un traitement, et que le rapport bénéfice-risque est favorable. La Suisse, encore précurseur dans le TasPTasp «Treatement as Prevention», le traitement comme prévention. La base du Tasp a été établie en 2000 avec la publication de l’étude Quinn dans le New England Journal of Medicine, portant sur une cohorte de couples hétérosexuels sérodifférents en Ouganda, qui conclut que «la charge virale est le prédicteur majeur du risque de transmission hétérosexuel du VIH1 et que la transmission est rare chez les personnes chez lesquelles le niveau de charge virale est inférieur à 1 500 copies/mL». Cette observation a été, avec d’autres, traduite en conseil préventif par la Commission suisse du sida, le fameux «Swiss statement». En France en 2010, 86 % des personnes prises en charge ont une CV indétectable, et 94 % une CV de moins de 500 copies. Ce ne sont pas tant les personnes séropositives dépistées et traitées qui transmettent le VIH mais eux et celles qui ignorent leur statut ( entre 30 000 et 50 000 en France).   a dernièrement changé son fusil d’épaule et recommande depuis 2019 aux femmes vivant avec le VIH et en succès virologique (traitement efficace et charge viraleCharge virale La charge virale plasmatique est le nombre de particules virales contenues dans un échantillon de sang ou autre contenant (salive, LCR, sperme..). Pour le VIH, la charge virale est utilisée comme marqueur afin de suivre la progression de la maladie et mesurer l’efficacité des traitements. Le niveau de charge virale, mais plus encore le taux de CD4, participent à la décision de traitement par les antirétroviraux. indétectable), ce qui souligne peut-être le besoin de réévaluer ces recommandations. En France, un groupe de travail travaille d’ailleurs en ce moment sur le chapitre «Procréation et VIH : désir d’enfant, contraception, prise en charge de la femme enceinte et du nouveau-né» du prochain rapport d’experts, le rapport Delobel, probablement disponible au premier trimestre 2023 du fait de la lenteur du processus interne de la Haute autorité de santé (HAS).

Peut-on s’appuyer sur “Indétectable = intransmissible”, sur le traitement comme prévention, chez les femmes allaitantes vivant avec le VIH en succès virologique? Pas de manière aussi définitive que dans le cas des rapports sexuels: la possibilité de transmission du virus pendant l’allaitement ou via des cellules infectées présentes dans le lait (qui est consommé jusqu’à 1 litre/ jour) existe, même si aucun cas n’a été décrit à ce jour. Le suivi de ces personnes reste très incomplet et il n’existe pas pour l’instant de cohorte de femmes séropositives avec une charge virale indétectable enceintes qui permettraient d’évaluer l’observance, par exemple, au long cours.

Plus généralement se pose la question de la place des personnes enceintes dans les essais thérapeutiques. Les médicaments, et particulièrement les dernières générations, ne sont pas évalués auprès de cette population. On sait donc trop peu de choses sur les variations de concentration dans le sang ou les effets indésirables des ARV (risque accru d’accouchement prématuré, prise de poids) pendant cette période.

Enfin, pour conclure cette première plénière, Simon Jutant, co-rapporteur du très informatif Rapport relatif à la santé et aux parcours de soins des personnes trans, a rappelé, au nom de l’association Acceptess-T, dans sa présentation combien la transphobie était un déterminant d’inégalités en santé. Les droits des personnes trans ont récemment connu des évolutions positives, avec en 2016, la démédicalisation du changement d’état civil dans le cadre de loi de modernisation de la justice du XXlè siècle. Mais ces avancées restent accompagnées de discriminations sociales et politiques fortes, des difficultés importantes d’accès à l’emploi, au logement ou à l’aide médicale d’État (AME) pour les personnes étrangères. La loi dite de pénalisation des clients du travail du sexe pénalise les travailleurs et travailleuses du sexe et les précarise. Tant est si bien que si la visibilité des personnes trans s’est améliorée ces dernières années, une grande partie d’entre elles ont vu leur situation se dégrader, surtout depuis la crise liée au Covid-19Covid-19 Une maladie à coronavirus, parfois désignée covid (d'après l'acronyme anglais de coronavirus disease) est une maladie causée par un coronavirus (CoV). L'expression peut faire référence aux maladies suivantes : le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) causé par le virus SARS-CoV, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) causé par le virus MERS-CoV, la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) causée par le virus SARS-CoV-2. Dans les premiers chiffres 2021 du VIH communiqués par Florence Lot en fin de journée, les personnes trans sont d’ailleurs l’une des populations pour lesquelles on constate une tendance à la hausse du nombre de découvertes de séropositivité. Pour Acceptess-T, il est impératif de penser la qualité des soins de manière globale. 

Comme le soulignait France Lert, les dernières années ont sans doute apporté de grands changements dans la construction et les représentations des identités sexuées et des minorités de genre. De nouvelles données, provenant des recherches en cours (Ganymede, Trans et VIH, Vespa 3, nouvelle enquête CSF 2023, par exemple) devraient venir éclairer la prise en charge et l’accès aux soins dans les prochaines années.