Ces données, un peu inquiétantes il faut l’avouer, ont été présentées par Florence Lot, médecin épidémiologiste à Santé publique France1responsable de l’unité VIH-Hépatites B/C-IST, direction des Maladies Infectieuses, à l’occasion de l’ouverture du 22e congrès de la Société française de lutte contre le sida (SFLS) à Grenoble, et elles étaient attendues. La crise mondiale provoquée par la nouvelle épidémie de SARS-Cov-2 a en effet empêché jusqu’à présent les chercheuses et chercheurs d’obtenir et d’interpréter de manière poussée les derniers chiffres du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. en France.
Moins de dépistages, moins de sérologies positives
Grâce aux données de l’enquête LaboVIH, qui interroge des laboratoires médicaux sur l’ensemble de la France chaque année, Santé publique France nous confirme donc que le nombre de sérologies VIH a connu une baisse importante au cours de l’année 2020, de -14% par rapport à 2019. L’enquête montre également que le nombre de sérologies positives est en baisse, de -22%. Donc, moins de personnes testées, et moins de personnes dépistées.
Les données du Système national des données de santé (SNDS), qui couvre l’ensemble des bénéficiaires de l’assurance maladie, indiquent une baisse très importante du nombre de dépistages dans le secteur privé, avec une baisse de -55% entre février et avril 2020, durant le premier confinement. Cette baisse, plus importante chez les hommes (-66% contre -49% chez les femmes, peut-être à cause du dépistage prénatal), n’a pas été rattrapée dans les mois qui ont suivi.
Cette diminution du nombre de dépistages a été observé dans toutes les régions françaises et s’est également exprimée par une baisse du nombre de consultations effectuées dans les centres de dépistages gratuits (CeGIDD) au cours du 1er confinement.
Enfin, cette activité de dépistage manquante aurait pu être compensée par l’utilisation d’autotests, achetables en pharmacie, mais ça n’a pas été le cas : on observe une diminution de -22% du nombre d’autotests vendus. Ce non-report sera sans doute confirmé par la baisse probable de l’utilisation des tests sérologiques rapides (TROD) réalisés par les associations en 2020, dont on ne dispose pas encore des chiffres.
Cette baisse ne concerne pas que le VIH : Le dépistage des ISTIST Infections sexuellement transmissibles. —syphilis, chlamydia trachomatis, gonocoque— a lui aussi reculé, de -5 à -6% pour chacune.
Moins de nouvelles découvertes de séropositivité
Cela fait quelques années que les données récoltées par la déclaration obligatoire des nouveaux cas de VIH sont fragilisées par une exhaustivité trop faible: Le nombre de séropositivité VIH déclaré par ce moyen (2860 en 2020) ne reflète pas le nombre réel de diagnostics. Ces données doivent être corrigées pour prendre en compte cette sous-déclaration, et Santé publique France estime qu’en 2020, 4856 personnes ont découvert leur séropositivité, soit une baisse de -22% en 2019.
Ce chiffre pourrait apparaître comme une bonne nouvelle, s’il s’agissait des nouvelles contaminations. Mais nous ne parlons pas ici d’incidence, qui serait le nombre de personnes nouvellement contaminées une année donnée, diagnostiquées ou non. Ici, il s’agit uniquement du nombre de personnes ayant appris leur séropositivité. Une telle baisse indique très probablement que davantage de personnes ignorent leur séropositivité, puisqu’elles n’ont pas eu recours au dépistage.
D’ailleurs, il suffit d’observer les populations concernées par cette baisse : Avant la crise du Covid-19Covid-19 Une maladie à coronavirus, parfois désignée covid (d'après l'acronyme anglais de coronavirus disease) est une maladie causée par un coronavirus (CoV). L'expression peut faire référence aux maladies suivantes : le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) causé par le virus SARS-CoV, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) causé par le virus MERS-CoV, la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) causée par le virus SARS-CoV-2. et dans un contexte d’augmentation du recours au dépistage, la baisse du nombre de découvertes de séropositivité concernait principalement les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH) nés en France. Les derniers chiffres partagés le 29 septembre concernent davantage les personnes nées à l’étranger, avec une baisse de -29 % du nombre de diagnostics chez les femmes entre 2019 et 2020 et de -23% chez les HSHHSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes. nés à l’étranger.
Le diagnostic s’est fait également plus tardivement : en 2020, on voit une diminution de la découverte des infections précoces, avec seulement 25% des cas de découverte. Et 30% des diagnostics sont réalisés à un stade avancé de l’infection (avec moins de 200 CD4 ou carrément en stade sida). Ces indicateurs renforcent l’idée d’un défaut de dépistage, puisque lorsqu’il a lieu, il est plus tardif qu’avant.
Des données trop fragiles
Ces chiffres, essentiels pour comprendre et agir face à l’épidémie de VIH en France, sont fragilisés par le faible nombre de déclarations réalisées. Chez les biologistes, l’exhaustivité moyenne est de 60% et chez les cliniciens, de seulement 45%. Il existe des régions où l’exhaustivité n’est que de 4%, ce qui constitue de véritables zones d’ombres au niveau épidémiologique. Dans certains départements, nous ne disposons pas d’estimations du nombre de nouvelles découvertes de séropositivité. Cette faiblesse était jusqu’à présent compensée par les données de l’étude LaboVIH, qui confirment le nombre de sérologies positives. Mais le taux de participation à cette étude a également chuté ces dernières années: seuls 72% des laboratoires ont participé en 2019 et 2020.
Selon Florence Lot, cette baisse de la participation était déjà observée avant la crise sanitaire, mais cette dernière a aggravé le problème, à tel point que même les calculs de correction des données, qui étaient adaptés avec une participation suffisamment élevée, atteignent ici la limite de leur utilité.
Cette baisse globale du nombre de découvertes de séropositivité était attendue, vu le contexte. L’enquête ERAS réalisée pendant le premier confinement indiquait déjà une diminution des expositions chez les HSH, et une baisse du retour au dépistage. Mais qu’en est-il des autres populations exposées face au VIH, comme les personnes nées à l’étranger, qui semblent s’être particulièrement éloignées du dépistage ?
Dans tous les cas, ces données soulignent l’importance de favoriser rapidement la reprise du dépistage dans toutes les modalités offertes, comme par exemple avec l’opération “Au labo sans ordo”, qui permet d’effectuer un dépistage gratuit dans les laboratoires biologiques. En Île-de-France et dans les Alpes-Maritimes, le dispositif, pourtant récent, représente 10% des sérologies VIH réalisées, tout en attirant des populations différentes, souvent plus exposées face au VIH ou éloignées du soin. Pas suffisant pour contrer la baisse des dépistages, mais au moins cet outil là fonctionne, et il devrait être étendu à toutes la France en 2022.