La prévention biomédicale en congrès à Paris

La prévention avec l’aide des anti-rétroviraux (ARV), ça marche. Des chercheurs du monde entier sont venus en octobre à Paris discuter avec l’IAPAC (International Association of Providers of AIDS Care) des succès du Tasp, de la Prep et surtout de ce qu’il reste à faire pour enfin mettre un terme à l’épidémie de VIH/sida. 

L’objectif présenté par l’Onusida depuis 2014 est clair: que dans chaque pays, 90% des personnes vivant avec le VIH connaissent leur séropositivité, que 90% des personnes conscientes de leur séropositivité aient accès au traitement anti-retroviraux (ARV), et que 90% des personnes sous traitement atteignent des niveaux de VIH indétectables dans leur organisme. (C’est l’objectif 90-90-90.)

Pour les participants de l’IAPAC 2015, comme pour ceux du séminaire 2015 de l’ANRS sur l’impact des traitements ARV universels et précoces sur la dynamique de l’épidémie, qui vient de se dérouler à Paris également, cet objectif ne pourra pas être rempli, même si certains le jugent… insuffisant, sans l’aide des ARV.

«Test and Treat»

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande désormais de mettre sous traitement toutes les personnes vivant avec le VIH, et ce, dès la découverte de la séropositivité, et d’appliquer la stratégie du Test and Treat, traiter tôt dès le dépistage, pour atteindre la première partie de l’objectif de l’Onusida.

Le Brésil a été le premier pays à essayer de mettre en place le Test and Treat en 2013. Depuis, selon Marcelo Araújo de Freitas, le nombre de dépistages positifs est passé de 55 133 à 70 065 en 2014, avec une augmentation de 27% du nombre de personnes sous ARV. Parmi ces personnes traitées, 41% ont plus de 500 CD4, contre 14% en 2009. Parallèlement, la part de personnes à moins de 200 CD4 est passée à 20%, contre 35% en 2009. En ce qui concerne la suppression de la charge virale l’adhérence ne semble pas être un problème, avec 75% indétectables en 2009 et 78% en 2014.

Dans un pays à faibles ressources comme le Rwanda, l’accès au traitement a provoqué beaucoup de changements en 10 ans, et d’abord en « ramenant des malades du seuil de la mort », comme nous l’a rappellé le docteur Sabin Nsanzimana. Aujourd’hui, le pays ne compte aujourd’hui plus que 4% de séropositifs non dépistés.

François Dabis, de Bordeaux, a présenté les résultats de l’essai ANRS 12249, qui utilisait des autotests pour arriver au Test and treat, et donc au Tasp (treatment as prevention) dans le contexte sud africain. Malgré les limites rencontrées (25% de la population éligible n’a pas pu être contacté), la méthode de l’étude a rencontré une bonne acceptabilité chez le reste des participants, permettant également à une partie des séropositifs, qui avaient déjà été dépistés, de réintégrer le système de soin.

Prep et Tasp

Si, comme l’a rappelé David Burns, le Tasp est indispensable, il n’est pas suffisant pour infléchir l’épidémie. C’est pour cela dans ses nouvelles recommandations, l’OMS souhaite également que populations les plus exposées face aux VIH aient accès à la prophylaxie pré-expositions, la Prep Des recommandations reprises en France par le groupe d’expert menée par le docteur Morlat.

Mais comment la Prep peut-elle s’inscrire dans l’objectif de l’Onusida? Les essais PROUD et ANRS-Ipergay ont, en autre, démontré l’efficacité de la Prep, en tout cas dans le cadre des études. Mais Kenneth Mayer nous a rappelé qu’il ne faut pas oublier que les essais ne sont pas le monde réel et qu’il est impératif de connaître les chiffres de l’adhérence de la Prep et de la protection qu’elle apporte précisément (les études montrent un faible niveau de tenofovir dans le col cervical dès les premiers jours de traitement).

En revanche, peu d’effets secondaires ont été signalés dans les études et ces derniers ne sont pas responsables de l’arrêt de la Prep. De même, au niveau populationnel, le risque de transmission avec résistance n’est pas significatif selon les première études. Kenneth Mayer a aussi relevé quelques-uns des progrès qu’il reste à accomplir pour maximiser l’efficacité de la Prep: tester de nouvelles molécules, de nouvelles stratégies d’adhérence, des microbicides, des anneaux vaginaux et plus encore les ARV injectables à diffusion lente, entre autres.

Il est aujourd’hui essentiel d’adapter la Prep à toutes les populations, aux minorités (comme les hommes africains-américains ayant des rapports avec d’autres hommes, cadre de l’essai HPTN 073) comme aux adolescents (essais ATN 110/113), tout en gardant en tête que les ARV seuls ne sont pas suffisants, il faut aussi régler les autres problèmes que les personnes exposées au risque de transmission du VIH peuvent rencontrer.

Enfin, l’un des principaux freins de la Prep, c’est son coût. Si tous les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH) adoptaient la Prep, le prix global de cette dernière serait exhorbitant. Pour David Burns, pour maximiser l’efficacité de la Prep, il faut cibler les personnes les plus exposées au risque et tout faire pour renforcer l’adhérence de ces populations : certains HSH les travailleurs du sexe, les couples séro-différents, les personnes qui font appel au traitement post-exposition (TEP).

ANRS-Ipergay

En France, la Prep reste à peine disponible: plus de 400 personnes sont suivies sous Prep à travers l’essai ANRS-Ipergay qui continue dans sa phase « open label » et dont le reste des données devraient être présentées à la CROI début 2016. La situation est quelque peu bloquée, alors que la RTU du Truvada® en usage préventif demandée par Aides tarde à être mis en place et qu’on attend une réponse du groupe de travail de l’ANSM à ce sujet. Pour le professeur Jean-Michel Molina, «c’est un moment difficile pour nous, en tant que médecins, de savoir que c’est efficace et de ne pas pouvoir le prescrire». D’autant plus que le Truvada® est déjà utilisé dans la communauté, à travers les traitements fournis pour le TEP, par le partage de traitement, par achat sur internet (comme ce générique du Truvada® que certains importent depuis l’Autralie). Dans iPergay, beaucoup de participants ont d’ailleurs voulu garder les pilules pour un usage postérieur.

Jean-Michel Molina se montre confiant et table sur une annonce du gouvernement pour le 1er décembre, alors qu’un nouveau projet d’essai Prep en partenariat avec l’ANRS est en train d’être mis au point pour la région parisienne.

«Are we convinced ? Yes we are !»

Ces retards et les limites du cadre d’intervention de la Prep ne freine pas l’enthousiasme de Sheena McCormack, qui a réaffirmé «Are we convinced ? Yes we are !» («Sommes nous convaincus? Oui, nous le sommes!») Pour elle, PROUD a montré que l’efficacité était plus forte dans les conditions du réel et Ipergay que les gens étaient capables d’adapter la Prep à leur besoin, selon la période et même selon leur pratiques.

Maintenant, il faut se demander comment implémenter la Prep et on doit se pencher sur le rapport coût-efficacité : le programme doit être assez grand pour impacter l’épidémie et assez petit pour que les coûts restent sous contrôle.

Autre défi également : Pour Sheena McCormack, il va être ardu de convaincre les personnes qui pourraient en avoir besoin de la Prep que cette prévention est pour eux. La prévention évolue peut-être vers le biomédical, mais ce sont toujours les changements de comportement qui feront son succès. Pour cela, il faut que les professionnels de santé et les acteurs de la lutte contre le VIH ne stigmatisent pas les personnes ayant recours à la Prep et décident d’embrasser, vraiment, ce nouveau moyen de prévention.