Premier point. Est-ce que ces recommandations du groupe d’experts sont opposables comme le sont, par exemple, les recommandations de la Haute autorité de santé (HAS) dans d’autres domaines ?
Prenons une mesure phare de ce rapport 2013. Celle du traitement antirétroviral (ARV) universel. Il est en effet recommandé de: «Proposer le traitement antirétroviral à toutes les personnes vivant avec le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. quelque soit le taux de CD4, à la fois pour des raisons de santé individuelle et de prévention de la transmission du virus.» Reste qu’on entend, ça et là, des cliniciens exposer que malgré les recommandations, ils ne proposeront pas de traitement ARV à des patients ayant par exemple 800 CD4 et une charge viraleCharge virale La charge virale plasmatique est le nombre de particules virales contenues dans un échantillon de sang ou autre contenant (salive, LCR, sperme..). Pour le VIH, la charge virale est utilisée comme marqueur afin de suivre la progression de la maladie et mesurer l’efficacité des traitements. Le niveau de charge virale, mais plus encore le taux de CD4, participent à la décision de traitement par les antirétroviraux. basse pour une contamination récente… Qu’adviendrait-il alors si cette personne récemment contaminée, à qui il n’a pas été proposé de traitement ARV malgré le cadre des recommandations françaises, se retrouvent dans une situation assimilée à une «contamination volontaire», juridiquement portée par le partenaire contaminé, et qui se retournerait de fait vers le clinicien «non prescripteur» d’antirétroviraux?
Et la proposition du traitement ARV universel pour tout patient ne soulève pas que des questions de fiction juridique. Qu’en est-il par exemple de son champ d’applicabilité? Si on s’en tient aux données épidémiologiques qui ont nourri le rapport Morlat dans la cohorte FHDH ANRS C04, 93% des personnes sous traitement depuis moins de 6 mois avaient une charge virale inférieure à 200 copies/ml en 2011 et 88% une charge virale inférieure à 50 copies/ml. Donc, 88 à 93% des personnes prises en charge recevaient des combinaisons antirétrovirales efficaces. Seuls 6.5% de patients ne recevaient pas du tout de traitement et 4.2% en avaient déjà reçu mais l’avaient interrompu; 1.3% sont traités par bithérapie.
On sait aussi, toujours grâce à cette cohorte nationale, que le nombre médian de CD4 lors de l’initiation du traitement en 2011 était de 345/ml3 (218-465). D’où une multitude de questions : Combien de personnes supplémentaires en France seraient concernées par la recommandation de «traitement universel» et le passage aux traitements pour les patients avec 500 CD4? Il est à craindre craindre que cette universalité du traitement n’aura qu’un impact limité sur les 50% de diagnostics tardifs (inférieurs à 350 CD4) et encore moins sur l’épidémie masquée (18 000 à 30 000 personnes non dépistées) et les 9 600 diagnostiqués mais non pris en charge.
La fin de l’exceptionnalité
La seconde dimension majeure de ces derniers chiffres épidémiologiques de décembre et du rapport d’experts 2013 est une certaine forme de fin de l’exceptionnalité du VIH et de la perception de l’infection du VIH comme une maladie chronique «rentrée dans le rang» avec cette insertion qui figure dans l’introduction du rapport d’experts: «Nous pouvons désormais envisager que les PVVIHPVVIH Personne vivant avec le VIH puissent bénéficier d’une espérance de vie proche voire identique à celle des personnes non infectées».
Les recommendations du Rapport confirme bien la chronisisation de l’infection par le VIH en France, en tout cas en terme de prise en charge.
Considérations médico-économiques
La troisième dimension majeure de cette prise en charge 2014 est le débat assez confus autour de l’intrusion économique dans la prise en charge des personnes vivant avec le VIH et particulièrement du traitement antirétroviral et/ou du traitement de l’hépatite C en cas de co-infection.
Tout d’abord, à travers les pages 102 et 103 consacrées aux médicaments génériques, puis via les considérations médico-économiques qui s’en suivent avec un tableau d’apparition des génériques: de 2005 pour la Zidovudine à 2022 pour le Raltegravir et le Maraviroc, avec pour l’année 2013 le Combivir, l’Efavirenz, le Ritonavir et pour 2014 l’Abacavir et le Tipranavir qui rentrent dans le champ des médicaments génériquables.
Pages 110 – 111 dans le tableau synoptique des médicaments antirétroviraux, actualisé en 2013, figure pour la première fois une colonne du prix public mensuel TTC et où l’on voit clairement affichés, sans qu’on puisse d’ailleurs préciser ce qui a influencé clairement (excepté pour le Raltégravir à contre courant des autres recommandations internationales) les choix de telle ou telle stratégie antirétrovirale avec des coûts qui vont de 56 euros à 1684 euros mensuels.
La démarche est intéressante, mais tout reste à inventer sur ce chapitre.
S’approprier le rapport
Enfin, le quatrième point est le degré de la bascule entre le degré de preuves, les explications dans le texte et les recommandations qui sont parfois assez confuses et peuvent peser sur la façon dont les cliniciens vont s’approprier ce rapport dans leur pratique clinique.
C’est aussi à grâce à ces questions essentielles que ce rapport est inestimable pour guider et éclairer les cliniciens dans le dédale des nouvelles stratégies et du nouveau paysage, plus médicalisé que jamais, de l’infection à VIH.