Créée en octobre 2011, à la suite de la consultation communautaire sur Ipergay, l’Association de suivi et d’information des gays sur la prévention du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. (ASIGP-VIH) donne aujourd’hui de la voix contre l’essai de l’Agence nationale de recherches sur le sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. (ANRS). Revendiquant une centaine de membres, basée à Toulouse, elle est présidée par Stéphane Minouflet, qui travaille dans un sauna gay de la ville.
Interogations et craintes
L’association veut, selon Stéphane que Yagg a joint par téléphone, relayer «les interrogations des clients et leurs craintes» sur l’essai: abandon du préservatif en raison de la croyance en l’efficacité supposée du traitement, coût très élevé de l’essai, accessibilité en cas de réussite. L’association s’interroge aussi sur la nécessité du groupe placeboPlacebo Substance inerte, sans activité pharmacologique, ayant la même apparence que le produit auquel on souhaite le comparer. (NDR rien à voir avec le groupe de rock alternatif formé en 1994 à Londres par Brian Molko et Stefan Olsdal.) dans l’essai, qui vise à montrer l’efficacité de Truvada, un antirétroviral, dans la prévention de la transmission du VIH chez des gays séronégatifs.
L’essai a débuté en janvier 2011 et selon un article du Monde.fr du lundi 27 mars, Ipergay aurait du mal à recruter. Sur 300 participants prévus pour entrer dans la phase pilote menée à Paris et à Lyon, 30 auraient été inclus dans l’essai selon Jean-François Delfraissy, directeur de l’ANRS.
Stéphane Minouflet nous a précisé que l’association réclamait une suspension de l’essai et la mise en place d’une vraie consultation communautaire. ASIGP-VIH s’inquiète aussi des risques de résistance au traitement: «L’étude sera menée sur une durée pouvant aller jusqu’à 24 mois. L’ASIGP-VIH estime que l’on peut s’interroger sur le risque de multiplications de résistance au Truvada», peut-on lire dans un communiqué.
Nous avons contacté les investigateurs de l’essai1Le Pr. Gilles Pialoux, rédacteur en chef de Vih.org, fait partie des instigateurs de l’étude., dont le Pr Jean-Michel Molina, afin qu’ils répondent point par point aux interrogations formulées par l’association. Ils nous ont fait parvenir par écrit les réponses suivantes.
Selon l’association ASIGP-VIH, l’essai pourrait inciter à l’abandon du préservatif. Qu’en pensez-vous?
Cette question centrale est constitutive de tous les essais testant de nouveaux outils de prévention, ou de nouvelles combinaisons d’outils de prévention. Dans tous les essais de prévention biomédicale réalisés jusqu’ici et tous menés par comparaison à un placebo, on observe une augmentation de l’utilisation systématique du préservatif. Cette augmentation est due à la participation à l’essai qui insiste sur la protection conférée par le port du préservatif et propose un accès bien plus important à ce moyen de prévention que dans la «vraie vie». L’utilisation du préservatif a été analysée dans tous les essais de prévention biomédicale dont on connaît les résultats partiels ou définitifs (CAPRISA 04, IPREX, PARTNERS PrePPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. FEm-Prep, etc). Dans l’essai IPREX mené chez les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH), notons le chiffre remarquable de 585000 préservatifs distribués aux 2499 volontaires de l’essai. Dans l’essai ANRS-IPERGAY, qui s’adresse également à des HSHHSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes. on insiste sur l’utilisation du préservatif qui doit être utilisé non pas à la place mais en association au traitement. Lors de chaque visite qui ponctue l’essai, les volontaires sont encouragés dans un entretien de counselling mené par les accompagnateurs de l’essai issus de Aides à réduire leur risque de contamination par le VIH et reçoivent gratuitement des préservatifs et du gel lubrifiant.
L’association pense que l’essai coûte très cher…
L’ANRS s’est engagée à financer pour l’instant la phase-pilote de l’étude qui devrait concerner 300 volontaires pour un budget global de 1,3 million d’euros. Des partenariats sont en cours de discussion avec d’autres organismes en France et à l’étranger pour le financement de l’ensemble de l’essai. À titre de comparaison, l’essai nord et sud-américain IPREX a coûté 32 millions de dollars [24 millions d’euros]. ANRS-IPERGAY est le premier essai de prévention biomédicale en France et au delà de l’évaluation d’un médicament en prévention, c’est un essai qui a pour but de réduire le nombre élevé de contaminations par le VIH en proposant aux participants un ensemble de mesures préventives contre le VIH et les autres infections sexuellement transmissibles (IST). Un dépistage systématique du VIH et des autres ISTIST Infections sexuellement transmissibles. est proposé avec un traitement systématique et une vaccination contre les virus des hépatites. Cet essai offre aussi la possibilité de mener des recherches en sciences sociales et comportementales chez les personnes exposées au risque de contamination par le VIH. Des séances de counselling sont réalisées à chaque visite, des entretiens motivationnels sont proposés et des préservatifs distribués, tout cela bien sûr gratuitement pour les participants.
Autre question, concernant la mise à disposition du traitement ensuite…
Le ministère de la Santé a mandaté à la fois le Conseil national du sida et le groupe d’experts chargé d’émettre des recommandations pour la prise en charge des personnes vivant avec le VIH (groupe Yéni) pour donner chacun un avis sur une éventuelle mise à disposition de la prévention par le traitement (Prep) en France. C’est aux autorités de santé qu’il convient de décider si un médicament doit être délivré, et sous quelles conditions. Elles s’appuient pour cela sur des données scientifiques validées par la communauté scientifique internationale. Il n’est pour l’heure aucunement question de mettre les antirétroviraux dans l’arsenal préventif, en dehors des indications scientifiquement prouvées comme la prévention de la transmission du VIH de la mère à l’enfant. Dans le cadre de l’essai ANRS-IPERGAY cependant, si un bénéfice de la Prep était observé, il est prévu de proposer à tous les participants de recevoir la Prep dans le cadre d’une prolongation de l’étude.
Faire entrer dans un essai des volontaires en bonne santé et leur proposer un placebo, est-ce éthique?
Cette question a été largement discutée à la fois au sein du Conseil scientifique de l’essai ANRS-IPERGAY, ainsi qu’au sein du Comité Associatif qui associe 16 associations soit LGBT, soit de lutte contre le sida ainsi que le le TRT-5, groupe inter associatif. C’est la première fois que l’ANRS crée un tel comité pour un essai de prévention. Notons que le Comité associatif de l’essai est issu lui-même des réflexions et discussions qui ont eu lieu durant la consultation communautaire qui a été menée dans toute la France en 2010. La question du bras placebo a été aussi de nombreuses fois discutée au cours des réunions que l’ANRS a organisées sur le terrain, que ce soit en mars 2011 à la Mairie de Paris ou encore au Centre LGBT Paris Ile-de-France en mai 2011. De manière plus générale, il faut savoir que le cadre éthique à la protection des personnes en France jouit d’un dispositif législatif sans équivalent. Dans toutes les discussions, nous avons rappelé que l’efficacité de la Prep était variable selon les études (2 essais de Prep sur 5 utilisant un traitement par voie orale n’ont pas retrouvé d’efficacité de la Prep), et que dans l’essai Iprex le niveau d’efficacité était modeste (42% de protection). Dans ces conditions d’incertitude sur l’efficacité de la Prep, un nouvel essai évaluant une nouvelle stratégie de Prep (non plus en traitement journalier mais en traitement pris au moment des rapports sexuels) doit être conduit contre placebo pour apporter la preuve scientifique de son efficacité.
Le bras placebo est aussi garant de protection pour les volontaires. L’essai étant conduit en double-aveugle, les participants comme les médecins ne sauront pas qui reçoit un placebo ou un médicament potentiellement actif, ce qui permet d’insister auprès des participants sur la nécessité d’utiliser correctement tous les moyens de prévention y compris le préservatif.
Tout ceci est expliqué dans la note d’information et de consentement éclairé signé par les volontaires. L’essai ANRS-IPERGAY a reçu un avis favorable du Comité de protection des personnes d’Ile-de-France IV, le 29 septembre 2011 et une autorisation de l’Afssaps le 26 août 2011. Il a été enregistré par les autorités américaines (sur le site clinicaltrial.gov).
L’association demande que l’essai soit stoppé et qu’une vraie consultation communautaire ait lieu. Qu’en pensez-vous?
Cette assertion est pour le moins paradoxale, car ANRS-IPERGAY est l’essai qui a mobilisé la première consultation communautaire sur ce sujet: d’abord par le TRT-5 puis dans un deuxième temps par l’ANRS qui a constitué un Comité associatif qui se réunit régulièrement pour discuter de l’essai. En ce qui concerne le regard de la communauté gay sur les essais Prep, une enquête publiée récemment dans AIDS CARE a montré que 40% des gays en France étaient intéressés par un tel essai, et ce d’autant plus qu’ils rencontraient des difficultés avec la prévention.