Cet article fait partie du Transcriptases n°145, consacré au Plan national de lutte contre le sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. français 2010-2014.
Chez les personnes dépistées à un stade avancé de l’infection à VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. (moins de 200 CD4 ou sida), le risque de décès est multiplié par 13 dans les 6 premiers mois de suivi par rapport aux patients diagnostiqués précocement (plus de 500 CD4)1Lanoy E et al., «Frequency, determinants and consequences of delayed access to care for HIV infection in France», Antivir Ther, 2007, 12, 89-96; un sur-risque de mortalité persiste pendant 4 ans. De plus, une prise en charge tardive augmente le risque de transmission de l’infection : d’abord parce que la connaissance de son statut sérologique permet une modification des comportements2Weinhardt LS et al., «Effects of HIV counseling and testing on sexual risk behavior : a meta-analytic review of published research, 1985-1997», Am J Public Health, 1999, 89, 9, 1397-1405 ;
Marks G et al., «Meta-analysis of high-risk sexual behavior in persons aware and unaware they are infected with HIV in the United States : implications for HIV prevention programs», J Acquir Immune Defic Syndr, 2005, 39, 4, 446-453, ensuite, parce que la réduction de la charge viraleCharge virale La charge virale plasmatique est le nombre de particules virales contenues dans un échantillon de sang ou autre contenant (salive, LCR, sperme..). Pour le VIH, la charge virale est utilisée comme marqueur afin de suivre la progression de la maladie et mesurer l’efficacité des traitements. Le niveau de charge virale, mais plus encore le taux de CD4, participent à la décision de traitement par les antirétroviraux. obtenue grâce à un traitement antirétroviral efficace est associée à une diminution du risque de transmission3Wawer MJ et al., «Rates of HIV-1 transmission per coital act, by stage of HIV-1 infection, in Rakai, Uganda», J Infect Dis, 2005, 191, 9, 1403-1409.
La prise en charge tardive est coûteuse
La prise en charge tardive est par ailleurs associée à un surcoût direct, d’abord en raison d’une fréquence plus élevée d’hospitalisation suite à des infections opportunistes. Dans un travail récent basé sur un modèle mathématique, nous avons estimé que pour 1000 patients, le surcoût à 10 ans lié à une prise en charge tardive (moins de 200 CD4) par rapport à une prise en charge précoce (plus de 500 CD4)4Sloan CE et al. «Lifetime cost of care for hiv-infected adults in France». International AIDS Society Conference, Vienna, Austria, 2010 est de 1,1 million d’euros. Un travail américain récent5Fleishman et al., Med Care 2010, 48, 1071-1079 le confirme : huit ans après le début des soins, les patients pris en charge à moins de 200 CD4 ont des dépenses médicales supérieures.
Et encore ces deux travaux ne prennent-ils pas en compte les coûts liés à la transmission secondaire de la maladie, qui augmentent encore les surcoûts. Dans notre modélisation, nous avons estimé les coûts médicaux associés à la prise en charge d’un patient vivant avec le VIH à environ 500000 euros durant toute la durée de sa vie (en moyenne, 372 CD4 à l’initiation des soins).
Dépister tôt évite des dépenses
On estime qu’en France, environ 40000 personnes, sur les 106000 à 134000 personnes séropositives pour le VIH, ignorent leur statut sérologique6Conseil national du sida. Rapport sur l’évolution du dispositif de dépistage de l’infection par le VIH en France. 16 novembre 2006. De plus, 36% des patients consultent pour la première fois trop tardivement (moins de 200 CD4)7Lanoy E et al., Ibid.
Au niveau individuel, le dépistage précoce rend possible l’instauration rapide d’un traitement antirétroviral, ce qui réduit morbidité et mortalité. Au niveau collectif, le dépistage précoce voire le traitement précoce ont un effet bénéfique sur le risque de transmission. Et même si la mise en place d’une stratégie engendre en soit des coûts, elle évite également un certain nombre de dépenses.
L’ensemble de ces points ont fait émerger de nouvelles réflexions sur les stratégies de dépistage en France. Notamment sur l’opportunité de proposer plus largement des tests de dépistage systématiques soit à l’ensemble de la population, soit à des populations particulièrement exposées aux risques de transmission. Il fallait cependant évaluer de manière globale la pertinence d’une évolution des stratégies et du dispositif de dépistage, et déterminer les stratégies les plus efficientes en intégrant à l’analyse les indicateurs médicaux mais aussi économiques et en rapportant les coûts d’une stratégie à ses conséquences.
Nous avons récemment évalué la survie, le coût, et le rapport coût-efficacité associé à des différentes stratégies de dépistage dans la population générale et dans les populations particulièrement exposées8Yazdanpanah Y et al., «Routine HIV Screening in France : Clinical Impact and Cost-Effectiveness», Plos One, 2010, 5, 10. Comment ? En évaluant trois stratégies de dépistage systématique de l’infection par le VIH chez les adultes âgés de 18 à 69 ans – au moins une fois, tous les cinq ans et annuellement – et en la comparant à la stratégie actuelle qui cible les populations à risque.
Nous avons également évalué une stratégie de dépistage ciblé dans trois sous-populations (les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH), les usagers de drogues par injection (UDI) et les hétérosexuels), ainsi qu’en Guyane française, un département particulièrement touché puisque l’incidence y serait 17 fois plus élevée qu’en métropole.
Nous avons utilisé un modèle de dépistage et un modèle d’histoire naturelle de la maladie VIH9Weinstein MC et al., «Use of genotypic resistance testing to guide hiv therapy : clinical impact and cost effectiveness», Ann Intern Med, 2001, 134, 6, 440-450 ; Yazdanpanah Y et al., «Prevention of human immunodeficiency virus-related opportunistic infections in France : a cost-effectiveness analysis», Clin Infect Dis, 2003, 36, 1, 86-96.
Paltiel AD et al., Expanded screening for HIV in the United States–an analysis of cost-effectiveness. NEJM, 2005, 352, 6, 586-595 ;
Freedberg KA et al., «The cost effectiveness of combination antiretroviral therapy for HIV disease», NEJM, 2001, 344, 11, 824-831, qui permettent d’une part d’évaluer l’impact à long terme des stratégies et d’autre part d’intégrer dans l’analyse les indicateurs médicaux mais aussi économiques. Nos données étaient principalement les données nationales françaises et de la littérature médicale.
Dépistage en population générale, et tous les 5 ans dans les populations exposées
Dans cette analyse, avec une stratégie de dépistage systématique de l’infection par le VIH qui consistait à proposer au moins une fois le test, la proportion des cas secondaires à dix ans diminuerait de 7,5% par rapport à la «stratégie actuelle». Cette stratégie entraînerait un gain d’espérance de vie de 1,27 mois de vie ajusté sur la qualité actualisée par personne infectée par le VIH par rapport à la «stratégie actuelle» pour un coût supplémentaire de 50 euros par personne.
Lorsque nous prenions en compte les effets favorables du dépistage sur la transmission du VIH, le rapport coût-efficacité de l’ajout d’un seul test VIH de routine par rapport à la «stratégie actuelle» était de 57400 euros par année de vie ajustée sur la qualité (QALY10Un QALY est une mesure de l’utilité perçue par les patients d’une action médicale qui correspond à une année de vie gagnée.). Ce résultat était calculé pour une prévalence de l’infection VIH non diagnostiquée à 0,1%.
Augmenter la fréquence de dépistage à une fois tous les cinq ans dans la population générale coûtait 332200 €/QALY comparativement à un seul dépistage en routine du VIH, bien au-delà du seuil de coût-efficacité, et donc non acceptable. Un dépistage annuel augmentait encore les coûts, sans bénéfice sur la santé car les pertes de qualité de vie associées aux tests faussement positifs contrebalançaient les bénéfices de survie.
Nous avons effectué une analyse identique pour établir le rapport coût-efficacité du dépistage en routine du VIH chez les UDI, les HSHHSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes. et les hétérosexuels, ainsi que pour la population de Guyane française. Chez les UDI et en Guyane française, le dépistage annuel était associé à des rapports coût-efficacité favorables de 51200 € et 46500 €/QALY, respectivement. Chez les HSH, une stratégie basée sur un seul dépistage en routine augmentait l’espérance de vie, avec un rapport coût-efficacité de 32400 €/QALY. Le dépistage annuel dans cette population se traduisait par une survie et des coûts plus élevés, mais par un rapport coût-efficacité moins favorable (97200 €/QALY) comparativement à une stratégie de dépistage en routine une fois.
Accroître l’acceptabilité
Ces résultats suggèrent ainsi qu’un dépistage volontaire en routine du VIH au moins une fois est coût-efficace en population générale en France. Un dépistage plus fréquent se justifie dans les populations présentant des taux élevés d’incidence du VIH et de prévalence des infections non diagnostiquées. Toutefois, la probabilité qu’une personne dépistée séropositive soit pris en charge a un impact important sur les résultats. Ces stratégies ne réussiront que si l’on accroît à la fois l’acceptabilité du dépistage du VIH et l’orientation vers les structures de soins.
Enfin, il est important que l’évaluation des stratégies de dépistage du VIH, en particulier, et des interventions en médecine en général, repose sur des critères d’efficience et des critères économiques. Toutefois, les résultats des évaluations économiques de ce type ne doivent pas être utilisés de façon mécanique ; ils doivent au contraire stimuler la réflexion, apporter des informations essentielles au processus décisionnel. Mais d’autres éléments doivent être pris en compte comme les possibilités de choix, la justice ou l’équité.