Cet article a été précédemment publié sur Séronet, à l’occasion de la CROICROI «Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections», la Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes annuelle où sont présentés les dernières et plus importantes décision scientifiques dans le champs de la recherche sur le VIH. 2011.
Sous le doux sourire de Paula Cannon se cache une scientifique à l’esprit acéré. La thérapie génique, c’est la stratégie anti-VIH sur laquelle cette chercheuse de l’université de Californie du Sud, à Los Angeles, travaille depuis plusieurs années. Elle utilise des souris «humanisées», c’est-à-dire chez qui on a inséré des gènes humains, permettant ainsi les études sur le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. Principe: utiliser des ciseaux moléculaires, les nucléases aux doigts de zinc (nom de code, ZFN en anglais, fabriqués par une entreprise de biotechnologie, Sangamo), capables de supprimer les gènes codant pour les co-récepteurs CCR5, les portes d’entrée du VIH dans les cellules. Pas de récepteur, pas d’entrée!
L’objectif, c’est de rendre le système immunitaire résistant au VIH. L’idée? Les personnes porteuses d’une mutation génétique rare, la double mutation Delta 32, qui rend le gène CCR5 non fonctionnel, conduisant à l’absence de co-récepteurs CCR5 sur la cellule. Ces personnes (moins de 0,3% de la population générale) sont, de ce fait, naturellement résistantes au VIH. Elles ne peuvent pas être infectées… (sauf par certains virus VIH, dits à tropisme CXCR4, qui n’utilisent non pas le CCR5 mais le CXCR4 pour atteindre les CD4).
Reproduire l’homme de Berlin
Reproduire ce qu’avait fait la nature a longtemps paru un rêve inaccessible… jusqu’en 2008. Cette année-là, des résultats jamais vus jusqu’alors ont relancé l’intérêt pour les travaux sur la thérapie génique. Ceux de l’homme de Berlin, une personne séropositive atteinte d’une leucémie. Pour la soigner, les médecins lui ont fait une greffe de moelle. Comme ils avaient le choix, ils ont opté pour une greffe à partir d’un donneur naturellement résistant à l’infection. Ce dernier ne possédait pas les co-récepteurs CCR5, en raison de la double mutation génétique rare Delta 32. Avant la greffe, les médecins ont détruit toutes les cellules de moelle de l’homme de Berlin. Toutes ses cellules immunitaires ont donc été remplacées. Trois ans plus tard, on ne trouve plus aucune trace de VIH dans son organisme. C’est le premier cas de guérison (Cf.: Greffe de moelle osseuse: Une nouvelle approche thérapeutique pour le VIH? )
De quoi relancer l’intérêt pour la thérapie génique. Des premiers résultats de l’équipe de Paula Cannon avaient été publiés dans la revue scientifique Nature, en juillet dernier. Ils portent, comme pour l’homme de Berlin, sur les cellules souches de la moelle osseuse qui sont à l’origine de toutes les lignées de cellules sanguines, plaquettes, globules rouges et globules blancs… dont les CD4 ! A la CROI, ce sont les résultats détaillés que Paula Cannon est venue présenter (abstract 164). Elle poursuit ses recherches avec l’adjonction d’une protéine verte fluorescente qui permet de suivre les cellules modifiées.
Sélection des cellules modifiées
On critique les résultats, encore modestes, de transformation des cellules: seulement 4% des cellules sont modifiées. Paula Cannon répond que «le virus, qui, en l’absence, de traitement antirétroviral, entraîne la mort des cellules non résistantes, va lui-même sélectionner les cellules protectrices». C’est un peu la réponse du berger à la bergère! Une sorte de processus en miroir de celui qui se produit lorsqu’émergent des VIH mutés, résistants aux antirétroviraux.
Effets secondaires, émergence de virus qui n’utilisent pas le CCR5 mais un autre co-récepteur le CXCR4 (ce qui reste quand même peu fréquent)?
Paula Cannon n’est pas inquiète: elle rappelle l’exemple de l’homme de Berlin, et souligne que l’antirétroviral maraviroc (Celsentri) agit en bloquant les CCR5. «L’effet du ciseau moléculaire, c’est un peu comme un anti-CCR5 permanent», explique-t-elle. Reste que d’autres équipes, comme celle de Craig Wilen, à l’université de Pennsylvanie à Philadelphie, travaillent, elles, chez la souris «humanisée», sur d’autres ciseaux moléculaires ciblant les co-récepteurs X4 (abstract 47) car certaines personnes avec un VIH ayant des affinités pour le CXCR4 ne pourraient sinon pas bénéficier des résultats prometteurs des travaux de Paula Cannon. Prochain objectif de l’équipe de la chercheuse américaine: utiliser les ciseaux de zinc pour insérer des agents anti-viraux dans les cellules.
Des essais chez l’humain
Et chez l’homme? Ce sont les «ciseaux à CCR5» que Jay Lazelari, directeur de Quest Clinical Research, à San Francisco, a commencé à tester chez l’homme. Précisément, chez six personnes vivant avec le VIH traitées et avec une charge viraleCharge virale La charge virale plasmatique est le nombre de particules virales contenues dans un échantillon de sang ou autre contenant (salive, LCR, sperme..). Pour le VIH, la charge virale est utilisée comme marqueur afin de suivre la progression de la maladie et mesurer l’efficacité des traitements. Le niveau de charge virale, mais plus encore le taux de CD4, participent à la décision de traitement par les antirétroviraux. indétectable. Son essai a pour nom de code Sangamo-728-T, c’est un essai de phase 1 (abstract 46). Les essais cliniques de phase 1 correspondent aux études de tolérance des premières administrations d’un médicament à l’homme. Pour l’heure, lui n’utilise pas les doigts de zinc sur les cellules souches, mais plus simplement sur les CD4. Mode opératoire: prélever des cellules à la personne, par une technique appelée aphérèse. L’aphérèse est une technique de prélèvement de certains composants sanguins par circulation du sang en dehors du corps. Les composants que l’on souhaite prélever sont séparés par centrifugation et extraits, tandis que les composants non prélevés sont réinjectés dans l’organisme. Ces CD4 sont ensuite placés en présence des ciseaux moléculaires. «Avec une seule séance d’aphérèse, on peut produire 10 à 30 milliards de cellules CD4, dont seulement 25 % ont été modifiés par les doigts de zinc et ne présentent pas de CCR5, explique Jay Lalezari. Chez cinq sujets sur six, cela a produit une augmentation du nombre de CD4. Trois mois après l’infection, il y a 1,6 % de cellules modifiées, soit deux fois plus qu’on ne pouvait l’espérer.»
Objectif du docteur Jay Lalezari avec cette approche : parvenir à induire un stock de cellules CD4 résistantes au VIH. Le chercheur, qui estime avoir prouvé la «faisabilité» de la technique, va passer à un nouvel essai chez 14 personnes vivant avec le VIH, n’ayant jamais pris de traitement cette fois. Une différence de taille. «Cette fois, les cellules modifiées seront sous la pression du virus, ce qui permettra leur sélection.» Ce qui pourrait permettre d’obtenir chez l’homme la reproduction des résultats de Paula Cannon. A l’université de Pennsylvanie à Philadelphie, Pablo Tebas teste lui aussi les doigts de zinc, mais sur les CD4 de personnes soit ayant connu de multiples échecs thérapeutiques et ayant une charge détectable, soit des personnes avec un traitement efficace, mais qui souhaitent l’interrompre (abstract 165).
Quelle applicabilité à large échelle?
Réaliste ou effet d’annonce? Il y a encore six mois, après la Conférence de Vienne, la virologue française Christine Rouzioux se montrait critique : «C’est de la science-fiction et on n’a pas assez de données. De plus, modifier des cellules de notre organisme, c’est risqué», expliquait-elle. Le clinicien Alain Lafeuillade, du Centre hospitalier de Toulon, ajoutait : «Ce ne sont que des phases préliminaires, le coût est très important, de l’ordre de 15000 dollars pour une injection (le prix moyen d’un an de trithérapie au Nord), avec un taux de CD4 modifié très faible. Les résultats ne seront qu’à très long-terme. En l’état des connaissances, ça semble peu applicable.» Interrogée par Seronet, la virologue Françoise Barré-Sinoussi , prix Nobel de médecine 2008, confirme: c’est simplement une preuve de concept très intéressante, mais en aucun cas une technique applicable en l’état.
Lundi 28 février, en conférence de presse, Craig Wilen, de l’université de Pennsylvanie à Philadelphie, le concédait: «Il sera peut être difficile de passer à l’échelle.» Comprendre: cette approche thérapeutique ne concernera pas tout le monde. Mais après tout si cette méthode, certes coûteuse, peut permettre de se passer d’antirétroviraux, elle pourrait s’avérer rentable. Mais nous n’en sommes pas encore là…