Pour le Dr Mohamed Janabi, directeur régional de l’OMS pour l’Afrique, « le rétablissement du dernier patient six semaines seulement après la déclaration de l’épidémie est une réussite remarquable qui montre à quel point un partenariat solide, l’expertise nationale et la détermination ont contribué à surmonter les défis pour sauver et protéger des vies. »
Une flambée localisée mais meurtrière
Le 4 septembre 2025, les autorités sanitaires de la République démocratique du Congo (RDC) déclaraient officiellement une nouvelle flambée d’Ebola dans la zone sanitaire de Bulape, au cœur de la province du Kasaï. Dès le lendemain, l’ANRS-MIE et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) réunissaient le Filovirus Collaborative Open Research Consortium (CORC) pour définir une feuille de route scientifique destinée à soutenir la riposte immédiate et renforcer la préparation à de futures épidémies de filovirus. Le virus reste en effet une menace sérieuse pour les communautés rurales et les personnels de santé qui leur portent assistance.
Au 21 septembre 2025, dans la zone de Bulape (située au nord-est de Kinshasa, elle compte environ 30 000 habitants, son agglomération près de 100 000), 57 cas d’Ebola avaient été recensés (47 confirmés et 10 probables), dont 35 décès — ce qui porte à 61,4 % le taux de létalité globale. Dix décès survenus dans cette localité sans confirmation biologique ont été reclassés a posteriori comme cas probables, sur la base de liens épidémiologiques avec des patients confirmés.
Le profil des malades illustre la nature communautaire de la transmission. Les enfants de 0 à 9 ans représentent près d’un quart des cas. Les femmes, majoritaires à 61 %, paient également un lourd tribut, reflétant leur rôle central dans les soins domestiques. Cinq agents de santé figurent parmi les personnes infectées, un rappel brutal des risques auxquels s’exposent les soignants dans des structures souvent dépourvues de moyens de protection adéquats.
Si les autorités observent une baisse du nombre de nouveaux cas au cours de la 3ème semaine de septembre, la prudence reste de mise : plus de 1 180 contacts ont été identifiés et suivis, un dispositif crucial pour rompre les chaînes de transmission.

Une riposte coordonnée et multisectorielle
Dès les premiers signalements, le ministère de la Santé, à travers l’Institut national de santé publique (INSP) et le Centre des opérations d’urgence en santé publique (COUSP), a activé une plateforme de coordination intégrée à Bulape : désormais autour de la table, l’OMS, l’Africa CDC, l’UNICEF, Médecins Sans Frontières (MSF), ALIMA, le Corps médical international (IMC), la Croix-Rouge congolaise et d’autres acteurs majeurs de la santé mondiale.
Au total, 64 experts de l’OMS ont été dépêchés, dont 78 % de nationaux, signe d’un effort de renforcement des capacités locales. Des équipes mixtes travaillent quotidiennement sur la surveillance, la prise en charge clinique, la mobilisation communautaire et la prévention des infections. Ces réunions quotidiennes permettent d’ajuster les priorités et de répartir les ressources en temps réel.
Un plan stratégique régional a été élaboré pour harmoniser les efforts dans les zones affectées et à risque. Il met l’accent sur la surveillance épidémiologique, le diagnostic rapide, la vaccination, le contrôle des infections et la communication communautaire. Pour soutenir ces opérations, l’OMS a lancé un appel de fonds de 21 millions de dollars ; 2 millions ont été immédiatement débloqués pour financer les premières interventions.
Surveillance et diagnostic : la science au service de la vigilance
Sur le terrain, les efforts de surveillance s’intensifient. Deux lignes d’alerte téléphonique permettent désormais de signaler des cas suspects. Des agents de santé communautaires ont été formés à l’identification rapide des symptômes d’Ebola à l’aide de définitions simplifiées. Vingt-et-un d’entre eux ont été déployés dans les zones touchées. En parallèle, la Croix-Rouge congolaise supervise la surveillance communautaire, notamment la notification des décès.
Depuis le début de l’épidémie, 177 échantillons biologiques ont été testés, dont 47 positifs au test RT-PCR. L’installation d’un laboratoire mobile à Bulape, le 19 septembre, a considérablement réduit les délais d’analyse. L’approvisionnement en matériel de laboratoire a également été renforcé : 400 cartouches GeneXpert, des équipements de biosécurité et des onduleurs ont été acheminés pour garantir la continuité des tests, même en cas de coupure de courant.
Autre avancée majeure : la mise en place d’un dispositif de séquençage génomique dans la zone voisine de Mweka, à 35 km de Bulape. Trois biologistes y sont mobilisés pour analyser la structure génétique du virus et déterminer s’il s’agit d’une nouvelle souche issue d’un événement zoonotique, comme le soupçonnent les épidémiologistes.
Prise en charge : le défi du soin en milieu précaire
Le Centre de traitement d’Ebola (CTE) de Bulape a doublé sa capacité d’accueil, passant de 18 à 34 lits. Au 21 septembre, il hébergeait 19 cas confirmés et 15 suspects, soit un taux d’occupation de 100 %. Les équipes médicales y administrent le mAb114, ou ansuvimab-zykl (Ebanga), un anticorps monoclonal qui a déjà démontré son efficacité lors des précédentes épidémies en Ituri et au Nord-Kivu. Vingt-six patients en ont bénéficié ; cinq sont décédés, deux ont été déclarés guéris.
Des équipes de renfort issues de l’INSP et du pool national des intervenants d’urgence médicale ont été déployées pour soutenir le personnel local, dont plusieurs membres figurent parmi les contacts à risque. ALIMA, MSF et le ministère de la Santé assurent conjointement la gestion clinique et logistique du centre.
Vaccination : un outil clé pour briser la chaîne de transmission
La campagne de vaccination au vaccin rVSVΔG-ZEBOV-GP (Ervebo) se poursuit dans les zones de Bulape, Bulambae et Mweka. En neuf jours, 1 740 personnes ont été vaccinées selon la stratégie dite de “vaccination en anneau”, ciblant les contacts des cas confirmés, leurs proches, ainsi que les travailleurs de santé et de première ligne.
Sur les 4 150 doses expédiées sur le terrain, 2 410 restaient en stock au 21 septembre. Des équipements de chaîne du froid ultra-basse température sont en cours d’installation à Tshikapa, Kananga et Mweka pour permettre la conservation du vaccin à -80 °C.
Prévention des infections : restaurer la confiance dans les soins
Les efforts de prévention et de contrôle des infections ont été intensifiés, notamment à Bambalaie (une localité située à proximité de Bulape), l’un des premiers foyers identifiés. Les structures de santé y ont été décontaminées, les circuits d’élimination des déchets renforcés, et le personnel formé à l’usage correct des équipements de protection individuelle (EPI). Plus de 77 soignants ont bénéficié d’une formation complète sur les bonnes pratiques d’hygiène hospitalière.
La sécurité des funérailles reste un enjeu crucial : 22 inhumations sûres et dignes ont été réalisées selon le protocole de l’OMS, avec l’appui des équipes de la Croix-Rouge. Dix-huit nouveaux volontaires ont été formés pour assurer la relève.
En parallèle, la prévention des violences et abus sexuels (PRSEAH) a été intégrée à toutes les activités de réponse. Des sessions de sensibilisation ont réuni 285 personnes dans des églises locales et des centres de santé. Des affiches d’information et des points de signalement ont été installés pour encourager la transparence et la redevabilité.
Mobilisation communautaire : convaincre pour contenir
La communication des risques et l’engagement communautaire (RCCE) constituent un pilier central de la riposte. Plus de 10 000 habitants ont déjà été sensibilisés à domicile sur les modes de transmission du virus et les mesures de protection. Des leaders communautaires, des femmes et des jeunes participent activement aux séances d’information.
Un diagnostic rapide des connaissances et attitudes, mené début septembre, a révélé des poches de méfiance et une faible connaissance du virus. Depuis, 65 volontaires communautaires (RECOs) ont été formés pour intensifier la sensibilisation et lutter contre les rumeurs et les refus de soins.
Logistique et soutien opérationnel : une mobilisation exemplaire
Pour surmonter l’enclavement de la zone de Bulape, l’OMS, le Programme alimentaire mondial (PAM) et la Mission de stabilisation des Nations unies au Congo (MONUSCO) ont mis en place un pont aérien temporaire reliant Kananga à Bulape et Mweka, à près de 300 km. Ce dispositif a permis l’acheminement de plus de 16 tonnes de matériel médical : équipements de protection, tests de diagnostic, générateurs, motos pour la surveillance, et même un épi-shuttle, une capsule d’isolement pour le transport sécurisé des patients hautement infectieux.
Préparation régionale et risque transfrontalier
Les autorités congolaises et leurs partenaires surveillent de près le risque d’extension de l’épidémie. Huit pays voisins ont mené des évaluations de préparation : les scores les plus élevés sont observés au Rwanda (81 %) et en Ouganda (80 %), tandis que le Congo-Brazzaville et la Zambie restent en dessous de 40 %. Cinq zones de santé congolaises jugées à haut risque (Mweka, Mushenge, Luebo, Dekese et Kakenge) bénéficieront de formations renforcées sur la surveillance, la prévention et la communication.
Aucune restriction de voyage n’est recommandée à ce stade, mais la surveillance sanitaire aux frontières a été renforcée, notamment aux points d’entrée et de passage. Les voyageurs y reçoivent des informations préventives et sont soumis à un contrôle sanitaire systématique.

Une course contre la saison des pluies
Le rapport de situation se conclut sur une note de vigilance. Alors que la saison des pluies s’installe dans le Kasaï, les routes déjà précaires risquent de devenir impraticables, compromettant l’acheminement des vaccins et du matériel médical. Les prochaines semaines seront décisives : maintenir la tendance à la baisse des cas dépendra de la poursuite de la surveillance active, du renforcement des mesures d’hygiène, de la vaccination ciblée et d’une implication communautaire soutenue.
Cette flambée, probablement issue d’un nouveau passage du virus de l’animal à l’humain, rappelle les risques auxquels les populations rurales sont exposées dans leur environnement naturel. Dans une région marquée par la pauvreté et l’isolement, l’épidémie d’Ebola agit une fois de plus comme un révélateur des vulnérabilités structurelles du système de santé congolais — mais aussi comme une vitrine du savoir-faire accumulé depuis plus d’une décennie de ripostes successives.
Une feuille de route scientifique pour se préparer à de futures épidémies
Au lendemain de l’annonce de cette nouvelle flambée, l’ANRS-MIE et l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) ont réuni le Filovirus Collaborative Open Research Consortium (CORC). De cette consultation sont nées dix priorités de recherche, articulées autour de deux objectifs stratégiques : renforcer la réponse en temps réel à l’épidémie en cours et construire une préparation durable face aux menaces futures.
- Accélérer le diagnostic et les capacités de laboratoire
Les équipes de terrain ont rapporté des retards dans la confirmation des cas liés à des contraintes logistiques et matérielles. La priorité est donc de valider et déployer des tests rapides utilisables en zones reculées, tout en renforçant le séquençage métagénomique pour mieux identifier les cas inexpliqués. L’objectif : raccourcir les délais de confirmation et alimenter la surveillance génomique en temps réel. - Faire progresser les évaluations thérapeutiques
Les essais cliniques adaptatifs restent centraux dans la recherche sur Ebola. La plateforme internationale Partner Trials, déjà mobilisée lors d’épisodes récents de Marburg et d’Ebola, permet de tester simultanément plusieurs traitements, notamment des antiviraux à petites molécules, des anticorps monoclonaux et des thérapies ciblant la réponse immunitaire de l’hôte. Les priorités actuelles incluent l’évaluation du remdesivir, des corticostéroïdes à faible dose en combinaison avec des anticorps, ainsi qu’une optimisation des posologies. - Accélérer les autorisations d’essais et la préparation réglementaire
Pour éviter les lenteurs constatées lors des précédentes flambées, il est recommandé de simplifier les procédures réglementaires via des protocoles préapprouvés et des annexes spécifiques par virus. L’initiative AVAREF et les autorités éthiques nationales devraient permettre de réduire les délais de lancement des essais et de mieux intégrer la recherche à la réponse opérationnelle. - Optimiser les soins de support
Même si les traitements spécifiques progressent, la prise en charge de soutien reste la base du traitement d’Ebola, surtout dans des contextes à faibles ressources. La recherche doit affiner les protocoles de réhydratation, la gestion des électrolytes, les seuils transfusionnels, l’utilisation de l’acide tranexamique (TXA), les antibiothérapies contre les co-infections, et l’oxygénothérapie. Ces optimisations sont cruciales pour réduire la mortalité. - Mieux comprendre la physiopathologie et les complications cliniques
Des lacunes persistent sur les complications liées à Ebola, telles que l’atteinte rénale aiguë, les troubles de la coagulation, les atteintes neurologiques ou les co-infections (bactériennes et palustres). Des études spécifiques doivent cibler les populations vulnérables : femmes enceintes, enfants et survivants. Cette meilleure compréhension permettra d’adapter les lignes directrices cliniques et d’améliorer les essais thérapeutiques. - Renforcer la recherche sur la prophylaxie pré- et post-exposition
Les données récentes montrent une faible incidence secondaire chez les contacts une fois la vaccination par Ervebo effectuée (6,6 pour 1 000 contacts). Cette efficacité interroge sur la faisabilité statistique des essais de prophylaxie post-exposition (PEP) et incite à repenser les modèles d’étude pour intégrer ces nouveaux paramètres épidémiologiques. - Poursuivre le déploiement des vaccins existants et développer les nouvelles générations
Le vaccin rVSV-ZEBOV (Ervebo) reste un pilier central de la riposte, avec une efficacité démontrée dès le 10ème jour après l’injection. La vaccination en anneau — ciblant les contacts et leurs contacts — reste la stratégie de référence, avec possibilité d’étendre à des cercles élargis selon les ressources disponibles. Le consortium souligne aussi la nécessité de développer de vaccins de nouvelle génération, plus faciles à déployer. - Innover dans la conception des centres de traitement
Dans des environnements isolés et contraints, les modèles de structures de soins modulaires (IDTM, HEF, CUBES) doivent être évalués pour leur sécurité, leur efficacité et leur acceptabilité par les communautés. La logistique, l’énergie et l’approvisionnement en eau sont des leviers stratégiques pour améliorer la qualité des soins et la protection des soignants. - Renforcer la formation, la préparation et le partage des données
La montée en compétence des équipes africaines est considérée comme une priorité absolue. Des initiatives telles que FiloTreat visent à renforcer les capacités cliniques et de recherche locales. Le consortium insiste sur l’importance de l’harmonisation des données pour produire une preuve cumulative plutôt que des résultats fragmentés. - Intégrer pleinement les sciences sociales et l’engagement communautaire
L’expérience de l’épidémie de 2018–2020 a montré que la confiance communautaire est décisive pour la réussite des interventions. Plus de 95 % des contacts avaient été identifiés et vaccinés grâce à un travail de proximité. Le CORC recommande de développer une recherche sociale intégrée à l’épidémiologie pour étudier les comportements, contrer la désinformation, favoriser l’acceptabilité des essais et renforcer la transparence.
Une stratégie scientifique au service de la santé publique
En articulant ces dix priorités, le Filovirus CORC s’attache à rapprocher science et action de terrain. La riposte actuelle dans le Kasaï constitue un laboratoire grandeur nature pour développer des approches plus rapides, plus souples et mieux coordonnées. À terme, cette stratégie pourrait transformer la manière dont la communauté internationale anticipe et répond aux épidémies de filovirus.
Références
- Ebola Virus Disease, Democratic Republic of the Congo, External Situation Report 02. 23 septembre 2025.
- Filovirus Research Consortium (CORC). 10 Research Priorities in Response to the Ebola Outbreak in DR Congo and Future Filovirus Preparedness. 5 septembre 2025.