Ce n’est pas une boutique de design, en dépit de sa devanture vitrée au logo imprimé en transparence. Ici, le Spot propose aux chemsexeurs des informations, du matériel de RdR spécifique (Roule ta paille, pipettes, doseurs, seringues) et des soirées collectives d’autosupport : le mardi à 19h30, le « chillout chemsexChemsex Le chemsex recouvre l’ensemble des pratiques relativement nouvelles apparues chez certains hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH), mêlant sexe, le plus souvent en groupe, et la consommation de produits psychoactifs de synthèse. » est l’occasion d’évoquer les consommations de produits psychoactifs en contexte sexuel et les éventuelles difficultés qu’elles peuvent entraîner. Le tout dans un format d’autosupport entre pairs.
Outre le chillout, le Spot propose des entretiens individuels pour parler sexualité, conso de produits, PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. l’intervention de professionnels de santé (sophrologue, sexothérapeute, infectiologue, addictologue) et l’orientation vers des partenaires et des services d’addictologie pour des séjours et/ou consultations. Au Spot Beaumarchais, l’équipe mène un projet « santé mentale addicto chemsex » dans le cadre d’une collaboration entre Aides et le 190, centre de santé sexuelle et CeGIDDCeGIDD Centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD) des infections par les virus de l'immunodéficience humaine, des hépatites virales et des infections sexuellement transmissibles. Ces centres remplacent les Centres de dépistage anonyme et gratuit (CDAG) depuis le 1er janvier 2016.
Les chemsexeurs sont accueillis, orientés après un premier entretien vers un suivi addictologique (au 190 ou à l’extérieur, avec un psy, un médecin, un accompagnateur…) ; des consultations de réduction des risques spécifiques et/ou un Parcours d’accompagnement renforcé communautaire (Parc).
Destiné aux chemsexeurs suivis au Spot par un médecin ou un accompagnateur, mais nécessitant un accompagnement supplémentaire, le Parc propose des consultations multidisciplinaires et des ateliers (sport adapté, arts plastiques, écriture, hypnose, etc.) pour limiter les symptômes de l’addiction et (ré)apprendre à faire du lien en dehors du chemsex et des applications. Thibaut Jedrzejewski, directeur du 190, en détaille les attendus.
En quoi consiste le dispositif Parc ?
Thibaut Jedrzejewski : C’est un dispositif qui dure trois mois, renouvelable une fois, soit 6 mois maximum. Nous avons commencé à l’automne 2021 ; 25 personnes ont été accompagnées depuis. Nous essayons d’inclure une dizaine de personnes à chaque fois ; à peu près la moitié d’entre elles font un premier Parc et puis un deuxième… C’est un dispositif plus souple qu’un dispositif hospitalier qui propose un accompagnement qualitatif. Il n’y a rien d’obligatoire. Plusieurs rendez-vous réguliers sont proposés : un rendez-vous avec un intervenant au moins une fois par semaine – accompagnateurs communautaires, infirmiers, psychologues, sexologue. Et des ateliers : sport adapté, ateliers théâtre, arts plastiques, hypnose de groupe, écriture… en fonction des besoins et des budgets.
Il y a deux groupes de paroles par mois : un groupe pour faire le point sur le Parc, la dynamique de groupe, les attentes, les ateliers et un espace de parole libre « le café psy » mené par les psychologues. Nous avons deux consultations spécifiques : l’une d’auriculothérapie, avec parfois le recours au protocole NADA (National Acupuncture Detoxification Association) utilisé pour le craving chez les consommateurs de produits stimulants dans certains Csapa, notamment à Gaïa.
L’autre, c’est la réflexologie plantaire, pour travailler la réappropriation du corps, chez des personnes pour qui le toucher est compliqué. Nous avons de très bons retours qualitatifs sur ces deux consultations. Elles permettent de travailler le rapport au corps avec des soignants formés.
Les chemsexeurs se rendent compte qu’ils n’ont pas été touchés depuis longtemps. Se poser, ressentir des sensations autres que très directement sexuelles ouvre des portes vers la sexualité sans produits.
L’objectif, c’est la sexualité sans produits ?
TJ : L’objectif est propre aux personnes. Pour entrer dans le dispositif, il faut qu’il y ait une volonté de changement, par rapport aux produits, au rythme de consommation ou à la sociabilité, retrouver du travail… Du côté addicto, le but n’est pas l’arrêt complet, mais que la personne retrouve un rapport aux produits qui lui convient, plus serein… Les chemsexeurs que nous voyons sont très souvent isolés, désocialisés, la consommation pouvant renforcer ou déclencher cela. L’idée, c’est d’autonomiser les gens, de montrer qu’il y a d’autres manières de faire groupe, de se rencontrer, que d’être dans un rapport direct à la sexualité, dans l’absence de désir, mais dans l’excitation sexuelle, pour réinvestir différemment le lien qu’on crée avec les gens. L’idée des ateliers, c’est de prendre plaisir autrement, dans d’autres circonstances.
Quel est le public de ce dispositif ?
TJ : Les chemsexeurs. Nous partons de la définition de chemsex comme un usage de produits en contexte sexuel spécifique aux HSHHSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes. personnes trans et non binaires. Il faut qu’ils aient un problème à cause du chemsex et être demandeurs de soins. Il y a des critères d’exclusion : nous n’intégrons pas des personnes qui pourraient mettre le groupe en difficulté, ou vice-versa, car l’objectif est de créer un groupe dynamique, un espace dans lequel des liens se développent, où les gens se rencontrent… Nous allons sur le prisme du contexte social, sexuel, affectif de ces populations.
Comment est venue cette idée ?
TJ : Nous étions dépassés par les événements au 190, même en suivant des patients à plusieurs, on se sentait vite limités dans ce qu’on pouvait faire. Thomas l’Yavanc, médecin addictologue au 190, s’est inspiré des hôpitaux de jour ambulatoire, pour proposer des ateliers et une présence quasi quotidienne à des personnes en difficulté. Nous avons travaillé deux ans sur le montage du projet avec l’équipe du Spot. On a mis du temps à se coordonner, autour de l’idée d’un centre d’accompagnement communautaire de Aides et d’un centre de santé communautaire comme le 190… La spécificité, c’est d’arriver à allier une réponse communautaire, médicale et non médicale, alors qu’en règle générale ces deux pôles ont peu l’habitude de travailler ensemble.
Qu’est-ce qui manque à votre programme ?
TJ : Des financements ! Nous fonctionnons comme un centre de santé avec une facturation à l’acte à l’Assurance maladie et aux mutuelles. Nous avons reçu un financement partiel du fond addiction de l’ARS. Tout le reste est actuellement compensé par Aides. Mais ce dispositif coûte cher et il faut trouver d’autres sources de financement pour développer des ateliers supplémentaires, plus pérennes… Surtout, ce qui manque, c’est du lien avec suffisamment de professionnels qui connaissent le contexte et les enjeux du chemsex. Les soignants doivent s’emparer des questions sexologiques et communautaires : le coming-out et la manière de vivre son orientation sexuelle peuvent être déterminants dans les complications du chemsex. Il y a beaucoup de confusion entre chemsex et complications du chemsex, entre addiction et complications. Trouver des soignants sensibles qui offrent une prise en charge globale, c’est compliqué. Ce qui manque aussi, c’est la prévention : détecter les problèmes avant qu’ils arrivent. On pourrait faire du repérage et de la prévention via les consultations VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. ou PrEP. Mais prendre en soin les personnes qui ont des complications demande des dispositifs énormes, pluridisciplinaires, avec des consultations régulières, chronophages, éprouvantes pour les soignants. Et il faudrait une réponse communautaire : des espaces pour recréer du lien autrement que via la question de l’excitation sexuelle, des espaces pour lesquels il y a de la place pour du désir.
Des outils de RdR
Tim Madesclaire, accompagnateur communautaire au Spot Beaumarchais, est un fin connaisseur des problématiques du chemsex. Il a travaillé sur l’étude Apaches (cf. Swaps n 92-93) et nourrit les rapports Trends de l’OFDT d’observations et de témoignages quant aux espaces festifs gays et autres associés au chemsex.
Il développe avec le projet Arpa des outils d’auto-évaluation destinés aux « happy chemsexeurs », qui n’ont pas nécessairement de problème avec la pratique. « Nous sommes en train de construire une balance décisionnelle inspirée de ce que fait le Checkpoint à Berlin, explique-t-il. Cet outil permet de tracer des lignes entre ce qu’on arrive à faire et ce qu’on ne veut plus faire en lien avec le chemsex. Ceux qui n’ont pas de problèmes avec le chemsex n’arrivent pas à compléter le tableau… On pourrait s’en servir comme outil d’entretien, mais aussi la distribuer sur le net, les bars. »
Le Spot Beaumarchais offre aussi la possibilité de tester ses produits avec le soutien du dispositif TREND-SINTES Île-de-France et l’association « Analyse ton Prod’ Idf ». Ces analyses montrent que depuis le classement de la 3-MMC comme stupéfiant aux Pays-Bas, en septembre 2021, la 3-MMC semble de plus en plus fréquemment remplacée par de la 3-CMC ou d’autres cathinones aux effets proches (3-MMA, 2-MMC, 4-MMC, DMBDP…). Même si cette substitution est parfois méconnue du consommateur ayant acheté le produit, et des revendeurs s’approvisionnant sur internet…