Chemsex : de la nécessité d’adapter les réponses

Anglicisme issu de la fusion des mots chemicals (produits chimiques) et sex, le chemsex désigne la consommation de substances psychoactives en contexte de sexualité. Le terme s’est vulgarisé dans la communauté gay à partir de la fin des années 2000 au Royaume-Uni notamment et aux États-Unis, et prend son essor en France vers 2010. Est accolée à l’émergence du chemsex une pratique, minoritaire mais sanitairement impliquante, le slam ou l’injection de produits dans ce même contexte sexuel. Tour d’horizon non exhaustif des données historiques et scientifiques existantes et des questions de recherche en suspens.

Un phénomène apparu au début des années 2000 au sein de la communauté gay

Le phénomène chemsexChemsex Le chemsex recouvre l’ensemble des pratiques relativement nouvelles apparues chez certains hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH), mêlant sexe, le plus souvent en groupe, et la consommation de produits psychoactifs de synthèse. renvoie à un usage de drogues spécifiquement à visée sexuelle et a été défini par David Stuart, activiste pour les droits des HSHHSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes.  (hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes) comme un phénomène culturel gay (Stuart, 20161). Même si des usages de ce type existaient bien avant que le mot « chemsex » n’apparaisse, les pratiques qui s’y référent présentent des spécificités. Ces pratiques sont apparues durant les années 2000 chez les HSH utilisant des produits psychoactifs tels que les cathinones (méphédrone, 3-MMC, 4-MMC, 3-CMC, etc.), le GHB/GBL ou la méthamphétamine (crystal, tina) en contexte sexuel, majoritairement en groupe et sur des sessions prolongées

Dès 2012, Swaps consacre son numéro 67 aux cathinones. Il faudra attendre septembre 2021 pour qu’Olivier Véran, alors ministre de la Santé, diligente une mission dirigée par le Pr Amine Benyamina, qui produit le premier rapport national sur le chemsex2. Ce rapport indique que l’objectif des consommations réside principalement dans le but d’initier, de faciliter, de prolonger, ou d’améliorer les rapports sexuels, la performance, la durée des rapports à travers les effets psychoactifs des molécules consommées.

Les acteurs de terrain participant au Forum chemsex3 l’ont défini comme une pratique parmi les hommes gays et bisexuels, trans et non binaires, d’usage de substances en contexte sexuel. Il serait lié aux impacts des attitudes sociétales envers les personnes LGBTQ+ et les homosexuels sur la sexualité gay, au traumatisme causé par l’épidémie du VIH/sida. Mais aussi la pression des pairs, l’importance des activités ritualisées, la culture de drague gay et les nouvelles technologies, notamment les applis de rencontre géolocalisées.

Une épidémiologie compliquée

L’émergence des travaux scientifiques sur cette question semble montrer que cette pratique se diffuse dans de nombreux pays (Blomquist et al., 2020 ; Bourne et al., 2015 ; Frankis et al., 2018 ; Herrijgers et al., 2020). Les premiers travaux, principalement aux États-Unis et en Grande-Bretagne, ont permis de documenter les complications associées à ces pratiques, qu’elles soient somatiques et infectieuses (VIH, VHC, ISTIST Infections sexuellement transmissibles.  abcès, atteintes veineuses, surdoses), psychiques (troubles liés à l’usage de drogues, estime de soi) ou sociales (perte d’emploi, isolement) (Halkitis et al., 2001 ; Mansergh et al., 2006 ; Ruf et al., 2006 ; Rusch et al., 2004). Des travaux débutent sur les complications affectives et sexuelles liées au chemsex, qui ont un impact majeur sur les usagers, à la suite de l’étude Apaches (OFDT 2018, voir Swaps no 92-93). Plus récemment, les études conduites pendant la crise sanitaire liée au Covid-19Covid-19 Une maladie à coronavirus, parfois désignée covid (d'après l'acronyme anglais de coronavirus disease) est une maladie causée par un coronavirus (CoV). L'expression peut faire référence aux maladies suivantes : le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) causé par le virus SARS-CoV, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) causé par le virus MERS-CoV, la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) causée par le virus SARS-CoV-2. suggèrent un impact délétère de cette période sur les personnes qui pratiquent le chemsex (Roux et al., 2022 ; Santos et al., 2021, étude CheRRLock, 20234). Notamment dans l’accès au dépistage et à la prévention, dont la PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®.

Une méta-analyse de la littérature de 2019 (Maxwell 2019) a tenté d’établir un ordre de grandeur de la diffusion du phénomène (pour la population des États-Unis et de l’Europe occidentale) chez les HSH : les 38 études prises en compte estiment une prévalencePrévalence Nombre de personnes atteintes par une infection ou autre maladie donnée dans une population déterminée. de pratique du chemsex de 3 à 29 % chez les HSH. La proportion irait jusqu’à 17 à 27 % chez les usagers de centres de santé sexuelle aux États-Unis et jusqu’à presque un tiers (29 %) des usagers d’applications de rencontre géolocalisées. Une des rares études multicentriques explorant la prévalence du chemsex en France a été réalisée en 2015 (Trouiller 2020) : elle retrouve une prévalence de pratique (une fois dans l’année au moins) de 20,8 % parmi 2 610 HSH fréquentant des lieux et soirées communautaires dans 5 métropoles françaises. 3,1 % ont rapporté s’être déjà injecté des produits (pratique du « slam »). Dans l’étude ERAS de 2023, 29 % des 3 278 prepeurs déclaraient avoir pratiqué le chemsex dans les six mois précédents, versus 14 % des 3 161 HSH non prepeurs (p<0,001) (voir figure 1).

Résultats Eras : caractéristiques sexualité / Annie Velter, Santé publique France 2024

La question de la dynamique dans le temps et dans l’espace du phénomène « chemsex » est encore plus complexe à évaluer. Une des rares études longitudinales menée en Suisse auprès d’une population séropositive pour le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. retrouve un triplement des consommations des produits liés au chemsex (GHB et méthamphétamine) chez les HSH entre 2007 et 2017 (Hampel 2020). Sur le plan géographique, l’enquête EMIS (European MSM Internet Survey) en 2010 a recruté 174 209 hommes de 38 pays pour répondre à un questionnaire anonyme en ligne en 25 langues et comparé 44 villes. Parmi les données de 55 446 HSH, la pratique du chemsex au cours des 4 dernières semaines était la plus élevée à Brighton (16,3 %), Manchester (15,5 %), Londres (13,2 %), Amsterdam (11,2 %), Barcelone (7,9 %), Zurich (7,0 %) et Berlin (5,3 %) (Schmidt 2016). Le chemsex peut se passer du contexte urbain pour se développer grâce aux locations Airbnb et aux applications de rencontre (Kennedy 2021). Les études de prévalence souffrent d’un manque d’homogénéité dans les définitions, notamment concernant le périmètre des produits utilisés (certaines incluent l’alcool, les stimulants de l’érection et les poppers) et le recueil temporel de l’usage (au dernier rapport, dans les trois derniers mois…).

Le chemsex : une scène variée, des molécules, des pratiques et des usages en mouvement permanent

En écho aux retours du terrain, au cours des années 2010,plusieurs travaux scientifiques commencent à s’intéresser aux motivations qui sous-tendent la pratique du chemsex et surtout, à la diversité de ces pratiques. Les enquêtes Apaches et ANRS PaacX ont montré que les personnes concernées peuvent vivre de différentes manières le chemsex, entre elles et au cours de la vie. La pratique du chemsex y est aussi décrite comme un espace de lâcher-prise et de plaisir. Cette notion, souvent oubliée des travaux sur les usages de drogues (Schroeder et al., 2022), questionne les rapports aux drogues et à la sexualité, les représentations du risque et les parcours des personnes engagées dans ces pratiques. Le chemsex permet aux gays de se libérer de leur image, physique et psychique, d’accéder plus facilement à des partenaires, tout en se libérant des normes. La pratique offre le sentiment d’appartenir à un groupe, qui vient combler un sentiment de solitude. Toutes ces dimensions doivent être abordées pour prendre soin des usagers.

Le chemsex est généralement associé à un ensemble de pratiques au sein d’environnements spécifiques : une utilisation quasi-systématique des applications de rencontre, polyconsommation et modes d’administration (sniff, bump, IV/slam, inhalation), des pratiques sexuelles en groupe, des pratiques sexuelles plus intenses (utilisation de sextoys, fist-fucking), généralement dans des lieux privés ou en sex-club. Les pratiques sont dynamiques et peuvent suivre des effets de mode comme en témoignent les différences de produits consommés entre pays et la vitesse à laquelle un produit peut en remplacer un autre en quelques années. L’attention portée au chemsex depuis la fin des années 2000 est liée au fait que cet environnement est également le théâtre de scènes et d’expériences traumatisantes, telles que des violences sexuelles, des overdoses, des atteintes veineuses, des traumatismes psychiques, ainsi que des accidents nécessitant une prise en charge médicale, voire entraînant la mort. Dans de nombreux cas, ces décès sont liés à la consommation de GHB/GBL, une drogue largement répandue dans le contexte du chemsex, susceptible de provoquer une perte de conscience et une dépression respiratoire. Les expériences de décrochage social et professionnel sont ainsi régulièrement rapportées (Barbier, 2017).

Une médiatisation du phénomène au risque de discriminations

Les premiers articles parus dans la presse grand public en France après le premier confinement font état d’une situation alarmante vis-à-vis de cette pratique, rapportant des états de détresse, des surdoses et des complications sanitaires dramatiques. Les titres choisis par les journaux témoignent de cette inquiétude grandissante : « Paris s’inquiète du phénomène chemsex, qui se diffuse à grande échelle dans la capitale », « Le chemsex se démocratise aussi chez les hétéros et c’est inquiétant », ou encore « Chemsex à Lille : une pratique qui se renforce et désarçonne les acteurs sociaux ». L’affaire Palmade survient comme un coup tragique, associant la pratique du chemsex, les people, les gays et un acte meurtrier. Les raccourcis sont rapides et simples à récupérer par les médias tout en produisant des discours discriminatoires ayant des effets délétères sur la santé des personnes et l’accès aux services de soins et de réduction des risques.

Une sorte de « perfect storm » sensationnaliste : célébrité, drogues, sexe et fait divers, feuilletonnable à l’envi, selon Libération, a vu le jour. Tout au long du mois de février 2023, « l’affaire Pierre Palmade », après l’accident de la route provoqué par l’humoriste le 10 février, (qui a causé la mort d’un enfant) a été exploitée à l’excès. Selon les données récoltées par la plateforme de veille média Tagaday pour Libération – et inspirées du travail publié par Jean-Noël Buisson sur Twitter –, 29 905 citations relatives à ce fait divers ont été enregistrées au cours du mois de février à travers les médias (Internet, radio, télé et presse écrite). Soit une moyenne de 1 573 articles ou chroniques par jour depuis le 10 février, ou un article sur 90. Pour un sujet, le chemsex, quasiment jamais abordé dans les médias avant ce drame people. À titre de comparaison, l’affaire Palmade a eu droit à l’équivalent d’un quart de la couverture médiatique de la guerre en Ukraine (127 389 citations), marquée par l’anniversaire du début de l’invasion russe le 24 février.

Des risques sanitaires aux risques pénaux

En France, plus de 200 substances psychoactives sont interdites et recensées par l’arrêté du 22 février 1990 fixant la liste des substances classées comme stupéfiants. La classe des cathinones en fait partie, dont la molécule la plus utilisée est la 3-MMC. Les laboratoires de fabrication se trouvent plutôt à l’étranger (Le Dévédec 2022) et les produits vendus sont souvent différents de ceux attendus (Willeman, 2023, HRJ). Lorsque la Hollande interdit cette molécule, apparaît sur le marché un produit encore plus toxique, la 3-CMC, ayant des effets psychoactifs plus intenses et plus délétères, notamment au point d’injection.

La question des effets de ces produits, notamment la combinaison de la 3-MMC et du GHB/GBL, et de ce qu’ils induisent comme risques se pose, envers soi-même mais également envers autrui. Dans ces contextes, où la surdose peut être fatale et le consentement difficile à évaluer de part et d’autre, il est nécessaire d’informer les personnes et de proposer des réponses adaptées.
En termes législatifs, selon Le Dévédec, la question du consentement est sensible car « la difficulté dans le chemsex, c’est qu’il est très compliqué d’identifier ce à quoi une victime a consenti, ce à quoi elle n’a pas consenti, et la connaissance des partenaires de ces informations, surtout lorsque le discernement de l’ensemble des participants est affecté, voire qu’ils ont des pertes de mémoire avec des produits très amnésiants ». Pour lesmêmes raisons l’ablation du discernement peut être appliqué aux chemsexeurs, victimes ou accusés, en vertu de l’article 122-1 du Code pénal qui dispose en son alinéa 1er que « n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes » (Le Dévédec, 2022).

Une étude récente sous l’égide de la Société française de toxicologie analytique recense les cas de chemsex notifiés par 19 laboratoires de toxicologie en France entre 2018 et 2023. Deux cent trente-deux cas de chemsex ont été notifiés venant de 14 régions de France. Quatre-vingt-dix cas d’intoxications (39 %) ont été signalés, avec des symptômes courants tels que coma, perte de conscience, agitation et tachycardie. Cinquante décès (15 %) ont été recensés. De plus, 61 cas de troubles liés à l’usage de substances indiquant une pharmacodépendance, et 18 cas de rapports sexuels non consentis ont été rapportés5. Une publication britannique identifie à Londres 61 décès associés au GHB, 184 décès associés à la cocaïne et 83 décès associés à la MDMA entre 2011 et 2015. Le nombre de décès associés au GHB détectés en 2015 avait augmenté de 119 % par rapport à 2014 (Hockenhull J, 2017). Ainsi, nous disposons de peu de données sur ces questions de consentement, de surdoses et de réponses à apporter et seules des études de cohorte pourraient permettre de nous éclairer.

Des enjeux de santé mentale et d’accès aux services de soins

Quelle que soit la relation d’une personne avec le chemsex et le niveau de risque associé à ses pratiques, les chemsexeurs ont des besoins de santé différents et évolutifs qui nécessitent la mise en place d’un parcours de prise en charge adapté (Blanchette et al., 2023). Face à ces enjeux, il semble aussi que les chemsexeurs développent des stratégies de réduction des risques spécifiques, des parcours de santé et des formes de solidarité entre pairs, qui restent encore insuffisamment documentées mais qui témoignent d’une volonté de prendre soin de soi plutôt que d’une panique morale qui serait caractérisée par des comportements inconscients.

Beaucoup d’articles décrivent les vulnérabilités psychiques des HSH qui pratiquent le chemsex ou les complications associées au chemsex (Hibbert et al., 2019), sans pouvoir informer sur le sens de la causalité (difficultés préexistantes ou conséquences de la pratique). Des troubles psychiatriques peuvent en effet préexister à la consommation de substances, comme le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), les traumatismes vécus (PTSD) dans le passé (enfance, adolescence) en lien ou pas avec l’homosexualité (Bohn et al., 2020). Certains HSH qui prennent des risques semblent présenter des carences affectives, une baisse de l’estime de soi et des problèmes relationnels, et parfois une homophobie intériorisée. Enfin, des troubles de l’usage des différentes substances du chemsex (cathinones, GHB/GBL) apparaissent dans beaucoup de parcours de HSH qui pratiquent le chemsex tout comme des addictions comportementales (téléphones, applications, réseaux sociaux) (Zou et Fan, 2017).

Peu de données existent sur l’accès aux soins et aux services de prévention de l’ensemble des HSH qui pratiquent le chemsex (excepté pour les HSH ayant accès à la PrEP, essentiellement en milieu urbain). De plus, l’utilisation effective de ces services et les conséquences de ces recours (en termes de modification de comportements) sont également peu connues. Elles dépendent d’un grand nombre de facteurs structurels (accessibilité géographique, organisation, visibilité, adéquation, composante communautaire) ou individuels (ressources cognitives, culturelles, financières) (Sousa et al., 2020). Ces données sur l’offre de soins et son utilisation par les HSH qui pratiquent le chemsex sont importantes, car elles peuvent influencer les trajectoires de chemsex.

Les enjeux de RdR sont par ailleurs de mieux comprendre la fonction de l’usage de drogue dans la sexualité comme celle de s’autoriser des pratiques sexuelles non assumées sans le recours aux drogues (de l’accès à la tendresse à une sexualité qui exclut toute forme de lien à l’autre) ou de mieux comprendre les limites d’une sexualité sous substances (d’une désinhibition recherchée à une absence de consentement) (Gaissad et Velter, 2019). Des questions émergent autour d’une sexualité qui serait masculine, où l’injonction à la performance viendrait guider les pratiques. La place des substances psychoactives amènerait les HSH à une sexualité qui devient impossible sans ces consommations associées et qui parfois seraient à l’origine de troubles de la sexualité conduisant à une impotence sexuelle (difficulté d’érection, anorgasmie, baisse de la libido ; peur d’une sexualité sans produit) et tout ce que ça suppose de conséquences psychiques.

Dimensions socio-culturelles du chemsex dans des populations spécifiques : migrants, trans, jeunes et seniors

Bien que les premiers auteurs sur la question du chemsex reconnaissent la spécificité culturelle de la pratique avec son ancrage au sein de la communauté gay (Stuart, 2019), peu de données existent sur la place du chemsex dans les sociabilités des populations de HSH cumulant des formes de vulnérabilité, à l’instar des HSH migrants, des personnes trans, des jeunes HSH ou encore des HSH seniors. Les associations communautaires font état de chemsexeurs migrants dont la situation est marquée par un cumul de vulnérabilités (précarité administrative, difficultés d’accès aux droits et aux soins, isolement social, difficultés psychiques…) qui peuvent renforcer les contraintes à la sexualité et réduire les possibilités de choix des pratiques sexuelles. Les enquêtes qualitatives montrent également l’importance des (re)socialisations sexuelles dans les parcours d’exil des HSH nés à l’étranger (Mole et al., 2013 ; Chen, 2023), la pratique du chemsex pouvant s’inscrire dans ces (re)socialisations. Les trajectoires vers le chemsex et son vécu dépendent aussi du rapport à l’homosexualité des personnes, de leur intégration dans la communauté LGBT du pays d’origine et du pays d’accueil ou encore de leur rapport à la prévention et aux risques IST/VIH (Araújo et al., 2023).

Les témoignages associatifs et de chemsexeurs confirment la pratique du chemsex parmi les personnes trans, hommes ou femmes. Pourtant, ces populations sont peu visibles dans les enquêtes quantitatives sur ce phénomène et les données disponibles sont souvent trop restreintes pour être interprétées. On sait par ailleurs que c’est une population qui est confrontée à des violences spécifiques, transphobes notamment, et soumise à des vulnérabilités sociales qui ont des conséquences sur la santé (somatique et mentale).

Pour certains HSH jeunes, l’entrée dans la sexualité peut se faire rapidement à travers le chemsex (Tan et al., 2021), avec les enjeux de consentement et de rapports de domination qui l’accompagnent. Pour les plus de 60 ans, les témoignages associatifs montrent que ce profil existe et qu’il est marqué par des formes de vulnérabilités spécifiques (isolement, mauvaise connaissance des produits), mais aussi un vécu particulier du chemsex qui permet un certain « retour » à la sexualité.

Enfin, la question de la diffusion du chemsex en dehors de la communauté gay fait toujours question : le chemsex peut-il s’étendre aux hétérosexuels ?6 L’étude française controversée Sea, Sex and Chems (Cessa 2021) retrouve dans une population de 1 196 personnes se définissant comme pratiquant du chemsex (incluant des consommations de cannabis ou d’alcool) : 73,3 % de HSH mais aussi 16,5% de femmes, 5,4 % d’hommes hétérosexuels et 4,2 % de personnes non-cisgenres. Une étude néerlandaise retrouve également des consommations de drogues en contexte de sexualité dans le milieu échangiste hétérosexuel (Evers 2020). Cependant, ces pratiques au sein de populations hétérosexuelles sont considérées comme des usages sexualisés des drogues et sont moins intenses que chez les HSH pour lesquels il y a nécessité à adapter les politiques de santé publique (Hibbert, 2019). Pour mieux comprendre les parcours des personnes concernées, les déterminants qui les façonnent, et inclure des publics difficiles d’accès comme les HSH non identitaires ou migrants, un projet de recherche du groupe de travail sur le chemsex de l’ANRS est né : avec l’AC 46 de l’ANRS-MIE, il prendra la forme d’une cohorte de HSH et personnes trans qui pratiquent le chemsex, adossée à une enquête socio-anthropologique. Cette étude souhaite documenter la pratique du chemsex sur un temps suffisamment long pour en comprendre les déterminants, les nuances et les dynamiques aussi bien dans les parcours que dans les conséquences associées, ceci pour développer des réponses et des outils adéquats.

  1. En mémoire de David Stuart de la clinique de santé sexuelle communautaire du 56 Dean Street, à Londres, activiste sans relâche, militant et travailleur social, premier concepteur d’un site d’information pratique sur le chemsex et qui a, selon la légende, inventé le terme de chemsex. Mort subitement le 12 janvier 2022, il est salué comme il se doit comme un expert international. ↩︎
  2. Gilles Pialoux a été membre de la mission Benyamina, il participe au groupe de travail de l’ANRS-MIE dont Perrine Roux est la présidente. ↩︎
  3. « A call to action for effective responses to problematic chemsex », position paper des participants du second Forum chemsex, Berlin, 2018 ↩︎
  4. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/36562613/ ↩︎
  5. https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S2352007823001488?via%3Dihub ↩︎
  6. Slate, 13 octobre 2021 ↩︎

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