La préparation du plan gouvernemental de lutte contre les drogues illicites, le tabac et l’alcool 2004-2008 proposé par la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt) a montré la nécessité d’un répertoire de soins variés pour répondre à la diversité des besoins des usagers au cours de la vie, autant qu’à la diversité des usages et des usagers. Un traitement de substitution est parfois difficile à supporter, comme tout traitement chronique: sa longue durée, souvent sans terme envisagé, ses effets secondaires, l’astreinte d’un suivi régulier. Certains souhaitent s’en sevrer. D’autres ne veulent pas d’un traitement de substitution qui maintient la dépendance physique, ou ressentent le besoin d’une prise en charge plus étroite qu’en ambulatoire, afin de travailler sur des aspects adaptatifs de leurs comportements. Enfin, toutes les substances n’ont pas, en tout cas à ce jour, de traitement substitutif. Dans cette perspective de diversification de l’offre thérapeutique, l’option de création de communautés thérapeutiques (CT) s’est inscrite: le patient dépendant aux drogues ou à l’alcool, vivant un parcours long et chaotique, devait pouvoir bénéficier de la modalité d’accompagnement dont il avait besoin, au moment où il en avait besoin, le choix de l’usager dépendant et sa motivation représentant des facteurs déterminants.
Une offre de soins résidentiels insuffisante
Le plan gouvernemental pointait parallèlement l’intérêt des soins résidentiels regrettant l’insuffisance de l’offre par rapport aux besoins: «l’offre de prise en charge résidentielle s’est réduite (elle est actuellement de moins de 600 places) alors que les besoins et les types de populations concernées augmentent.» Ce secteur de l’offre résidentielle se composait alors essentiellement de centres thérapeutiques résidentiels, les anciennes postcures et de SSR intégrant les questions d’addictologie.
L’objectif de diversification alliait la volonté de réhabiliter le soin résidentiel et d’élargir la palette thérapeutique à un modèle de prise en charge longue (12 à 24 mois) et groupale. Il devait intégrer diverses appréhensions antérieures à la publication du plan gouvernemental:
> Celles sous-entendant que ces nouveaux dispositifs viendraient jeter le discrédit sur l’existant: en 2004, trois centres de soins spécialisés en toxicomanie (CSST) avec hébergement se définissaient déjà comme des «communautés thérapeutiques». Ils proposaient déjà une approche communautaire avec le groupe comme outil thérapeutique, l’expérience d’une rencontre avec des usagers plus anciens dans le séjour, une inscription dans le parcours de soins et le maintien ou la prescription de traitements de substitution conformément à la règlementation sur les Csapa. Le nouveau modèle de projet thérapeutique complétait cette offre en apportant un renforcement de la structuration par étapes (avec une phase plus conséquente d’insertion), de la place donnée à l’entraide par les pairs et de celle donnée à la démarche d’abstinence. Par ailleurs, une note interne à la Mildt intitulée «Propositions pour l’ouverture de nouvelles communautés en France» datant de 2004 précisait que les nouvelles CT «ne se substituaient pas aux centres thérapeutiques résidentiels, dispositifs pouvant accueillir des personnes traitées par des médicaments opiacés pour des séjours beaucoup plus brefs et développant des prises en charge individuelles». Il s’agissait de bien prendre en compte la fragilité des postcures qui avaient dû progressivement intégrer les nouvelles conditions d’organisation et de fonctionnement des centres de soins spécialisés aux toxicomanes du décret du 26 février 20031Article D. 3411-2 du CSP Les centres spécialisés de soins aux toxicomanes assurent:
1) L’accueil, l’information et l’orientation de la personne ainsi que l’accompagnement de son entourage;
2) L’aide au repérage des usages nocifs et à la réduction des risques associés à la consommation de substances ou plantes mentionnées à l’article D. 3411-1;
3) Le diagnostic et des prestations de soins, dans le cadre d’une prise en charge médicale et psychologique. Le centre assure le sevrage ainsi que son accompagnement lorsqu’il est réalisé en milieu hospitalier;
4) La prescription et le suivi de traitements de substitution;
5) La prise en charge sociale et éducative, qui comprend l’accès aux droits sociaux et l’aide à l’insertion ou à la réinsertion. et inscrire dans leurs pratiques la prescription et le suivi de traitements de substitution aux opiacés.
> La crainte des usagers témoins des conséquences dramatiques de l’épidémie de sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. et des professionnels face à la persistance de fortes oppositions politiques au déploiement d’actions de réduction des risques: l’offre supplémentaire devait donc se faire en cohérence avec ce déploiement de l’approche pragmatique de la réduction des risques. Son inscription dans la loi de santé publique 2004- 806 venait à peine de la conforter en stabilisant le statut expérimental des «boutiques» par la création d’un nouveau type de structure médicosociale: les centres d’aide et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud).
> Enfin, l’évolution autoritaire, sectaire et les dérives financières de l’association Le Patriarche, un temps très soutenue par les pouvoirs publics locaux et nationaux, avait participé au rejet par les professionnels, par ailleurs opposés aux thérapies comportementales, de ces approches communautaires.
Le déploiement de ces nouvelles CT à la française dans la palette du dispositif existant ne pouvait ignorer ces inquiétudes. Il nécessitait, afin de dépasser les clivages historiques, un accompagnement que la Mildt s’est employée à mener.
La méthode choisie pour un consensus
1. Choix du statut administratif et financier des CT
Ces réticences ont nécessité de nombreux échanges avec la direction générale de la santé (DGS) pour qui le soin résidentiel long n’était pas une priorité.
La Mildt tenait au statut médicosocial qui limiterait le risque de structures potentiellement sectaires : quelques associations, dont certaines cultuelles, étaient à l’affut de la possibilité d’ouvrir des CT avec pour seul cadre l’accueil de toxicomanes et l’absence de tout contrôle médical et de tout traitement. D’autre part, il aurait été préjudiciable de créer des dispositifs en dehors de la palette déjà disponible. Le financement sur PLFSS de structures expérimentales, prévu par le code de la Sécurité sociale, répondait à ces attentes et permettait un financement post-expérimentation pérenne.
L’arbitrage du ministre de la Santé et des Solidarités a confirmé le statut d’établissement médicosocial. Les communautés thérapeutiques seraient autorisées, après avis du comité régional de l’organisation sociale et médicosociale, par le représentant de l’État dans le département au titre des établissements expérimentaux, avec un financement par des crédits assurance maladie. La circulaire2Circulaire no DGS/MILDT/SD6B/2006/462 relative à la mise en place des communautés thérapeutiques publiée le 24 octobre 2006 prévoyait leur inscription dans le cadre de la loi du 2 janvier 2002 et leur mise en place en tant que structures expérimentales (sélection, autorisation et financement). Y était annexé le cahier des charges. Le décret3Décret no 2007-877 du 14 mai 2007 relatif aux missions des centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie relatif aux missions des Csapa précisait que les CT expérimentales pouvaient être autorisées en tant que Csapa et qu’elles n’étaient pas tenues d’assurer la prescription de traitement de substitution.
2. Cahier des charges, circulaire/procédure de mise en place
La réflexion animée par la Mildt avec des représentants des professionnels de l’addictologie et des usagers de drogues a abouti en 2005 à un premier cahier des charges. Il précisait le modèle des CT, en garantissait la qualité et prévenait les dérives autoritaires, le prosélytisme religieux ou sectaire et l’exploitation économique. Sur cette base, il avait été demandé aux Drass et Ddass de faire émerger des projets sur leurs territoires. Les chefs de projet Mildt en ont été informés. Dix-sept dossiers reçus au niveau national ont été étudiés par un groupe ad hoc en vue d’établir un classement prioritaire.
Les remarques émises par les participants du groupe de suivi et les échanges dans le cadre du plan de prévention des addictions 2007-2011 ont permis de faire évoluer ce cahier des charges, notamment sur la nécessité de ne pas exclure les patients sous traitement de substitution aux opiacés. Le cahier des charges, complété de la proposition d’un projet thérapeutique spécifique d’aide à l’arrêt des traitements de substitution, a été mis à jour en octobre 2006 et intégré en annexe de la circulaire relative à la mise en place des communautés thérapeutiques (no DGS/MILDT/SD6B/2006/462).
3. Groupe de suivi
Ce groupe associait, en plus des représentants de la Mildt et de la DGS, un représentant d’une association d’auto-support et de réduction des risques, un représentant des professionnels de l’addictologie, des acteurs d’associations porteuses de dispositifs de soins ambulatoires et résidentiels et de réduction des risques, des acteurs plus spécifiquement représentatifs des différents dispositifs résidentiels. Participait également au groupe une représentante d’un dispositif résidentiel appliquant l’approche Minnesota, dite des 12 étapes, alliant une approche sur le modèle des groupes d’entraide type AA et NA, une place prépondérante donnée à d’anciens usagers formés au counseling et un projet d’abstinence y compris des médicaments4Membres : Me Kate Barry (Association Apte) – Me Marie-Claude Carreau-Rizzetto (CT du Val d’Adour) – M. Jean-Pierre Couteron (président de l’Anit) – M. Jean-Michel Delile (Directeur du CEID de Bordeaux) – Dr Joël Lacour (médecin coordinateur des CCAA (Auxerre et Sens) et CSST (Auxerre et Sens) ANPAA 89) – M. Nicolas Spiegel (directeur de la CT du MAS Saint-Gilles) – M. Fabrice Olivet (directeur de l’Association Asud) – Dr Catherine Bernard (DGS) – Dr Didier Jayle (président de la Mildt) – Dr Ruth Gozlan (Mildt) – Dr Marie-France Chedru (Mildt). M. Georges van der Straten (Association Trempoline) – Mme Rosario Abaitua Arana (Association Proyecto Hombre)..
Le groupe de suivi a rapidement été élargi à des représentants européens de CT, au directeur général de la CT Trempoline en Belgique et à une représentante de l’association Proyecto Hombre, qui gérait plusieurs communautés en Espagne dans la région de Madrid. Ils apportaient un regard décentré, respectueux des droits des personnes accueillies, exempt de dérives autoritaires, de prosélytisme religieux ou sectaire et d’exploitation économique, tenant compte des données scientifiques et capables d’adapter les structures à la diversité des besoins des usagers (doubles diagnostics, femmes avec enfants…).
Ces associations très impliquées dans la dynamique des communautés européennes étaient soucieuses de partager leur expérience et leurs propres questionnements dans le cadre du projet français.
Le groupe de suivi s’est réuni durant deux années, d’octobre 2005 à octobre 2007, pour accompagner la maturation des projets. Il a contribué à l’appropriation de la mise en place des nouvelles CT par les acteurs français du domaine des addictions et initié, à partir de ces échanges sur les projets déposés, une dynamique nationale et européenne sur un nouveau modèle de CT conforme au cahier des charges. La forte implication des porteurs de projets s’est notamment traduite par leur participation à la journée nationale organisée par la fédération belge des communautés thérapeutiques en avril 2006 sur incitation de l’Association nationale des intervenants en toxicomanie (Anit).
La première étape a porté sur les questions éthiques et déontologiques et la protection des droits des résidents. Question réglée par un arrêté du 8 septembre 2003 relatif à la charte des droits et libertés de la personne accueillie. La deuxième étape était celle de l’étude des dossiers. Un avis technique devait permettre d’apprécier les quatre critères: qualité du projet, réponse aux besoins sani- taires, avis des services déconcentrés et capacité à être rapidement opérationnel5Les items du questionnaire étaient les suivants : qualité et expérience des porteurs de projet, conformité au cahier des charges, pertinence du projet thérapeutique, conditions d’admission et préparation à la sortie, conditions de respect du droit des personnes dans les règles de fonctionnement, adéquation des moyens au projet, humains, matériels et financiers, appréciation générale et recommandations pour l’amélioration du projet.. Le groupe de suivi n’émettait pas d’avis décisionnaire mais il intervenait en amont dans l’optique d’aboutir au dépôt de dossiers conformes au cahier des charges.
4. Accompagnement de l’évolution des pratiques professionnelles et formation
Très vite, les travaux du groupe de suivi ont établi l’intérêt d’une adaptation des compétences des futurs personnels des CT, afin d’inscrire les pratiques cliniques dans l’ensemble du dispositif de soins des addictions, de contribuer à la qualité de l’accompagnement dans les structures nouvellement créées, de favoriser des échanges avec les professionnels européens. L’organisation de cet accompagnement au changement a été menée en lien avec la Fédération française d’addictologie6Créée en 2001 par l’Association nationale de prévention de l’alcoolisme (Anpa) et l’Association nationale des intervenants en toxicomanie (Anit), la Société française d’alcoologie (SFA) et la Société française de tabacologie (SFT).. Un voyage d’études à Madrid en mai 2006 a permis la visite de quatre communautés thérapeutiques de Proyecto Hombre: des représentants des structures présélectionnées ont pu appréhender l’approche communautaire et consolider leur dossier avant passage en commission. Des membres du groupe de suivi et un représentant de l’OFDT y participaient. Ce séjour a amorcé des échanges et des réflexions autour des CT à la française, poursuivis lors d’une journée de réflexion au CSST de Flambermont7Centre thérapeutique résidentiel portant de longue date un projet d’établissement de communauté thérapeutique, géré par le service d’aide aux toxicomanes de l’Oise (Sato) et dirigé par JP Demange. à l’issue de laquelle ont été dessinés les points majeurs du nouveau modèle:
> La place centrale du groupe d’usagers dans une approche psychopédagogique, les professionnels se positionnant en arrière-plan ;
> Un déroulement chronologique qui articule des périodes différentes et qui tient compte de la nécessaire prévention de la dépendance institutionnelle du résident;
> La prise de responsabilité progressive des résidents;
> L’attention portée à l’expression et à la gestion des émotions;
> Des professionnels aux qualifications adaptées aux choix pédagogiques avec cependant deux constats:
– L’importance de la formation interdisciplinaire et de la réalisation de stages en immersion dans d’autres CT par les membres de la nouvelle équipe,
– La réalité de certaines difficultés à dépasser: recrutement de professionnels répondant aux profils de poste identifiés, recrutement d’ex-résidents pour des raisons administratives et/ou institutionnelles et évolution de certaines pratiques professionnelles au seul moyen de la formation;
> La nécessité d’une évaluation de la situation des personnes pour orienter vers le dispositif le plus adapté à ses besoins; avec l’outil ASI (Addiction Severity Index) pour fournir une évaluation.
À la suite de cette journée, l’Anit s’est vu confier la préparation de la formation de 40 futurs professionnels des CT qui s’est tenue jusqu’au début de l’année 2009.
Chaque session comportait 2 modules de 5 jours, avec un intervenant fil rouge et une majorité d’intervenants francophones belges. L’OFDT y a présenté le projet d’évaluation des CT avec les attentes vis-à-vis des professionnels. La formation abordait des questions théoriques et pratiques du fonctionnement des CT et leur place dans le dispositif de soins français.
Le premier module présentait l’historique et les fondements conceptuels des CT et leurs grands principes de fonctionnement, ainsi que l’analyse pratique des principes d’action: structuration du temps et des activités communautaires, confrontations8Selon G. van der Straten coordinateur de l’ouvrage La nouvelle communauté thérapeutique, Charles Dietrich, fondateur de Synanon première CT hiérarchique, définissait comme objectif que les membres de la CT, ex-toxicomanes, parviennent à acquérir une forte personnalité tout en formant entre eux une entente durable. Selon lui, le moyen d’atteindre cet objectif était la confrontation publique entre les personnalités des membres. Dans cette confrontation, la grande priorité était donnée à l’expérience émotionnelle., gestion d’éléments particuliers. Un travail sur les techniques d’animation de groupes a été mené et la place et l’intégration des suivis sociaux et familiaux précisées, ainsi que le projet de réinsertion dans le projet global du soin. Le second module s’est centré sur les pratiques professionnelles avec des partages d’expériences et la poursuite de l’apprentissage des techniques de groupe. Ont également été abordées les perspectives d’un projet de CT au regard du contexte français, de l’articulation avec d’autres dispositifs, du contexte géographique du lieu d’implantation, etc.
Cette formation a été complétée par des stages en immersion organisés par T3E (Toxicomanie Europe échanges études) qui ont débuté en décembre 2007. Ces stages offraient aux professionnels l’opportunité de découvrir et d’expérimenter le dispositif institutionnel et le fonctionnement de CT installées de longue date en Belgique.
5. Évaluation
Le cahier des charges prévoyait une évaluation de l’expérimentation dans un délai de 3 ans par un organisme extérieur. Une première dans le domaine de la toxicomanie. Confiée à l’OFDT, elle devait documenter le devenir à moyen et long termes des personnes suivies («efficacité» de cette approche à l’égard des publics) et aider à préciser les indications thérapeutiques pertinentes d’une orientation vers une CT versus une orientation vers un CSST avec hébergement.
Planifiée trop précocement, dès le 12 mars 2008 et jusqu’au 31 décembre 2010, sous-estimant les difficultés de lancement de ces dispositifs, elle n’a pu concerner que deux communautés thérapeutiques, qui plus est encore en phase de tâtonnement et d’acquisition de nouvelles pratiques, tant pour les professionnels que pour les résidents9Par exemple les résidents n’ont pu bénéficier de la présence d’anciens usagers pour les accueillir et les guider alors qu’il s’agit d’un des éléments constitutifs de la démarche des communautés thérapeutiques.. Cette évaluation10Langlois (E.), Évaluation des communautés thérapeutiques en France – Enquête sociologique sur la mise en œuvre de deux nouvelles communautés, OFDT, 2013, Saint-Denis, 85 p. http://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/epfxeltb.pdf a cependant permis une observation de la mise en place du nouveau dispositif et en particulier l’absence de dérives sectaires, de prosélytisme religieux et d’abus, ce qui était une préoccupation forte des pouvoirs publics. Elle a aussi rapporté la satisfaction des résidents accueillis. «L’expérience communautaire a produit des changements chez les résidents. Ceux-ci pointent en premier lieu les bénéfices retirés de leur passage dans la CT. Les changements physiques sont notoires, les résidents ont gagné en mieux-être et ils en éprouvent une grande satisfaction. Les résidents considèrent également que la CT répond globalement à leurs besoins. Initialement, ils perçoivent très positivement le fait de “pouvoir poser leurs valises”. La longue durée potentielle de la prise en charge en CT constitue pour eux la spécificité de ce dispositif qui répond à leur sentiment d’insécurité. La communauté offre un répit. Peu à peu les résidents évoquent un sentiment de fierté au regard des changements survenus: fierté de celui qui revient d’une sortie sans avoir consommé, fierté du regard des autres dans la communauté, fierté de se dire qu’on est utile au bon fonctionnement de la communauté. Fierté de dire aux proches que l’on suit un programme long et exigeant.»
6. Le lancement et la mise en œuvre
Les porteurs de projets présélectionnés étaient des asso- ciations disposant d’une bonne expérience puisqu’elles géraient déjà des structures spécialisées en toxicomanie (CSST ambulatoires, centres méthadone, CSST avec hébergement). Une garantie complémentaire au respect du cahier des charges, contre les dérives sectaires, et une assurance de l’inscription des nouvelles communautés dans un réseau sanitaire et social.
Quatre projets ont finalement été retenus dans le cadre expérimental décrit dans la circulaire. Le budget de fonctionnement annuel de chaque CT ne pouvait dépasser 1,3 million d’euros.
En décembre 2006, l’ouverture de trois CT expérimentales a été officialisée : deux en Aquitaine et une dans le Nord. La communauté thérapeutique la Maison d’André Le-Gorrec/Aurore, plutôt orientée vers la prise en charge de patients venant de la région Île-de-France est la première à ouvrir le 1er juillet 2007 à Brantôme. La CT du Fleuve/CEID, à Barsac (33), orientée vers la prise en charge des patients de la région, a ouvert le 20 décembre 2007 avec une montée en charge progressive du nombre de résidents jusqu’en juillet 2008. La CT de l’Espace du possible/La Sauvegarde du Nord au Cateau-Cambrésis, a dû retarder son ouverture au 2 novembre 2009. A également été confirmé le projet d’extension de la CT du Château de Flambermont à Saint-Martin-le-Nœud (60) avec un passage de 25 à 35 places. L’ouverture de la CT portée par l’association Apte, officialisée en 2007, a été décalée, le lieu initialement prévu au sein de l’association Espoir du Val d’Oise à Montmagny n’étant plus disponible. Apte s’est alors rapprochée de l’association Aurore pour s’installer dans de nouveaux locaux à Aubervilliers le 19 mars 2013 (cf. article p. 21). Entretemps, de 2011 à 2012, et en accord avec l’ARS, Apte et Aurore ont développé à titre expérimental un dispositif de jour reposant sur les principes de fonctionnement d’une CT.
Le projet déposé par SOS Drogue international en Guyane, également présélectionné, a obtenu une autorisation d’ouverture en amont de la finalisation du processus de validation de l’expérimentation des nouvelles CT; il a donc ouvert en 2007 en dehors du cadre de l’expérimentation, avec le statut de CSST.
Une seconde phase budgétaire de l’expérimentation, limitant le budget de fonctionnement annuel à 1 million d’euros, a permis l’ouverture en mars 2010 de la CT de l’association Montjoie située à Pré en Pail (53), puis de la CT Les portes de l’Imaginaire de l’association Rimbaud à Saint Didier sur Rochefort (42) en 2011. Enfin, la CT Yepi Makandra avec un projet spécifique d’accueil de femmes et/ou de femmes avec enfants a ouvert ses portes à Awala Yalimapo en Guyane en 2022.
12 communautés, une dynamique à la française
Au total à ce jour, 12 communautés thérapeutiques sont déployées en France dont 8 sur le modèle du cahier des charges publié en 2006. Elles continuent d’évoluer et de défendre leur spécificité dans le cadre des Csapa avec hébergement, se réunissant régulièrement lors de journées communes.
Cette relance du soin résidentiel, en ouvrant à l’approche groupale sur une longue durée, sans menacer le déploiement de la réduction des risques ni réalimenter les approches sectaires ou imposant la seule abstinence, a déjà prouvé son intérêt: le séjour dans une CT fait partie de bien des parcours de rétablissement.
Elle a aussi permis d’autres expérimentations qui la prolongent, la complètent, évoluant au gré de leurs réussites
et échecs: adaptation puis réhabilitation du modèle Minnesota installé à Bucy-le-Long, longtemps isolé voire décrié, CT pour l’accueil de femmes avec nouveaux enjeux, adjonction des apports des travaux de neuromédiation dont témoigne l’article p. 25. Mais aussi, valorisation du travail psychocorporel, intégration des approches systémiques et familiales. Ou encore l’importance de la place donnée au savoir expérientiel et à la professionnalisation des pairs.
Elle a enfin permis d’accélérer la sortie de l’illusion du «tout ambulatoire» qui avait accompagné l’arrivée des traitements de substitution, sans pour autant réinstaller la dangereuse illusion d’une transformation imposée à l’«addict» par la confrontation aux contraintes du groupe sur un temps long. Au contraire, elle a permis d’avancer sur l’intérêt d’un counselling fondé sur l’expérience personnelle du counsellor, structurant la confrontation comme un temps de motivation au changement de la personne.
Mais peut-être un des plus importants acquis de l’implantation des CT à la française a été la dynamique que ce projet a su générer. Alors que se pose la question des parcours à inventer avec les usagers de crackCrack Le crack est inscrit sur la liste des stupéfiants et est la dénomination que l'on donne à la forme base libre de la cocaïne. Par ailleurs, ce dernier terme est en fait trompeur, car le mot cocaïne désigne en réalité le chlorhydrate de cocaïne. L'origine du mot 'crack' provient du craquement sonore qu'il produit en chauffant. en situation de grande précarité et que se fait sentir l’intérêt d’une réflexion partagée entre tutelles et acteurs concernés, alors qu’il faut à nouveau agencer l’hébergement social, les traitements de l’addiction et des pathologies psychiatriques concomitantes, le soin résidentiel, la gestion de l’espace public et autres actions de RdR pour répondre aux différents paramètres de l’expérience d’usage, il n’est pas inutile de rappeler que cette relance a aussi permis un partage constructif entre tous ces acteurs sur un sujet à l’époque extrêmement clivant.