Pourquoi j’ai voulu relancer les communautés thérapeutiques

J’ai toujours été convaincu de la nécessité d’offrir la palette thérapeutique la plus large possible aux usagers demandeurs de soins.

À l’époque, en 2003, c’était le triomphe des TSO, traitements dits de substitution à l’héroïne, les professionnels du champ s’y étaient enfin majoritairement ralliés, après les avoir cloués au pilori, et le ministère de la Santé en faisait sa priorité et décidait de rendre obligatoire la prescription de méthadone pour l’ensemble des centres spécialisés. On était passé d’une extrême à l’autre. Je ne m’en plaignais pas puisque moi-même, j’avais été un acteur engagé, notamment en créant l’un des deux premiers centres méthadone de l’AP-HP (Nova Dona). Mais cette tendance à vouloir progressivement réduire l’offre de soins à une prescription d’opiacés était trop restrictive et insuffisante face aux problématiques souvent complexes des personnes dépendantes.

En outre, si la substitution de l’héroïne injectable par un autre opiacé, méthadone ou Subutex, avait des avantages évidents en termes d’accès aux traitements contre le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. ou les hépatites, et en termes de réinsertion sociale, familiale et professionnelle, elle ne réglait pas tout, et pas du tout la dépendance aux opiacés. Pour certains, sortir de l’héroïne voulait dire arrêter tout produit.

Les communautés thérapeutiques (CT) m’avaient toujours intéressé, même si j’étais évidemment très méfiant après l’histoire du Patriarche (cf. l’article d’Alexandre Marchant, Swaps no 103, p. 11). L’idée qu’une personne arrive dans un programme très structuré, dans une dynamique centrée sur le groupe, pour y franchir, à son rythme, des étapes préétablies, me paraissait séduisante et innovante. En créant 10 CT de 30 places, on augmentait de 50 % le nombre de places en accueil résidentiel, insufflant un nouveau souffle et inversant la courbe toujours en baisse des hébergements au profit des traitements ambulatoires. Je suis allé visiter en premier lieu les rares communautés existant en France. Apte, créé par Kate Barry, qui me reçoit d’abord avec beaucoup de méfiance, mais qui m’impressionne par une vraie dynamique de groupe, le rôle tenu par les pairs ex-usagers (cf. interview Swaps 104, p. 21).

Puis, EDVO dans le Val-d’Oise, encore plus anti-RdR qu’Apte, et celle du Mas Saint Gilles du groupe SOS qui m’impressionne par la qualité des activités de réinsertion – notamment l’équitation et l’élevage de chevaux – par la participation des pensionnaires à la vie en communauté sans retrouver la dynamique groupale des précédents. J’ai aussi visité des CT en Italie, que j’ai trouvées trop proches du Patriarche, ou à trop forte connotation cultuelle, Trempoline en Belgique, bien structurée, peut-être un peu autoritaire, mais ouverte à des échanges européens. C’est en Espagne que j’ai découvert avec «Proyecto Hombre» le modèle le plus séduisant: il s’était inspiré du modèle Minnesota revu par les Italiens, et latinisé une deuxième fois par les Espagnols pour arriver à créer des communautés démocratiques, respectueuses des droits des personnes, non confessionnelles, où le groupe était central. Proyecto Hombre avait monté un centre de formation exceptionnel où des travailleurs sociaux se formaient à la dynamique de groupe en même temps que d’anciens usagers, ce qui créait une nouvelle culture assez révolutionnaire que je n’avais vue nulle part ailleurs, dans une ambiance extrêmement chaleureuse et ouverte sur les autres.

À la Mildt, j’organise un groupe de travail réunissant des professionnels issus de l’Anit (future Fédération Addiction), des militants de la réduction des risques et les quelques représentants de la santé communautaire dont Kate Barry et bien sûr un membre de la DGS. Choc des cultures ! Après quelques réunions, je sens que c’est mal parti pour trouver assez de points communs pour construire un modèle de CT à la française. Pour sortir de l’ornière, je propose au groupe de faire, ensemble, un voyage d’étude en Espagne. J’avais quelques appréhensions, car je me trouvais dans la même situation qu’un lointain prédécesseur qui avait emmené à Synanon aux États-Unis des professionnels de la toxicomanie, dont Claude Olievenstein et Lucien Engelmajer (qui fondera le Patriarche), et on sait ce qu’il en est sorti. Décentrer les oppositions de chapelle grâce à un éclairage européen, non franco-français, m’a toujours paru très productif, j’en avais fait l’expérience au Crips, notamment lors des Rencontres franco-européennes sur la prévention du sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. chez les usagers de drogues en 1994, qui avaient marqué un pas important chez les professionnels. Tout le monde est d’accord pour cette mission en Espagne, sauf la DGS qui interdit à sa représentante d’y participer (elle viendra quand même, sur son temps de vacances!).

Et c’est là, grâce à Proyecto Hombre, que le groupe de travail, totalement séduit par l’expérience espagnole, a vraiment commencé à travailler de manière constructive, pour aboutir à un projet de CT démocratique. Les Belges et les Espagnols ont rejoint le groupe de travail et l’objectif était d’aboutir à un programme européen avec des échanges réguliers, peut-être une formation commune des intervenants. Ruth Gozlan et Jean-Pierre Couteron détaillent ici les étapes du développement de ces CT, l’OFDT en a fait une première évaluation en demi-teinte, le programme a été poursuivi par mes successeurs, la dimension européenne a été un peu mise de côté, ce que je regrette, mais les CT à la française existent.