C’est sous la pression des patients et des médecins que le baclofène a obtenu une recommandation temporaire d’utilisation (RTU) pour trois ans maximum, annoncée lors du colloque « Alcool : plus de cent morts par jour ça suffit ! Place du baclofène aujourd’hui dans la lutte contre l’alcoolisme » du 3 juin dernier.
Média en ordre de bataille, reportages, interviews, émissions, pétitions, montée au créneau de nombreux médecins généralistes et spécialistes de l’addiction avec appel de personnalités médicales aux autorités de santé (en avril), création d’une association d’utilisateurs et sympathisants (Aubes), lancement en urgence de cohortes d’études, colloque, etc. On a eu toute la panoplie de ce qui fait cliqueter habituellement dans l’Hexagone les armes de la polémique dans le champ de la santé publique. Avec un tonique scénario du type « on met la charrue avant les boeufs » : avant d’obtenir son autorisation de mise sur le marché (AMM) dans l’indication de traitement des malades alcoolodépendants, le baclofène, « vieux » médicament, utilisé depuis 40 ans comme un relaxant musculaire, testé par le cardiologue Olivier Ameisen à hautes doses sur lui-même1Olivier Ameisen. Le Dernier Verre. Denoël, 2008, a conquis, « à la militante », une bonne partie du monde, vaste en France, des malades alcooliques (1,5 million de personnes).
Résultat : le baclofène serait déjà prescrit à 50000* d’entre eux par des milliers de médecins, la plupart en ville, alors que les études de cohorte, de quelques centaines de patients, qui doivent évaluer son efficacité et ses effets indésirables, sont loin d’être bouclées. « Quand on constate que le nombre de patients concernés atteint de tels chiffres, cela interroge la communauté : c’est un problème de santé publique dont il faut se saisir », commentait Catherine Hill, chef du service de biostatistique et d’épidémiologie de l’institut Gustave Roussy. Pouvoirs publics, chercheurs courent donc derrière la pratique des praticiens qui, elle, court… derrière les patients, vent debout pour demander, voire revendiquer, le traitement qui pourra enfin leur faire voir le bout du tunnel. Et, last but not least, c’est à l’occasion du colloque « Alcool : plus de cent morts par jour, ça suffit ! Place du baclofène aujourd’hui dans la lutte contre l’alcoolisme » du 3 juin dernier2Organisé à l’hôpital Cochin le 3 juin 2013 par l’Association des utilisateurs de baclofène et sympatisants (AUBES), l’Association baclofène et le Réseau addictions baclofène (RESAB)., que le Pr Dominique Maraninchi, directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), a annoncé la mise en place très prochaine (mais toujours pas validée le 1er mars 2014) d’une recommandation temporaire d’utilisation (RTU) de trois ans maximum pour le baclofène dans le traitement de l’alcoolodépendance. Décidément, l’histoire nous mord la nuque, comme jadis avec le Temgésic®, aujourd’hui avec les e-cigarettes. Et c’est plutôt un (bon) signe de vitalité de notre dispositif sanitaire, si souvent accusé de peser… un âne mort !
Pour de meilleurs encadrement et suivi
« L’ANSM a été saisie et déterminera le cadre d’utilisation du baclofène et la mise en place d’une surveillance permettant de partager des données et de sécuriser la prescription du produit », a déclaré le Pr Dominique Maraninchi pendant son allocution au cours de ce colloque. En cas d’avis favorable émis par la commission en charge du dossier, le référentiel concernera les médecins généralistes, « mais il faudra traiter de façon encadrée et compte tenu des particularités et du contexte de chaque patient ». La commission de l’ANSM a ainsi validé « les grandes lignes directrices de la RTURTU Recommandation temporaire d’utilisation. L’ANSM peut encadrer des prescriptions non conformes à l’autorisation de mise sur le marché (AMM), sous réserve : qu'il existe un besoin thérapeutique non couvert et que le rapport bénéfice/risque du médicament soit présumé favorable, notamment à partir de données scientifiques publiées d’efficacité et de tolérance. Les RTU ont une durée maximale de 3 ans renouvelable. envisagée » le 4 juillet dernier.
En effet, la mise en place du dispositif de RTU doit permettre de meilleurs cadre de prescription et évaluation de la balance bénéfice/risque du médicament (Liorésal®)3Le baclofène est un médicament autorisé depuis 1975 sous le nom commercial Liorésal® avec pour indication le traitement des contractures musculaires, pouvant survenir notamment dans la sclérose en plaques ou dans certaines affections de la moelle épinière., car il prévoit les modalités de suivi des patients et de recueil des informations relatives à l’efficacité, à la sécurité et aux conditions réelles d’utilisation de la spécialité, par un suivi des patients, financé par le laboratoire (Sanofi-Aventis). « Une RTU est une sécurisation sanitaire pour tout le monde et pour les patients », disait le Dr Alain Weill pour la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS). Autre avantage : il ouvre la possibilité d’un remboursement par la Sécurité sociale dans cette indication. Même si le coût du traitement est peu élevé (3,90 €par jour, 80 €par mois), c’est un « bénéfice » du dispositif qui est loin d’être négligeable !
Un espoir donc pour des dizaines de milliers de malades et aussi pour les praticiens qui les accompagnent dans leur traitement, mais qui ne doit pas virer pour autant à un engouement discutable pour un traitement spécifique auquel, malgré tout, 20 à 30% ne répondent pas. Sans parler des effets indésirables qui ne sont pas une vue de l’esprit, même s’ils sont, dans la majorité des cas, peu sévères (sédation, somnolence, faiblesse et/ou douleurs musculaires, nausées, etc.) et disparaissent généralement lorsque le dosage est stabilisé depuis plusieurs jours. « Malgré l’intérêt de cette molécule, il n’y a pas de panacée pour traiter l’alcoolisme, et cela vaut pour le baclofène » prévenait le Dr Pascal Gache, médecin alcoologue et interniste à Genève, au cours du colloque. Et concernant le nalméfène, indiqué dans la réduction de la consommation d’alcool à haut risque chez des adultes alcoolodépendants, qui a déjà obtenu son AMMAMM Autorisation de Mise sur le Marché. Procédure administrative qui autorise un laboratoire pharmaceutique à commercialiser une molécule. européenne, il ajoutait : « moins boire c’est mieux. Plus d’options pour moins boire, c’est encore mieux. » Reste que « le médecin généraliste ne se contentera jamais de prescrire des médicaments : comme pour la prescription de buprénorphine, celle de baclofène se fait dans le cadre d’une prise en charge globale, d’un suivi au long cours et d’un travail en équipe »», concluait levPr Philippe Jaury.
*117000 patients ont bénéficié d’un remboursement en 2012 selon la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS).
Les études cliniques françaises en cours
L’étude Bacloville, essai clinique randomisé en double aveugleDouble aveugle L'étude avec répartition aléatoire, randomisé ou en double insu (ou en double aveugle) est une démarche expérimentale utilisée en recherche médicale et pharmaceutique faisant que ni le patient ni le médecin ne sait quel traitement est pris : traitement A ou B, traitement A ou placébo. contre placebo pendant un an en milieu ambulatoire, multicentrique, démarré en juin 2012 : 320 patients (dont 160 recevront le placebo) suivis par 60 médecins investigateurs, dans neuf régions.
Investigateur et coordinateur : Pr Philippe Jaury.
Objectif principal : montrer l’efficacité à un an du baclofène dans cette indication comparé au placeboPlacebo Substance inerte, sans activité pharmacologique, ayant la même apparence que le produit auquel on souhaite le comparer. (NDR rien à voir avec le groupe de rock alternatif formé en 1994 à Londres par Brian Molko et Stefan Olsdal.)
Objectifs secondaires : décrire la distribution des posologies efficaces, en évaluer la tolérance en recherchant tous les effets indésirables, notamment aux posologies élevées, en essayant de différencier ce qui est dû à la molécule, à l’arrêt de l’alcool et à la potentialisation alcoolbaclofène, mieux caractériser les patients pour lesquels cette molécule est efficace, décrire leur évolution du point de vue de la consommation totale et moyenne mensuelle d’alcool, du nombre de jours d’abstinence, et de « heavy drinking days », évaluer la qualité de vie sous traitement ; étudier l’évolution des paramètres biologiques, notamment hépatiques et rénaux.
Les patients seront suivis sur un an avec deux consultations le premier mois et le dernier mois, et une fois par mois les autres mois. En début d’étude, on leur prescrira une augmentation très progressive des doses par paliers de 5 mg, en fonction de l’efficacité et de la tolérance. Le patient sera contacté par téléphone ou vu en consultation tous les 15 jours pendant la phase de croissance du traitement, lorsque la dose prescrite est supérieure à 200 mg/j.
L’étude Alpadir, essai multicentrique, randomisé, en double aveugle, évalue en milieu hospitalier l’efficacité de Xylka® (baclofène, laboratoire Éthypharm) à la posologie cible de 180 mg par jour versus placebo, dans le maintien de l’abstinence des patients alcoolodépendants, mise en place fin 2012.
Coordinateur : Pr Michel Reynaud, chef du département de psychiatrie et d’addictologie de l’hôpital Paul Brousse à Villejuif.
Objectif principal : étudier le maintien de l’abstinence, mais aussi l’effet du baclofène sur la réduction de la consommation pour les patients
reprenant une consommation d’alcool.
Les patients seront divisés en deux groupes de 158 personnes, l’un recevant le médicament actif (baclofène) et l’autre le placebo. Le médicament sera administré pendant 26 semaines et les quatre dernières permettront un suivi après l’arrêt du traitement. Pendant la durée de l’étude, les patients bénéficieront de séances brèves d’accompagnement psychologique. L’étude dure en tout 30 semaines pour chaque
patient. Elle comprend 15 visites : d’abord cinq visites espacées d’une semaine, puis quatre visites espacées de deux semaines, puis trois visites espacées de quatre semaines et, enfin, trois visites espacées de deux semaines. Sept bilans sanguins seront réalisés à intervalles réguliers pendant l’étude.