Dans les années 1980, la réduction des risques (RdR) est née en réponse aux risques de transmission du VIH/sida chez les usagers héroïnomanes: sa conception doit aujourd’hui être largement renouvelée. En effet, l’évolution des pratiques des usagers de drogues, celle des produits consommés et des connaissances scientifiques imposent de revoir la nature des outils de RdR distribués pour en améliorer la qualité et l’efficacité. Il s’agit de prendre en compte les risques d’infection par le virus de l’hépatite C, mais aussi les risques infectieux liés aux bactéries, aux champignons, dont les levures, ou encore ceux liés aux excipients présents dans des médicaments injectés.
Des travaux conjoints de scientifiques, d’usagers de drogues, de cliniciens, de professionnels de la RdR, menés sous l’égide de la Direction générale de la santé (DGS) et de la MILDECA ont pour but de déterminer les outils les plus performants, en matière d’hygiène, de désinfection, d’injection et de filtration. à partir de ces travaux, la DGS a financé l’expérimentation d’un nouvel assemblage d’outils (lingette, seringue, filtre). À la clé: des bénéfices à la fois physiques, somatiques, infectieux et psychologiques pour les usagers.
Renforcer la protection grâce à la filtration
L’efficacité des filtres à membranes 0,2μm est connue depuis plus de 15 ans. Malheureusement, ils ne sont pas ou peu utilisés dans le cadre de la RdR. Dès 1999, des publications scientifiques ont mis en évidence les nombreux bénéfices de santé publique associés à la diffusion de dispositifs de filtration efficaces, dans le cadre d’une politique complète de RdR.
La diffusion de filtres, dont l’efficacité sur la filtration des bactéries et particules a été prouvée en laboratoire en présence de produits utilisés dans la rue par les usagers, est donc pertinente et porteuse de progrès.
En 2009, l’équipe de McLean et Bruno conclut à la filtration des particules des médicaments par les filtres de porosité de 0,2μm et 0,45μm et recommande que cette filtration devienne une méthode standard de RdR pour les usagers de drogues par voie intraveineuse. Elle précise la plus grande efficacité des filtres de 0,2μm, et souligne le caractère coût-efficace de cette distribution.
Par la suite, une étude de Ng et al. conclut au potentiel positif des filtres 0,2μm pour réduire les complications médicales chez les usagers injecteurs de comprimés et recommande de les considérer comme une méthode hautement efficace de RdR.
Enfin, en 2015, l’équipe de Karolak et al. (en cours de publication) conclut à l’efficacité de filtration et d’élimination du risque microbiologique des filtres toupies 0,2μm et 0,45μm, sur des suspensions préparées en situation «de rue» et avec des produits stupéfiants utilisés par les usagers. Elle conclut également à l’absence de protection microbienne procurée par les autres dispositifs de filtration usuellement distribués (filtres coton et Sterifilt®).
Pourquoi ce filtre à 0,2μm change-t-il le quotidien des usagers?
Sur les plans physique et somatique, il évite les abcès, septicémies, endocardites, greffes à champignons chroniques, etc. La filtration enfin efficace des excipients des médicaments permet également d’éviter les lymphœdèmes («main de popeye», etc.) et autres complications (malaise, douleurs, etc.) Sur le plan psychologique, le fait de ne plus associer l’injection aux infections atténue ses effets délétères et apporte confort et meilleure qualité de vie.
Diminuer le risque du volume mort des seringues
En 2009, Zule montre l’importance du volume mort d’une seringue dans la transmission virale chez les usagers de drogues qui échangent leurs seringues. Ce problème n’était pas nouveau puisqu’il avait été mis en évidence dans des études sur le dosage de médicaments et vaccins administrés par injection. Mais les données en laboratoire, de terrain ou les modélisations mathématiques et autres revues de la littérature, restent confuses sur ce sujet et les conclusions ne sont pas catégoriques. Logiquement, un volume de sang peut persister dans les seringues à volume mort important. Ce milieu est alors propice à la survie de particules virales pouvant induire des contaminations si, et seulement si, la seringue est partagée avec une autre personne.
La pratique de rinçage, selon le volume de liquide utilisé, et la nature des produits injectés ont une influence directe sur la survie des particules virales et minimisent parfois le problème du volume mort. En revanche, la possibilité d’utiliser au bout de la seringue un filtre de type toupie, qui élimine toute possibilité d’infection bactériologique ou d’injection de particules, avec ou sans volume mort, s’avère primordiale.
Ce paramètre, associé à la connaissance des pratiques des injecteurs, du type de produit injecté, de l’accès au matériel stérile, du volume de rinçage et des outils de filtration, est donc à prendre en compte. En effet, les études récentes mettent en évidence un accroissement significatif de l’injection de médicaments: ainsi, en Île-de-France, il a été démontré que plus de 30 % des seringues récupérées dans les automates d’échange de seringues contiennent de la buprénorphine haut dosage, plus de 25% des sulfates de morphine et plus de 10% de la méthadone. En plus des médicaments de substitution aux opiacés, d’autres produits sont de plus en plus souvent injectés tels les nouveaux produits de synthèse. Par ailleurs, les professionnels des CAARUD rapportent la persistance de la pratique de réutilisation des cotons usagés, qui majore les risques de contaminations bactériennes et fongiques. Seule la filtration avec un filtre toupie 0,2μm permet d’éviter ces contaminations. C’est en trouvant la meilleure association entre l’efficacité de la filtration et la diminution du volume mort que l’outil le plus adapté peut être proposé. Les études scientifiques de terrain sur ce sujet étant encore peu nombreuses, les acteurs de la RdR et leurs partenaires travaillent par principe de précaution avec des outils qu’on qualifie de «à faible volume mort». L’enjeu est de pousser les industriels à fournir du matériel de RdR doté d’un volume mort équivalent à celui du matériel serti et qui permettrait d’utiliser les filtres dits «stérilisants».
L’objectif est de minimiser le volume mort tout en assurant une filtration efficace des bactéries, champignons et particules, sans augmentation significative des coûts.
Conclusion
Des solutions émergent et permettent de surmonter les difficultés du passé. Elles contribuent à ce que le volume mort ne soit plus un facteur de blocage contre toute avancée de la filtration. Aujourd’hui, des industriels ont conçu du matériel d’injection non serti présentant un faible volume mort équivalent à celui des seringues serties, et permettant l’usage des filtres à membrane 0,2μm. D’autres recherches portent sur la possibilité d’adapter les filtres à membrane 0,2μm sur les seringues serties.
Le but est donc clair et atteignable: associer les bénéfices d’une filtration enfin efficace et la minimisation du volume mort. En conséquence, nous devons désormais travailler sur nos messages et nos pratiques pour faciliter l’accès à ces matériels et favoriser leur appropriation. La RdR est une tâche complexe qui nécessite d’utiliser une combinaison de protocoles et méthodes afin d’être efficace dans les situations réelles de rue, en tenant compte de la diversité des besoins des usagers. Poursuivons le combat qui consiste à renforcer la disponibilité, permanente et non limitée, à l’ensemble des outils de RdR, afin de supprimer définitivement la réutilisation et le partage de matériel.