CROI 2024 : «Rien pour nous sans nous»

La 31e conférence scientifique annuelle sur les rétrovirus et les infections opportunistes, la CROI 2024, se tient du 3 au 6 mars à Denver, aux États-Unis. Notre rédacteur en chef, le Pr Gilles Pialoux, est sur place, avec l’équipe du e-journal de la Lettre de l’infectiologue.

Difficile, à l’heure où s’écrit cet édito n°1 du e-journal —en plein océan Atlantique à des milliers de miles de Paris, confort mais loin de nos bases et en route pour un transit obligé à Minneapolis— de discerner ce qui sortira de la grand-messe américaine 2024 sur le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. . Évènement qui a suivi l’évolution des institutions, sociétés savantes et programmes de politiques publiques vers une globalisation —celle de la santé sexuelle et des infections émergentes, du mpox au Covid-19Covid-19 Une maladie à coronavirus, parfois désignée covid (d'après l'acronyme anglais de coronavirus disease) est une maladie causée par un coronavirus (CoV). L'expression peut faire référence aux maladies suivantes : le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) causé par le virus SARS-CoV, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) causé par le virus MERS-CoV, la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) causée par le virus SARS-CoV-2. en passant par les résistances bactériennes des ISTIST Infections sexuellement transmissibles.  très présentes à cette CROICROI «Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections», la Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes annuelle où sont présentés les dernières et plus importantes décision scientifiques dans le champs de la recherche sur le VIH. de Denver (Colorado)— au risque de perdre le fil de la lutte contre le sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. .

Cette nouvelle édition du-e-journal se construit une fois de plus sous la houlette de la Lettre de l’infectiologue (Edimark) et le soutien institutionnel (en toute liberté éditoriale) de ViiVhealthcare, et avec une reprise des principaux articles sur Vih.org en collaboration, avec l’ANRS-MIE. L’occasion de mesurer déjà le vieillissement, moins des acteurs (lien d’intérêt explicite de l’auteur), que des concepts: Cure or not cure? Vaccination: pourquoi si facile avec le CovidCovid-19 Une maladie à coronavirus, parfois désignée covid (d'après l'acronyme anglais de coronavirus disease) est une maladie causée par un coronavirus (CoV). L'expression peut faire référence aux maladies suivantes : le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) causé par le virus SARS-CoV, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) causé par le virus MERS-CoV, la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) causée par le virus SARS-CoV-2. et pas avec le VIH? 95-95-95, l’inaccessible étoile1© Jacques Brel? La PrEP: une chance ou élément favorisant pour les IST? etc. Cette 31e CROI, et probablement la vingtième édition du e-journal, distillera, avec une fine équipe soudée à la limite du fusionnel2Le Pr Laurence Morand-Joubert à la virologie, le Pr Valérie Pourcher à la clinique, le Dr Jean-Philippe Madiou à la console, au tableau Excel, à la rédaction et en Tour Leader, Thierry Leveau à la technique et au phlegme, et votre éditorialiste à la baguette., le meilleur direct de la CROI. On se sait attendus —désormais, l’information se fait en temps réel— tant il n’est pas certain que les médias traditionnels, en dehors du énième cas d’éradication artificielle avec un nom de ville, Berlin, Londres ou Düsseldorf, trouveront le moindre espace dédié à la lutte contre le sida et autres IST. L’actualité court-termiste occupe le devant de la scène laissant peu de place pour le premier sujet de préoccupation des Français: la santé. Il en est ainsi.

Et il sera intéressant de voir comment la politique américaine apparait dans la très politique et policée conférence de la CROI où généralement rien ne dépasse du «fine». Que ce soit le recul sur le droit à l’avortement, la nouvelle vague de la crise des opioïdes qui défie l’Amérique (voir abstracts #595,#995,#997,#1007), la crise migratoire qui affecte notablement Denver et le Colorado, le développement de la PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. bridée par un Obamacare réduit en son temps par l’administration Trump, etc. Soulignons ici ce paradoxe de la ville hôte de la CROI: avec 710 000 habitants, la capitale du Colorado est la ville américaine qui a absorbé le plus grand nombre de migrants, proportionnellement à sa population, soit plus de 38 500 en un peu plus d’un an. Les premiers bus sont arrivés du Texas en mai 2023, affrétés par un gouverneur républicain pressé de reporter le fardeau des migrants sur une ville démocrate. En décembre, la municipalité comptait 144 charters en provenance du Texas à dix heures de route seulement d’El Paso. Denver est devenue l’épicentre de ce que les républicains appellent la «crise à la frontière», accusant Joe Biden d’être partisan des «frontières ouvertes». En un an, Denver a dépensé 42 millions de dollars en hébergements et en services aux migrants. L’hôpital public a soigné 9 000 non-assurés avec un déficit de 180 millions de dollars, soit 10 % de son budget. Paradoxe dans le paradoxe: Denver est débordée, mais la population fait front de générosité et d’accueil. Nombre d’habitants estiment en effet de leur responsabilité d’aider ceux qu’ils préfèrent appeler les «nouveaux arrivants».3Lire le reportage de Corine Lesnes sur Lemonde.fr

Carte des lieux aux États-UNis où s'est tenue la CROI depuis 30 ans.
Figure 1: Carte des sites des CROI sur les 30 dernières années aux États-Unis. DR.

Les principes de Denver

Denver? Nous y sommes venus de mémoire de CROI-ste en 2006 (cf. Figure 1). Une seule fois. Peu de souvenirs. Mais Denver est pourtant inscrite en lettres d’or dans l’histoire de la lutte contre le sida dont les 40 ans ont été commémorés l’an passé. C’est en 1983 lors d’une conférence sur le sida à Denver, que des malades du sida, activistes en devenir, firent irruption sur la scène des plénières pour protester contre le discours déshumanisant répandu dans le monde médical (figure 2 et 2bis).

Drapeau commémoratif des principes de Denvers 1983-2023
Figure 2: Drapeau commémoratif des principes de Denvers 1983-2023, Denver Principals Flagpole Project, Textile society of America.

Leur cri de ralliement: «Puisque vous ne pouvez rien faire pour nos vies, écoutez au moins ce que nous avons à en dire!». C’est à Denver que s’écrira donc le principe du même nom avec la célèbre assertion: «rien pour nous sans nous». Qui constituera une des premières pierres de l’activisme sida mais aussi de ce qui, plus tard, allait devenir la «démocratie sanitaire». Il n’est sans doute pas inutile de rappeler ici quelques-uns des principes de Denver:

  • «Soutenez-nous dans notre lutte contre ceux qui voudraient nous licencier, nous expulser de nos maisons, refuser de nous toucher ou nous séparer de nos proches, de notre communauté ou de nos pairs, car les preuves disponibles ne soutiennent pas l’idée que le SIDA peut être transmis par des contacts sociaux occasionnels.»
  • «Ne pas faire des personnes atteintes du sida des boucs émissaires, nous rendre responsables de l’épidémie ou généraliser nos modes de vie.»
Richard Berkowitz et dix autres hommes lisant les Principes de Denver derrière une banderole « Se battre pour nos vies » lors de la conférence nationale sur la santé des lesbiennes et des gays, 
    National Gay and Lesbian Task Force records, #7301. Division of Rare and Manuscript Collections, Cornell University Library.
Figure 2bis: Richard Berkowitz et dix autres hommes lisant les Principes de Denver derrière une banderole «Se battre pour nos vies» lors de la conférence nationale sur la santé des lesbiennes et des gays, à Denver en 1983.
National Gay and Lesbian Task Force records, #7301. Division of Rare and Manuscript Collections, Cornell University Library.

Une CROI, c’est avant tout un programme et des chiffres: 1902 abstracts soumis en incluant les 220 late breakers pour un taux de sélection qui se maintient dans l’âpreté, à 56% (1067/1902). Les places sont chères et peu de Français ont leur photo sur le podium du programme cette année : Jean-Michel Molina désormais seul Français du scientific program committee et présentateur d’une communication orale (#124) sur les résultats finaux et rectifiés de l’essai ANRS 174 Doxyvac (en tout lien d’intérêt), Bruno Spire (#IS 10) sur les promesses et les loupés de la prévention biomédicale du VIH, Fabien Zoulim (# 32) autour des nouveaux biomarqueurs de l’hépatite B comme outils de stratégies thérapeutiques innovantes sur la route du «cure», et Béatrice Bercot pour une lecture attendue de la résistance microbienne associée à la Prophylaxie post exposition (PeP) des IST par Doxcycline. Sans oublier les modérateurs: Karine Lacombe (S08) sur les hépatites et la tuberculose et Franck Boccara (IS09) sur la prévention cardiovasculaire. Un binôme placé donc sous l’aile protectrice de Saint-Antoine. Nous y reviendrons. Pour le reste, les Français·es seront en posters, ce qui n’est pas déshonorant. Pour ce qui est des thématiques phares et des populations cibles (Cf. figure 3) on notera l’excellente résilience du SARS-CoV-2 (193 abstracts acceptés) qui relègue l’ex-variole du singe (Mpox) au rang de figurante. En dépit de l’épidémie qui sévit actuellement en République démocratique du Congo (RDC) avec un changement de paradigme qui questionne la science, passant d’une transmission zoonotique à celle d’une IST dont la prévention est une urgence planétaire (lire notre article à ce sujet).

Nombre d’abstracts sur les infections émergentes et les populations clés
Figure 3: Nombre d’abstracts sur les infections émergentes et les populations clés, CROI 2024.

Au registre des curiosités, on notera une session (#38), sur la problématique des personnes déplacées avec deux communications ukrainiennes annoncées et qui sera en miroir d’un poster en late breaker (# 1069) sur les clusters polonais (VIH1 A6) entremêlant réfugiés ukrainiens de la guerre et HSHHSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes.  Mais aussi l’absence de l’item «chemsex» dans le moteur de recherche.

Mais pas de CROI sans message d’espoir initial. Dès demain, il y aura une pluie de nouveaux antirétroviraux avec ou sans anticorps monoclonaux (MK 8527, GS 1720, VHS 810109, SAR 441236, etc.). Et puis, comment ne pas saluer déjà l’explosion dans le programme de la PeP des IST, notamment avec doxycycline —a fortiori avec une session consacrée au «retour de la syphilis»— où la renaissance de la recherche vaccinale avec ce titre comme totem: «The HIV vaccine: don’t stop believing». Ce n’est pas un take home message mais la phrase constitue une lueur d’espoir utile pour aborder cette CROI 2024. Particulièrement à l’heure où certaines modélisations éloignent un peu plus l’objectif du 95-95-95 à l’instar des travaux britanniques (lire notre article à ce sujet) tendant à démontrer que l’objectif proche de l’éradication soit 50 nouvelles infections chez les HSH en 2030 n’a aucune chance d’être atteint4Cambiano V. et al. Lancet HIV. 2023 Nov;10(11):e713-e722. 5Sullivan AK et al. Lancet HIV. 2023 Dec;10(12):e790-e806.. Des voies, audacieuses ou utopiques, pour mettre fin au sida, il sera aussi question à Denver.

Cet article a été publié dans le e-journal de la Lettre de l’infectiologue consacré à la CROI 2024. Nous le reproduisons ici avec l’aimable autorisation d’Edimark.