La PrEP progresse en France, mais pas dans toutes les populations

Les chiffres très récents de la PrEP – jusqu’en juin 2022 – mettent en évidence une reprise soutenue de son utilisation en France après le coup d’arrêt de 2020 et une forte augmentation de sa prescription en ville. Néanmoins, sa diffusion à toutes les catégories de population exposées face au VIH reste encore limitée et de larges marges existent pour que de nouveaux publics en bénéficient.

À l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. 2022, le Groupement d’Intérêt Scientifique EPI-PHARE (ANSM-CNAM) a communiqué les derniers chiffres connus sur l’utilisation de la PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. en France. Ils indiquent que la reprise des initiations de PrEP, esquissée au premier semestre 2021, s’est confirmée au second semestre 2021 et au premier semestre 2022. 

Ainsi, le nombre total de personnes de 15 ans et plus ayant initié la PrEP par Truvada® ou un de ces génériques en France était de 64 821 à la fin juin 2022, soit une augmentation de 39% par rapport à juin 2021. Plus de 42 000 personnes avaient utilisé la PrEP au premier semestre 2022 par rapport à l’année 2021, soit une augmentation de 40% par rapport au premier semestre 2021 (31 000). Parmi ces 42 000 personnes sous PrEP, 22% l’avaient initiée au cours du semestre et 78% antérieurement. 

Nombre d’utilisateur.trice.s d’une PrEP par Truvada® ou génériques en initiation et en renouvellement en France chaque semestre
entre le 1er Janvier 2016 et le 30 Juin 2022. Source: EPI-PHARE.

En 2020, à cause de la crise du covid-19Covid-19 Une maladie à coronavirus, parfois désignée covid (d'après l'acronyme anglais de coronavirus disease) est une maladie causée par un coronavirus (CoV). L'expression peut faire référence aux maladies suivantes : le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) causé par le virus SARS-CoV, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) causé par le virus MERS-CoV, la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) causée par le virus SARS-CoV-2. faite de confinements, de limitation d’ouverture des services et des CeGIDDCeGIDD Centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD) des infections par les virus de l'immunodéficience humaine, des hépatites virales et des infections sexuellement transmissibles. Ces centres remplacent les Centres de dépistage anonyme et gratuit (CDAG) depuis le 1er janvier 2016. et d’impact sur la vie sexuelle, les chiffres d’initiation et d’utilisation de  la prophylaxie pré-exposition (PrEP) contre le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. ont connu une chute de courte durée et une reprise lente au 2ᵉ semestre 2020, mettant en difficulté la diffusion en France de ce médicament préventif et sa nécessaire normalisation comme la prévention la plus efficace.

Nombre de personnes ayant initié un traitement par Truvada® ou génériques pour une PrEP
entre le 1er janvier 2016 et le 30 juin 2022, par mois. Source: EPI-PHARE.

La PrEP touche principalement une population urbaine, puisque la grande majorité (72%) réside dans des communes de plus de 200 000 habitants. L’élargissement de la PrEP se constate particulièrement en région avec une baisse logique de la proportion de l’Île-de-France et de Paris. La part des grandes villes baisse aussi au profit de toutes les autres aires géographiques. La part des départements et régions d’outre-mer est encore faible (2.1%) mais dans ces départements une part sans doute non négligeable des initiations s’effectuent en CeGIDD avec des médicaments remis gratuitement et non pris en compte par le SNDS. 

Diffusion vers de nouvelles catégories de population

Le public de la PrEP est toujours constitué en majorité d’hommes (97%), âgés de 36 ans en moyenne. Seuls 7% sont bénéficiaires de la CMU-C et moins d’1% bénéficient de l’AME, ce qui indique une faible proportion de personnes précaires parmi les utilisateurs.

Mais les femmes doublent leur proportion à 4%, avec un nombre qui après avoir stagné depuis 2016 a doublé sur un an, atteignant 379 au premier semestre 2022 (contre moins de 150 par semestre antérieurement). L’âge médian baisse d’un an avec une proportion de moins de 25 ans qui passe à 24% (vs. moins de 20% en 2020). La part des assurés via la CMU-C augmente régulièrement. On assiste donc bien à une diffusion de la PrEP vers de nouvelles catégories de la population masculine, sans doute quasi exclusivement HSHHSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes.  ce que les catégories du SNDS ne documentent pas. 

Lors de la description du déploiement de la PrEP dans la publication du Lancet Reg. Eur (Billioti de Gage, 2022), les auteurs avaient souligné que 20% des premières délivrances de PrEP n’étaient pas renouvelées, signalant une interruption précoce, interruption qui expose au risque de contamination comme le montre l’étude en vie réelle sur la base des données du SNDS (Jourdain H, Lancet Public Health,2022). L’indicateur des renouvellements et des interruptions est donc étudié dans ce nouveau rapport. Parmi les utilisateurs de PrEP du 2eme semestre 2021, 88% avaient reçu une délivrance de PrEP le semestre suivant avec une médiane de délivrances de médicament de 2 (IIQ 0-5), chiffre qui a fléchi depuis quelques semestres par rapport à la première période(2016-2019) où la médiane des délivrances était de 3 (1-5). Une part substantielle de nouveaux utilisateurs ne reçoit en revanche aucune délivrance de renouvellement de la PrEP dans la période précoce des 6 premiers mois suivant l’initiation. Ces interruptions précoces ont concerné environ un quart des personnes ayant initié la PrEP au second semestre 2021, une fréquence en hausse, ce qui pourrait laisser craindre un risque sur le niveau d’efficacité préventive de la PrEP en vie réelle. Il reste à mieux comprendre cet indicateur qui peut traduire des changements dans l’utilisation par de nouveaux publics, une plus forte utilisation de la PrEP «à la demande» ou peut-être d’autres attitudes encore non déchiffrées. 

Le rajeunissement des initiations, l’accroissement de la part des régions, le rôle accru de la médecine de ville, la – encore-  timide augmentation de la part des femmes sont des signes qu’on espère précurseurs d’un déploiement vers un public plus large et très diversifié et d’une normalisation de la PrEP.

La PrEP de plus en plus utilisée chez les HSH

Ces résultats encourageants sont cohérents avec ceux de l’enquête Rapport au sexe (Eras), enquête en ligne transversale et anonyme, auto-administrée et basée sur le volontariat, qui montre que la PrEP est de plus en plus utilisée depuis 2017, avec 28% des participants déclarant l’avoir utilisée lors de leur dernier rapport anal en 2021. Cette évolution concerne plus particulièrement les 35 ans et plus. 

Évolution du niveau de protection et des outils utilisés lors du dernier rapport sexuel anal avec un partenaire occasionnel
Source: Rapport au sexe (ERAS), Santé publique France.

Parallèlement, le recours au préservatif continue de baisser, une tendance observée depuis la fin des années 90.

Gauche: Évolution de l’usage exclusif du préservatif lors du dernier rapport anal avec un partenaire occasionnel par les répondants séronégatifs pour le VIH selon les classes d’âge par édition d’enquête, Rapport au sexe (Eras), France, 2017-2019-2021.
Droite: Évolution de l’usage de la PrEP lors du dernier rapport anal avec un partenaire occasionnel par les répondants séronégatifs pour le VIH selon les classes d’âge par édition d’enquête, Rapport au sexe (Eras), France, 2017-2019-2021.

On notera au passage la faible place des partenaires déclarés comme séropositifs dans les déclarations des participants à l’enquête RAS (2%), soit environ 10 fois moins que la proportion d’HSH vivant avec le VIH en France. Le silence autour de la séropositivité reste la règle, et le TasPTasp «Treatement as Prevention», le traitement comme prévention. La base du Tasp a été établie en 2000 avec la publication de l’étude Quinn dans le New England Journal of Medicine, portant sur une cohorte de couples hétérosexuels sérodifférents en Ouganda, qui conclut que «la charge virale est le prédicteur majeur du risque de transmission hétérosexuel du VIH1 et que la transmission est rare chez les personnes chez lesquelles le niveau de charge virale est inférieur à 1 500 copies/mL». Cette observation a été, avec d’autres, traduite en conseil préventif par la Commission suisse du sida, le fameux «Swiss statement». En France en 2010, 86 % des personnes prises en charge ont une CV indétectable, et 94 % une CV de moins de 500 copies. Ce ne sont pas tant les personnes séropositives dépistées et traitées qui transmettent le VIH mais eux et celles qui ignorent leur statut ( entre 30 000 et 50 000 en France). (Traitement comme prévention), le fait qu’une personne traitée ne transmette pas le VIH, l’une des plus grande avancée de ces dernières années en terme de qualité de vie pour les personnes vivant avec le VIH, reste encore aujourd’hui méconnue et sous-utilisée : Toujours dans ERAS, le TasP ne représente que 0,6% des outils de protection utilisés lors du dernier rapport sexuel anal chez les participants HSH. Ces chiffres appellent sans aucun doute d’autres études sur ce sujet.

La PrEP de plus en plus prescrite en ville 

Un autre résultat très attendu depuis le plaidoyer pour un rôle accru de la médecine de ville dans l’accompagnement de la PrEP concerne la prescription en ville et l’autorisation depuis juin 2021 de l’initiation hors du cadre CeGIDD ou service hospitalier.  La part des libéraux —principalement des généralistes, à 88%— a doublé dans les deux derniers semestres passant à 41% (presque 3 800 primo-prescriptions) et elle est passée à 37% pour les renouvellements, proportion qui n’était que de 26% au deuxième semestre 2020. Globalement, entre le 1er janvier 2016 et le 30 juin 2022, 78% de l’ensemble des primo-prescriptions de PrEP ont été effectuées par des médecins salariés. Lorsque l’initiation a été effectuée par un prescripteur exerçant en libéral, il s’agissait plus de huit fois sur dix d’un médecin généraliste.

Si on pouvait craindre une méfiance de certains médecins envers la PrEP, ces chiffres sont cohérents avec les résultats de plusieurs études. Dans un poster et une intervention réalisés pour le congrès 2022 de la Société française de lutte contre le sida (SFLS)1Prophylaxie Pré-Exposition au VIH (PrEP) : Ressentis des médecins généralistes des Hauts de France suite à l’extension de la primo-prescription à tous les médecins, C.Leroy (1), A.Meybeck (2), O.Robineau (2), T.Huleux (2), P.Thill (2), M.Tetart (2) (1) Faculté de Médecine & Maïeutique de Lille (2) Service Université de Maladies Infectieuses et du Voyageur, Centre Hospitalier de Tourcoing mtetart@ch-tourcoing.fr, Poster, SFLS 2022., une étude réalisée dans le Nord de France souligne l’intérêt de ce nouveau mode de prescription. Si elle reste encore peu mise en place, en partie par méconnaissance théorique et pratique, la PrEP est vue comme une opportunité d’ouvrir le dialogue sur la santé sexuelle et permet une entrée dans un suivi rapproché de dépistage. 

Une autre étude réalisée en Loire Atlantique2Primo-prescription et suivi de la PrEP en médecine de ville : enquête auprès de médecins généralistes (MG) de Loire-Atlantique, M. Deloire (1) , C. Bernaud (2), A. Grégoire (2), P. Blanco (2) , M. Patoureau (2) , S.Sécher (2), C. Biron (2), J. Coutherut (2), F. Raffi (2) , B. Bonnet (2),(1) Interne en médecine générale, Université de Nantes – CHU Nantes / (2) Centre de Prévention des Maladies Infectieuses et Transmissibles (CPMIT) – CHU Nantes, Poster, SFLS 2022 auprès de 40 médecins souligne un même intérêt pour la PrEP, particulièrement auprès des soignants qui ont déjà été sensibilisés par leurs patients. Le principal frein à la prescription initiale de la PrEP reste le sentiment de manque de compétences sur le sujet, et sur la santé sexuelle en général.

A ce sujet, il faut mettre en regard de ces transformations la mobilisation de la SFLS pour promouvoir la PrEP parmi les praticiens en offrant la formation en ligne FormaPrEP, à laquelle, au dernier pointage, près de 4000 praticiens avaient participé, et qui avait permis la délivrance d’au moins 650 certificats de formation.

Un pas dans la bonne direction, mais une longue route encore

S’il est important de saluer les progrès de la prévention biomédicale, en particulier dans une population comme les HSH si exposée face au VIH, cette progression de l’utilisation de la PrEP n’est pas suffisante pour atteindre les objectifs de fin de transmission du VIH dans les prochaines années. Comme le rappelle les autrices et les auteurs de l’enquête Eras, malgré ces nouveaux outils biomédicaux de prévention du VIH, très efficaces, qui viennent s’ajouter à l’utilisation du préservatif, ces chiffres d’utilisation de la PrEP ne permettent pas d’augmenter le niveau global de prévention contre le VIH.

Toujours selon l’enquête Eras, en 2021, 25% des répondants séronégatifs n’avaient aucune protection lors de leur dernier rapport anal avec leur partenaire occasionnel et 62% avaient réalisé moins de 3 tests de dépistage au cours de l’année. C’est largement insuffisant, à la fois comme protection et comme recours au dépistage pour transformer l’épidémie de VIH en histoire ancienne. 

La PrEP pas toujours disponible dans les CeGIDD
Suite à des remontés du terrain, indiquant des problèmes de disponibilité et d’accès à la Prep, l’association Aides a réalisé une évaluation téléphonique nationale sur la disponibilité de la Prep en Cegidd, fournissant ainsi une photographie nationale de la disponibilité et des délais d’attente. Si la situation au niveau national est plutôt bonne avec une primo-consultation possible dans la très grande majorité des Cegidd, dans des délais courts (moins de 15 jours) et sans différence d’accueil entre hommes et femmes, l’étude a montré de très fortes disparités territoriales (une prise en charge possible allant du jour même jusqu’à 124 jours plus tard) et des marges de progrès importantes, indiquant des problèmes de moyens, mais également des questions d’organisation et d’accès à l’information. La PrEP était non disponible dans 1 Cegidd sur 4 (n=84), et pas du tout proposée dans 50 centres.