«One Health», notion émergente

Avant la crise sanitaire liée au covid-19, la notion de One Health, pourtant vieille comme le monde et structurée dès le début des années 2000, n’était connue que d’un petit cercle d’initiés. Les récentes épidémies l’ont remise au-devant de la scène.

Portée par Organisation mondiale de la Santé (OMS), l’organisation mondiale de la santé animale (OMSA) et l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la santé globale ou «une seule santé» met l’accent sur la convergence des problématiques de santé environnementale, humaine et animale (Figure 1). Elle tente de discerner comment des éléments sanitaires, comme des pandémies, des virus émergents, des antibiorésistances, des syndromes post-infection aigu par exemple, interagissent avec d’autres déterminants comme les voyages, le déplacement de populations, l’urbanisation, l’alimentation, la déforestation, la nutrition, la pollution, et ce, à l’échelle individuelle, collective, nationale et internationale.

Diagramme de Venn montrant la notion de One Health, à l'interaction de la santé de l'humain, la santé des animaux et la santé de l'environnement.
Source : Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE)

L’approche sanitaire a évolué de la notion de «santé mondiale», centrée sur la santé humaine et ses déterminants immédiats y compris la gouvernance et le partage des moyens médicaux, à la notion d’«une seule santé». Ce glissement s’est d’abord fait prudemment puis plus rapidement sous la pression de la crise du covid-19Covid-19 Une maladie à coronavirus, parfois désignée covid (d'après l'acronyme anglais de coronavirus disease) est une maladie causée par un coronavirus (CoV). L'expression peut faire référence aux maladies suivantes : le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) causé par le virus SARS-CoV, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) causé par le virus MERS-CoV, la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) causée par le virus SARS-CoV-2. qui aurait couté (en coûts directs) en 2020 près de 10 000 milliards de dollars à la planète, selon la Banque Mondiale. Cette évolution conceptuelle mobilise l’interdépendance entre la nature, la faune et l’homme et appelle une perspective englobante en science, en médecine ou en politique au niveau mondial. Elle saisit les phénomènes dans leur unicité pour les comprendre et pour proposer des solutions politiques/sociales, de santé publique ou en médecine, et mieux assurer ainsi le dépistage des pathologies émergentes (dont 65% sont des zoonoses). Cette approche nécessite au passage de repenser les institutions à l’image de l’Agence Nationale de recherche sur le sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. devenue l’ANRS-MIE, pour Maladies Infectieuses Émergentes, ou le programme prioritaire «une seule santé» PREZODE (Preventing ZOonotic Disease Emergence), une initiative internationale proche de l’OMS ayant pour ambition de comprendre les risques d’émergence de maladies infectieuses zoonotiques, de développer et de mettre en œuvre des méthodes innovantes pour améliorer la prévention, la détection précoce et la résilience afin d’assurer une réponse rapide aux risques des maladies infectieuses émergentes d’origine animale. On peut citer d’autres applications de l’approche One Health comme en France la création du Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires présidé par le Pr Brigitte Autran ou le think tank «Santé mondiale 2030».

Une notion en rapide évolution

Même s’il n’y a pas de consensus sur la définition de One Health, les termes qui sont souvent utilisés pour décrire le champ sont « holistique», «intégré», «interdisciplinaire» et «coordonné». De fait, les choses évoluent vite depuis la reconnaissance au début des années 2000 dans le sillage du SRAS.

La France s’efforce de rattraper son retard en la matière car il n’y a, dans les universités de médecine, aucun enseignement ou programme de recherche portant ce libellé. Les colloques One Health fleurissent çà et là depuis peu mais jusque-là, il n’existait en France qu’un seul diplôme inter-universitaire international, «Infections émergentes: approche One Health», à l’initiative conjointe de l’Université de Montpellier, de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar et de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) avec l’Inserm et le CNRSCNRS Centre national de la recherche scientifique. Un DIU pris d’assaut cette année selon son principal organisateur, Eric Delaporte. 

«Santé planétaire, soigner le vivant pour soigner notre santé»

Un ouvrage collectif vient d’être publié sous la direction de Samuel Myers et de Howard Frumkin, «Santé planétaire, soigner le vivant pour soigner notre santé». Il permet à chacun de s’emparer du sujet et de mesurer l’étendue et la complexité du concept. Il peut servir d’introduction tant les approches sont proches de ceux de One Health. L’introduction résume parfaitement la complexité du sujet avec, notamment, une citation d’Edgar Morin sur «la dispersion et la compartimentation des connaissances dans les disciplines spécialisées éliminent les grands problèmes qui surgissent lorsquon associe les connaissances enfermées dans les disciplines». Citation qui répond aux objectifs de One Health : promouvoir une vision holistique de la santé qui permet de reconnecter la santé des écosystèmes, des animaux sauvages et domestiques et des humains tout en tenant compte des grands problèmes auxquels l’humanité est confrontée comme le dérèglement climatique, la perte de biodiversité, la pollution, la désertification, l’urbanisation… Tout est lié ou, pour reprendre la citation improprement attribuée à Pierre Dac, «tout est dans tout et inversement»: santé animale, santé environnementale et santé humaine, c’est le principe même de One Health. Reste que la discipline de One Health est enjeu majeur pour la gouvernance des politiques publiques qu’elles soient territoriales, nationales ou internationales.

L’ouvrage rédigé par près de quarante auteurs , en 4 parties: 1) les fondamentaux de One Health, 2) la santé des populations; 3) transformer les menaces en occasions et 4) sauver notre population, sauver notre planète qui est un plaidoyer pour une éthique de la santé planétaire dans l’espoir «dun avenir radieux». On y perçoit combien la définition de la santé par l’OMS comme «un état complet bien-être physique, mental et social» est totalement dépassée dans la situation d’intrication des phénomènes environnementaux, animaliers et humains comme l’a révélé une nouvelle fois et très lourdement la crise du covid-19. 

On reliera en parallèle de cet imposant ouvrage, l’avis du 8 février 2022 de l’ancien Conseil scientifique covid-19 intitulé «One Health, une seule santé, santé humaine, animale et environnementale, les leçons de la crise», qui reprend bien des thèmes centraux de One Health et publié dans The Lancet1Lefrançois T, et al. After 2 years of the COVID-19 pandemic, translating One Health into action is urgent. The Lancet 2022 Oct 21;S0140-6736(22)01840-2. On voit combien la crise du covid-19 a démontré la nécessité de mettre en œuvre des approches intégrées de la santé tel One Health qui ne se résume pas aux maladies infectieuses, même si 65 à 70% des maladies émergentes sont précisément d’origine infectieuses et pour une grande majorité d’entre elles des zoonoses.

Des défis multiples

Parmi ces défis multiples, quelques exemples éclairant la diversité de l’approche One Health: La production alimentaire, pour commencer, consomme 40% des terres libres de glaces, 50% de l’eau douce d’irrigation, 90% des stocks de pêches contrôlées et participe très largement à l’émission de gaz à effet de serre. Parallèlement, 7 à 11 millions de forêts tropicales et tempérées ont été rasées avec les conséquences que l’on sait sur les zoonoses. Autre exemple, les insectes pollinisateurs. Une étude du Lancet de 20152Smith MR et al. Effects of decreases of animal pollinators on human nutrition and global health: a modelling analysis. The Lancet volume 386, issue 10007, p1964-1972, november 14, 2015; 2015DOI:https://doi.org/10.1016/S0140-6736(15)61085- a montré par exemple que leur déclin avait un impact négatif, non seulement en terme de calories, mais aussi en termes de nutriments, vitamine A, folate, calcium. En modélisant dans 152 pays, l’effet d’une diminution de 50% de la pollinisation, on estime à 700 000 décès supplémentaires par cardiopathie, AVC, cancer, etc. À l’inverse, le rapport de EAT-Lancet 2019 fait par 37 scientifiques modélise qu’un régime alimentaire de santé planétaire flexitarien diminuait de 11 millions les décès annuels au niveau mondial. 

Mais le défi alimentaire de demain est triple:

– Nourrir sainement toute la population mondiale, en tenant compte du lien direct entre malnutrition et morbi-mortalité;

– Faire face au contexte de raréfaction de l’eau, à la dégradation des terres arables, de la pêche et des pollinisateurs;

– Réduire l’empreinte écologique de cette production alimentaire :  alors que la production de notre alimentation représente 22% de l’empreinte carbone de notre consommation totale, soit le 3ᵉ poste le plus émetteur de gaz à effet de serre, après le transport (30%) et le logement (23%).

Les liens entre urbanisation, transferts de populations induits par celle-ci et zoonoses sont connues de longue date. Ce sont des thèmes classiques comme celui du lien entre la déforestation de la forêt amazonienne au Brésil et l’augmentation du paludisme (http://www.aimspress.com/article/10.3934/environsci.2017.2.217) qui est lié notamment à l’intense reproduction de l’anophèle accentuée au niveau des lisières. Sujet qui évidemment renvoie à l’implémentation de One Health en termes politiques. Particulièrement d’actualité avec les dernières élections brésiliennes puisque durant le mandat de Jair Bolsonaro le Brésil a augmenté de 70% la déforestation de la forêt amazonienne.

Autre exemple moins discuté, la poussée écologique de la végétalisation des villes, qui n’est pas sans poser de problème: dans certains villes en Chine, elle provoque l’importation de différents vecteurs comme le moustique tigre (Aedes albopictus). L’urbanisation, si elle propose plus d’infrastructures sanitaires, augmente aussi l’immigration rurale soudaine, transportant de nouvelles populations dans des lieux où différents pathogènes de zoonoses existent.

Le modèle de l’hantavirus qui existe en Asie et sur le continent américain en est un autre exemple typiquement One Health car les rongeurs qui en sont les vecteurs prolifèrent avec l’urbanisation. Cette maladie a touché 1,4 million de personnes entre 1950 et 2010, faisant 45 000 morts en Chine et en menacent 1,4 milliard. Par deux mécanismes: une immigration rurale soudaine qui accompagne l’urbanisation et la prolifération de deux espèces de rongeurs porteurs de souches pathogènes. Deux espèces synanthropiques: l’une (Rattus norvegicus) prospère dans les villes, l’autre (Apodemus agrarius) prolifèrent lors du déboisement et la conversion en terres agricoles qui accompagnent l’urbanisation.

Combattre les idées préconçues et les interrogations

La lecture de cet ouvrage et de l’avis du Conseil scientifique permet en outre de ne pas voir la santé humaine uniquement sous le prisme des maladies transmissibles, et, parfois, de tordre le cou à certaines idées préconçues sur le monde animal. Ainsi, comme le rappelle Loic Epelboin, la chauve-souris, par exemple, a été diabolisée comme hôte de virus pathogènes (coronavirus, Ebola ou certaines arbovirosesArbovirose Les arboviroses sont des maladies virales dues à des arbovirus transmis obligatoirement par un vecteur arthropode (moustique, moucheron piqueur, tique) à des hôtes vertébrés (mammifères, oiseaux), d’où leur nom adapté de l’anglais : ARthropod-BOrne virus. de type fièvre hémorragique), mais on connait moins sa fonction dans les écosystèmes : en particulier pour les races insectivores qui consomment précisément des vecteurs d’arboviroses à hauteur d’un kilo par an. Cet animal disperse des graines qui participent à la pollinisation des fleurs de plus de 500 espèces et ses déjections servent d’engrais naturel, etc. On pourrait aussi citer, page 163, la photo d’un opossum, animal haï par toute une partie de la planète, de la côte ouest des Etats-Unis à la Nouvelle-Zélande alors que cet animal présente une qualité particulière, celle de supprimer 96% des larves de tiques présents dans sa fourrure, véritable nettoyeur, protecteur de la transmission de la maladie de Lyme dont il est un hôte incompétent!

Au-delà des l’evidence based du concept de One Health, il reste nombre d’interrogations. 

  1. Les inégalités sociales ne doivent pas être un angle mort de One Health. Par exemple, le déplacement des populations transporte des personnes non immunes vers des zones infestées sous le poids de l’urbanisation, systématiquement présentée comme un progrès. Pourtant, on observe une densité de moustique de type Aedes plus importante dans les quartiers pauvres des villes, de même pour les rongeurs et les hantavirus en Asie notamment. Et que dire de l’accès au programme alimentaire de santé planétaire (cf EAT LANCET 2019) basée sur un régime flexitarien; est-il adapté/déclinable aux populations les plus pauvres?  
  2. One Health c’est avant tout la rencontre contre-nature entre cultures et sciences différentes qui ont peu l’habitude de coexister même en période de crise sanitaire: anthropologues, médecins, vétérinaires, climatologues, écologistes, modélisateurs, économistes, ethnologues, politologues…profanes? Comment décloisonner les disciplines?  Les récentes crises sanitaires notamment covid-19 ont elles engagé un mouvement dans ce sens?
  3. Au niveau politique local, enfin, One Health pose des défis interministériels: Qui, de l’économie politique ou des lois3Carlson CJ, Phelan AL. International law reform for One Health notifications. Lancet 2022; 400: 462–68, auront le dernier mot pour appliquer ce que la science nous enseigne?