Prévention — Prophylaxie pré-exposition, le mariage de raison entre traitement et prévention

Si le fait le plus marquant de la conférence de Mexico est sans aucun doute le rapprochement des traitements et de la prévention, la prophylaxie préexposition (Prep) en est la concrétisation la plus emblématique.

Cet article a été publié dans Transcriptases n°138.

Forte des succès incontestables dans le traitement de l’infection VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. la communauté scientifique propose d’étendre l’approche médicale – l’utilisation des antirétroviraux (ARV) – à la prévention et invite la communauté de la prévention à un mariage de raison. Il ne s’agit pas simplement de partager des outils (les ARV), mais de diversifier encore davantage les méthodes dans une stratégie intégrée. A l’instar des multithérapies, les «?préventeurs?» sont invités à développer des stratégies de multiprévention, à considérer que traitement et prévention sont les deux facettes d’un même combat. Les enjeux sont majeurs puisque si, selon l’Onusida, 3 millions de séropositifs ont reçu des multithérapies en 2007, 2,5 millions de personnes se sont infectées. Les arguments développés ne manquent pas de poids, mais ne risquent-ils pas de médicaliser à l’excès la prévention?? 

Les microbicides à base d’ARV

Si la circoncision comme mode de prévention à destination des hommes a fait l’objet d’un grand nombre de présentations et de discussions parfois polémiques (lire Les nouvelles données sur la circoncision), les études sur les microbicides, destinés d’abord aux femmes, en pointe dans les dernières conférences, ont été cette fois moins commentées. C’est dommage car après des déconvenues successives, de nouvelles approches prometteuses voient le jour. Le concept novateur consiste à utiliser des antirétroviraux pour prévenir la contamination par des préparations destinées à un usage local. Alternative aux préservatifs ou complément de ceux-ci, les éponges ou mousse à base de virucides tels le nonoxynol avaient déçu car les essais avaient montré que les femmes utilisant des dispositifs intravaginaux à base de nonoxynol étaient plus souvent contaminées que celles des groupes contrôles, en raison d’un effet irritant de la molécule virucide, source d’inflammation et d’altération de l’épithélium des muqueuses.

Depuis, de nombreux travaux ont été effectués1Vanham G, «?Future promising microbicidal products?: what to learn from the in vitro work?», THSY0601, grâce à la mise au point de nouveaux modèles in vitro pour tester les candidats virucides, très proches des conditions in vivo, et par des essais de nouvelles substances. Au niveau de la muqueuse vaginale, on ne sait toujours pas si ce sont des particules libres de virus ou des virus associés à des cellules qui entraînent la transmission (question assez essentielle dans la mesure où les microbicides testés ont une activité très différente dans les deux cas). Le virus traverse la couche épithéliale et le rôle des cellules de Langerhans dans cette étape reste discuté. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il infecte les macrophages et surtout les cellules dendritiques. Ces cellules s’agglomèrent avec des cellules T qui vont migrer vers les ganglions lymphatiques.

Les modèles expérimentaux font appel à des lignées cellulaires exprimant CD4 et CCR5 (très utiles pour «?screener?» les molécules candidates mais qui sont loin des conditions physiologiques), à des cultures de cellule T activées, à des cocultures de cellules T et de cellules dendritiques (éventuellement associées à une couche de cellules épithéliales sur laquelle le virus est déposé, afin de se rapprocher des conditions réelles), et enfin à des explants provenant d’hystérectomies.

Bien sûr, rien ne pourra remplacer les essais cliniques, car aucun modèle expérimental ne pourra pleinement rendre compte de variables tels que le rôle du liquide séminal, de la flore vaginale, de la présence de bactéries pathogènes, des pratiques d’hygiène vaginale des femmes. Salim Abdool Karim, de Durban, spécialiste des études des microbicides, a fait un panorama des essais en cours2Abdool-Karim S, «?ART containing vaginal microbicides in the clinical pipeline, a status of the studies?», THSY0602. Tous les essais à base de produit de première génération (dont le nonoxynol) ont montré une inefficacité des produits et ont été abandonnés. Les essais de la deuxième génération de produits (les polymères) ne semblent pas plus prometteurs puisque le groupe traité par le sélénosulfate montre un risque plus élevé de contamination que le groupe contrôle3Van Damme L et al., «?Lack of effectiveness of cellulose sulfate gel for the prevention of vaginal HIV transmission?», NEJM, 2008, 359, 463-72. Les résultats du Pro 2000 sont encore attendus.

Mais ce sont les microbicides à base d’ARV qui sont aujourd’hui les plus étudiés. Le ténofovir (Viread®, laboratoire Gilead) semble particulièrement intéressant dans la mesure où il a une demi-vie longue, une concentration dans le vagin comparable à celle du plasma, quand il est pris oralement. Mais s’il est appliqué localement sous forme de gel, les concentrations dans les cellules vaginales sont nettement plus élevées que s’il est administré oralement (10:5 vs 10:2), tout en gardant une longue demi-vie. Une très faible quantité de produit est absorbée. Un premier protocole de phase III avec du gel contenant une association ténofovir + FTC (Truvada®, laboratoire Tibotec) est en cours depuis 2007, les premiers résultats en sont attendus en 2010. Le TMC 120 (dapivirine, laboratoire Tibotec), un inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase inverse, est expérimenté sous forme de gel ou d’anneau (voir image?1) à insérer une fois par mois. Des essais de phase III devraient débuter en 2010. Un troisième inhibiteur non nucléosidique, l’UC 781 (Conrad), a montré des résultats préliminaires intéressants.

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Le maraviroc (Celsentri®, laboratoire Pfizer) est un inhibiteur du CCR5 en cours de développement sous forme de gel et d’anneau seul ou associé au TMC 120.

Prévention de l’infection par le SIV

Mais l’utilisation des ARV pour la prévention ne s’arrête pas là et Timothy Mastro, directeur de recherche au Family Health International (FHI) a fait le point, dans la séance consacrée aux microbicides, sur une nouvelle utilisation préventive des ARV5. Les ARV ont montré leur capacité à empêcher la transmission materno-fœtale, sont efficaces dans les traitements post-exposition, et ils ont montré qu’ils sont également efficaces pour prévenir l’infection de singes par le SIV. Des macaques auxquels est administré du virus par voie rectale de façon itérative sont tous rapidement contaminés. L’administration concomitante de ténofovir par voie orale protège les singes pendant quelques semaines, mais la majorité finissent par être infectés. Le FTC en sous-cutané ou l’association orale de FTC et de ténofovir donnent de meilleurs résultats, mais une partie des singes sont quand même infectés. L’administration de hautes doses de ténofovir + FTC par voie sous-cutanée protège tous les singes. Certes, il s’agit d’un petit nombre de macaques (40), mais ces résultats sont impressionnants (voir tableau 1).

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Du singe à l’homme… la PrepPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®.

Des essais de Prep ont démarré chez l’homme et chez la femme. FHI a initié le premier essai randomisé chez 936 femmes au Ghana, au Cameroun et au Nigeria, de 2004 à 2006, financé par la Fondation Bill et Melinda Gates. L’essai consistait à administrer du ténofovir 300 mg versus placeboPlacebo Substance inerte, sans activité pharmacologique, ayant la même apparence que le produit auquel on souhaite le comparer. (NDR rien à voir avec le groupe de rock alternatif formé en 1994 à Londres par Brian Molko et Stefan Olsdal.) L’étude a montré l’absence d’effets secondaires notables cliniques ou biologiques, l’absence d’augmentation de comportements à risque, mais les effectifs recrutés inférieurs aux prévisions (seul le Ghana a terminé l’étude), n’ont pas permis de montrer une efficacité significative (deux contaminations dans le bras traité, six dans le bras placebo).

Cinq autres essais sont en cours. Depuis 2005, un essai contrôlé est conduit sous l’égide du CDC à Atlanta, Boston et San Francisco chez 400 homosexuels séronégatifs volontaires, avec du ténofovir versus placebo. Il consiste à évaluer les changements de comportements en cours d’essai, neuf mois sans prise de drogue, puis 24 mois avec ténofovir ou placebo. Une attention particulière sera apportée aux éventuelles séroconversions et à l’émergence de résistances.

Un second essai du CDC concerne 2?400 usagers de drogues par voie intraveineuse, dans 17 cliniques de Bangkok. Certains reçoivent quotidiennement le ténofovir en même temps que la méthadone, les autres viennent chercher le ténofovir pour un mois. L’objectif est de savoir si le ténofovir réduit les risques d’infection et s’il est bien toléré. Le troisième essai du CDC est conduit au Botswana chez 1?200 hommes et femmes hétérosexuels séronégatifs âgés de 18 à 29 ans, avec le ténofovir seul dans un premier temps puis, à la lumière des expériences sur les macaques, avec une association ténofovir + FTC (Truvada). Une autre étude sous l’égide du NIH, financé par la Fondation Bill et Melinda Gates, est la première étude d’efficacité chez 3?000 hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) à haut risque, randomisé, avec Truvada versus placebo.

Le cinquième essai concerne les couples sérodifférents, avec trois bras, ténofovir, Truvada et placebo. En Afrique, plus de la moitié des nouvelles infections surviennent au sein de couples stables. L’étude concerne les partenaires de sujets infectés et ayant plus de 250 CD4, donc non traités. Elle se déroule en Ouganda et au Kenya auprès de 3?900 couples.

Problèmes non résolus

D’autres protocoles sont en cours d’élaboration, notamment l’essai Voice (Vaginal and oral intervention to control the epidemic) conduit en Afrique avec le soutien du NIH, qui compare le ténofovir seul ou associé au FTC par voie orale ou sous forme de gel, versus placebo chez 4?200 femmes à haut risque d’infection sexuellement transmissible. L’essai devrait commencer en 2008 et se terminer en 2012.Myron Cohen a lancé, en session plénière4Cohen M, «?Prevention of the sexual transmission of HIV-1?: A view from early in the 21st century?», TUPL0101, l’idée d’une nouvelle association pour la Prep entre Truvada et maraviroc, pour laquelle il propose le nom de «?truviroc?»… ! En effet, le maraviroc a également une durée de vie très longue et, après une prise orale, est très concentré dans le tractus génital.

Au total, près de 20?000 participants à ces différents essais fourniront une somme d’informations considérable sur l’acceptabilité et la faisabilité de la Prep.

De nombreux problèmes restent non ­résolus. Quelles sont les conséquences d’une administration à long terme d’ARV chez des sujets sains?? Quid des femmes enceintes ou allaitant leur enfant?? Quel coût d’une dispensation à une large échelle?? Quelles conséquences sur l’acquisition de résistances – notamment dans le cas où une transmission survient?? Pour les politiques de santé publique, quelle place donner à ces méthodes dans la palette préventive?? Pour qui?? A quel moment?? Une Prep au premier rapport sexuel?? Une Prep intermittente pour des personnes à haut risque est-elle envisageable à des moments de la vie où le risque d’exposition est majeur?? Dans les couples sérodifférents??

Modèles mathématiques

Les modèles mathématiques permettent de prévoir les bénéfices de ces méthodes en termes de réduction de la transmission qui va, en fonction des scénarios, de 28?% à 74?% de réduction des contaminations, ce qui correspond à des millions de personnes en Afrique subsaharienne. Mais les systèmes mathématiques, aussi complexes soient-ils, simplifient toujours les réalités humaines. Les résultats escomptés sont dépendants bien sûr de l’efficacité de la Prep mais aussi de la couverture de la population et de l’observance des individus, comme l’a souligné John Mellors lors de sa communication5Mellors J, «?The use of oral and topical Prep at population level?: what are the issues?», THSY0604. La Prep peut avoir un impact considérable à condition d’être efficace, et de toucher les populations les plus actives sexuellement.

Nul doute que toute nouvelle voie pose une multitude de nouvelles questions d’ordres technique, opérationnel, éthique, mais le foisonnement des recherches et des nouveaux moyens disponibles sont une opportunité pour se (re)mobiliser. Le profond renouvellement du tandem prévention-traitement, la solidité des nouvelles pistes confortées par l’expérience acquise dans l’utilisation thérapeutique des ARV, le dépassement des affrontements sur la prévention constituent un réel espoir.