Dans leur texte d’introduction du Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) daté du 25 novembre 2025, Pascal Pugliese et Albane Gaillot, copilotes de l’écriture de la nouvelle feuille de route en santé sexuelle, soulignent l’apport de toutes les formes de la surveillance épidémiologique, de l’utilité des divers systèmes d’information, ceux qui impliquent, comme la déclaration obligatoire, l’engagement des professionnels de santé, ou encore les programmes d’enquêtes répétées comme ERAS, et l’apport des grandes bases de données exhaustives, tels le système national des données de santé (SNDS).
La prévention cible souvent les jeunes avec l’idée que c’est par eux qu’adviendra l’adoption de comportements plus favorables à la santé. On trouvera dans ces articles très complets une ressource majeure pour fonder l’adaptation des stratégies de santé publique à ce temps charnière de la vie, le passage de l’adolescence à l’âge adulte avec les inégalités de genre, d’orientation sexuelle, mais aussi de situations sociales et de contexte territorial.
Contextes socio-sexuels et exposition au VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. des jeunes HSHHSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes. de nouveaux résultats de l’enquête ERAS
Zoé Chameau, Anna Mercier et Annie Velter1 décrivent les contextes socio-sexuels et les pratiques de protection chez les jeunes hommes à partir de l’enquête ERAS 2023. L’analyse des quelques 6000 répondants distingue les 18-21 ans, 22-24 ans, 25-29 ans et retrace ce moment clé qu’est la transition vers l’âge adulte.
On voit évoluer le parcours de formation scolaire et universitaire, le déplacement vers les grandes villes, l’entrée dans l’emploi, l’engagement dans une relation de couple, l’évolution de la composition du cercle amical, et puis la socialisation et la fréquentation des lieux communautaires (drague en extérieur, applis). On y voit aussi les violences de tous ordres, plus fréquentes chez les plus jeunes, avec leur impact accentué en termes d’anxiété et de suicidalité.
L’analyse, centrée sur les enjeux de prévention, s’intéresse aux répondants qui rapportent des partenaires occasionnels dans les 6 derniers mois, soit 59% des répondants. Parmi eux, la connaissance du statut sérologique, l’utilisation de la PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. le recours au dépistage, augmentent avec l’âge comme la pratique du chemsexChemsex Le chemsex recouvre l’ensemble des pratiques relativement nouvelles apparues chez certains hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH), mêlant sexe, le plus souvent en groupe, et la consommation de produits psychoactifs de synthèse. alors que la variation du nombre de partenaires occasionnels avec l’âge chez ces jeunes hommes entre 18 et 29 ans reste limitée. Les jeunes se sachant séropositifs comptent pour 1,2% dans cet échantillon.
Un nouvel indicateur
Les auteures ont établi un score d’exposition qui combine la pratique de la pénétration anale, la protection par la PrEP ou l’effet préventif du traitement d’un partenaire positif, l’utilisation systématique du préservatif, pour aboutir à un «indicateur binaire de comportement sexuel à risque vis-à-vis du VIH». En analyse univariée, cet indicateur d’exposition est plus élevé chez les 18-21 ans, les moins avancés dans les études, ceux qui vivent hors des villes, ceux qui ont des difficultés financières, ceux qui n’ont pas un cercle amical majoritairement homosexuel ou ont eu plus de 5 partenaires dans les 6 derniers mois. Ces facteurs restent tous indépendamment associés à l’exposition en analyse multivariée, traduisant leur contribution propre à l’augmentation de l’exposition. Avoir moins de 21 ans augmente de 22% l’exposition par rapport aux 25-29 ans, mais l’association la plus forte, un doublement du risque est observée avec un faible niveau d’études.

S’appuyant sur la série des travaux antérieurs menés à partir des enquêtes répétées auprès des HSH, les auteures inscrivent ces observations toutes récentes dans le temps et constatent que la socialisation à l’entrée dans la sexualité masculine homosexuelle n’apparaît pas plus aisée que dans les années 90. Elles concluent en appelant à «une approche intégrée, combinant prévention, soutien psychologique et réduction des inégalités est essentielle pour créer des dispositifs de santé plus inclusifs et durables pour tous les jeunes HSH».
Dépistage et épidémiologie des ISTIST Infections sexuellement transmissibles. et du VIH chez les 15-25 ans : des informations inédites
L’article de Amber Kunkel et ses collègues2 fait un point bienvenu sur l’épidémiologie des IST et du VIH au cours des 10 dernières années chez les moins de 25 ans, hommes et femmes, comparativement aux adultes de 25 ou 26 à 49 ans. L’étude mobilise les informations issues du SNDS (recours au dépistage des IST bactériennes et traitement au moins une fois dans l’année par pathologie) et celles de la déclaration (signalement, désormais) obligatoire du VIH.
Entre 2014 et 2023, les taux de dépistages rapportés à la population ont augmenté, avec une augmentation marquée en 2019, un décrochage en 2020 et une reprise accélérée en particulier pour chlamydia et gonocoque. Le dépistage est toujours beaucoup plus élevé chez les femmes, et chez les plus jeunes par rapport aux femmes de plus de 26 ans. Depuis 2019, pour le dépistage du gonocoque les courbes par âge se rejoignent. Chez les hommes, le niveau est plus bas, avec une croissance parallèle chez les jeunes et les adultes mais ici un moindre recours chez les plus jeunes.
A partir des informations du SNDS, le diagnostic d’une IST bactérienne est défini pour chacune par un algorithme basé sur le remboursement d’un test spécifique et d’un antibiotique adapté dans un délai entre test et délivrance du médicament de -15 à +30 jours. Un seul épisode est retenu dans l’année. À noter que cet indicateur ne prend pas en compte les tests positifs qui ne donnent pas lieu à un recours aux soins ou un recours en CeGIDDCeGIDD Centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD) des infections par les virus de l'immunodéficience humaine, des hépatites virales et des infections sexuellement transmissibles. Ces centres remplacent les Centres de dépistage anonyme et gratuit (CDAG) depuis le 1er janvier 2016. où les traitements peuvent être remis ou administrés sans délivrance et remboursement par l’assurance maladie.
En résumé, chez les femmes, les taux de chlamydiose sont beaucoup plus élevés chez les plus jeunes, mais dans les deux groupes d’âge, les taux sont quasi-stables depuis 2021 malgré la forte croissance du dépistage. Pour les gonococcies, une forte augmentation est observée quel que soit l’âge avec des niveaux très proches dans la dernière période. Les taux de syphilis sont très bas chez les femmes à tous les âges.
Chez les hommes, les taux de chlamydiose et de gonococcie sont en forte augmentation chez les jeunes comme chez les plus de 25 ans, et chez ces hommes adultes avec des niveaux beaucoup plus élevés et une accélération continue depuis 2018. L’écart des deux groupes d’âge est très large pour la syphilis sur la période 2019-2023.
Le focus sur le VIH est intéressant car les données de surveillance par âge des taux de nouveaux diagnostics sont rarement montrées. On retrouve l’ordre décroissant des taux, les hommes adultes, les hommes jeunes proches des femmes adultes, puis les jeunes femmes, avec une baisse entre 2014 et 2023, mais pas de tendance nette dans la dernière période et une augmentation chez les hommes les plus jeunes. L’analyse par pays de naissance —possible seulement pour le VIH— montre que cette augmentation concerne des hommes jeunes nés en Afrique subsaharienne et diagnostiqués dans le décours immédiat de leur arrivée. Les taux chez les hommes nés en France baissent rapidement jusqu’en 2018 puis connaissent une baisse ralentie ensuite.
Les transformations de l’épidémie VIH
La comparaison des distributions des principales caractéristiques des nouveaux diagnostics entre 2014 et 2023 met en évidence les transformations de l’épidémie VIH. Elle montre chez les jeunes de 15-24 ans, une part augmentée des femmes, de celle des hommes et femmes nés à l’étranger, une augmentation du diagnostic à un stade intermédiaire et tardif, une augmentation des cas avec IST au diagnostic et une forte baisse de l’Ile de France qui passe de 43% à 30%.
Chez les 25-49 ans, la distribution par sexe voit la proportion d’hommes-cis baisser, celle des lieux de naissance une nouvelle répartition entre les HSH nés en France et à l’étranger (36% et 8% respectivement en 2014 et 24% et 16% en 2023). Le stade au diagnostic est stable mais la présence d’une IST au diagnostic augmente. La part de l’Ile de France décroit de 45% à 36%.
Ce tableau de la situation du dépistage et de l’épidémiologie des IST et du VIH est aussi très contrasté par région. On le connaît pour le VIH avec les écarts entre l’Ile de France et les autres régions dans l’Hexagone et celui, très important, avec les départements ultramarins. Pour autant, ceux-ci ont aussi des situations différentes par leur démographie par âge et importance des migrations mais aussi par la diversité des contextes socio-sexuels. Pour le VIH, parmi les 4 départements, la Guyane a le taux le plus élevé dans les deux groupes d’âge et c’est aussi le cas pour la chlamydiose et la syphilis ; pour le gonocoque, c’est la Martinique qui présente le taux le plus élevé. Dans les 4 départements les taux de chlamydiose et gonococcie sont plus élevés chez les 15-25 ans que chez les 26-49 ans.
Cet article qui déroule les 10 dernières années avec la loupe sur les plus jeunes et dans chaque région apporte une matière précieuse et à ce jour inédite.
La syphilis congénitale à l’ère de l’augmentation des IST : une protection à renforcer auprès les jeunes mères et en outre-mer
On ajoutera à ce focus sur les jeunes, les informations apportées par l’article de Kounta et al3 sur la syphilis congénitale en France entre 2012 et 2019, dans un contexte d’augmentation des IST. Résultats qui soulignent la part des jeunes mères dans la survenue de ces cas.
L’étude basée sur le PMSI a identifié et validé par une enquête auprès des services, les cas de syphilis congénitale chez les enfants de moins de 2 ans. L’étude est non exhaustive en raison d’une réponse insuffisante des services à l’enquête de validation. L’analyse pointe : une augmentation de la fréquence au cours de la période de 1,6 à 2,4 pour 100 000 naissances vivantes, une situation particulièrement critique dans les DROM (20% des cas pour moins de 3,5% de la population française), les jeunes mères sont particulièrement concernées : 58% des enfants sont nés de mère de moins de 25 ans, alors que l’âge moyen des mères à la naissance d’un enfant en France en 2019 est de 30,7 ans.
Les articles de cette édition 2025 du BEH viennent compléter avec des analyses nouvelles les données globales publiées en octobre dans le Bulletin de Santé publique national, et la mise à disposition des paramètres épidémiologiques régionaux via les CIRE. Une matière précieuse pour la future feuille de route et plus que jamais pour les tous nouveaux CoReSS, tant le gradient régional, social, démographique et d’offres de soins modèle les expositions aux IST et les comportements sexuels et préventifs.
Références
- Chameau Z, Mercier A, Velter A. Comportements sexuels des jeunes hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes au temps de la prévention biomédicale : des vulnérabilités spécifiques chez les plus jeunes – Enquête rapport ausexe 2023. Bull Epidemiol Hebd. 2025;(19-20):354-63. https://santepubliquefrance.fr/beh/2025/19-20/20 ↩︎
- Kunkel A, Chazelle É, Cazein F, de Lauzun V, Lucas É, Laporal S, et al. Dépistage et diagnostic du VIH et de trois infections sexuellement transmissibles bactériennes chez les jeunes en France, 2014-2023. Bull Epidemiol Hebd. 2025;(19-20):373-82. https://santepubliquefrance.fr/beh/2025/ 19-20/2025_19-20_3.html ↩︎
- Kounta CH, Benhaddou N, Grange P, Viriot D, Charlier-Woerther C, Dupin N, et al. La syphilis congénitale en France de 2012 à 2019. Bull Epidemiol Hebd. 2025;(19-20):383-91.https://santepubliquefrance.fr/beh/2025/19-20/2025_19-20_4.html ↩︎