Selon une note confidentielle consultée par Euractiv, la Commission européenne prépare une révision en profondeur de son aide publique au développement (APD). Cette réflexion pourrait déboucher sur une réorientation stratégique majeure, en introduisant la notion de «clauses de caducité» pour certaines initiatives jugées redondantes, notamment l’Alliance mondiale pour les vaccins et l’immunisation (Gavi) et le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Depuis 2021, l’UE a consacré 3,5 milliards d’euros à plusieurs fonds mondiaux.
Le document, destiné au Commissaire aux Partenariats internationaux Jozef Síkela, estime que, malgré sa position de premier contributeur mondial à l’APD, l’influence politique de l’Union européenne «n’est pas encore à la hauteur de son poids financier». Cette nouvelle stratégie chercherait donc à concentrer les ressources européennes sur les programmes où le bloc «peut véritablement influencer la gouvernance».
Les clauses de caducité envisagées coïncideraient avec le prochain cadre financier pluriannuel de l’UE pour 2028-2034. Toujours selon le document interne, ce nouveau budget privilégierait la mobilisation des investissements du secteur privé européen, dans un objectif de promotion des intérêts stratégiques du bloc.
L’enjeu sanitaire de cette réorientation est considérable. Gavi et le Fonds mondial constituent deux mécanismes essentiels de la santé publique mondiale, particulièrement pour les pays à revenus faibles et intermédiaires. Selon leurs propres estimations, ces organisations ont permis de sauver respectivement environ 20,6 millions et 70 millions de vies.
Ces réductions budgétaires affectent directement les capacités opérationnelles des organisations. Les interventions de Gavi et le Fonds mondial couvrent un large spectre : programmes de vaccination, prévention du paludisme, lutte contre Ebola, la variole du singe, la diphtérie et la polio, ainsi que distribution de prophylaxie pré-exposition (PrEP) contre le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi.
Vers un désengagement français du Fonds mondial ?
Ce désengagement européen s’illustre également au niveau de certains pays membres, comme la France. Emmanuel Macron ne devrait pas se rendre à la Conférence de reconstitution du Fonds mondial qui se tient le 21 novembre à Johannesburg, et alors qu’il sera présent en Afrique du Sud pour le sommet du G20. Une décision liée à l’annonce d’une réduction drastique de la contribution financière française à l’organisation.

Ce revirement marque une rupture avec la politique affichée depuis plusieurs années. En 2022, la contribution financière de la France au Fonds était de 1,6 milliard d’euros sur un montant total collecté de 13,5 milliards d’euros, faisant du pays le deuxième donateur mondial derrière les États-Unis. Lors de la dernière conférence de reconstitution des ressources financières du Fonds, qui s’est tenue à Lyon en 2019, Emmanuel Macron avait usé de son poids politique pour pousser les donateurs internationaux à atteindre l’objectif de plus de 12 milliards d’euros de donations.
L’objectif affiché pour l’heure est de réunir 15,5 milliards d’euros, mais les coupes annoncées par les principaux donateurs mettent cet objectif en péril. L’Allemagne devrait faire passer sa contribution au Fonds mondial de 1,3 à 1 milliard d’euros, et le Royaume-Uni de 1,1 milliard à 960 millions d’euros. Le 19 novembre, le gouvernement des Pays-Bas a annoncé une promesse de don de 195,2 millions d’euros au Fonds mondial de lutte contre le sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. la tuberculose et le paludisme pour la période 2026-2029. L’Australie, le Danemark, l’Espagne, le Luxembourg, la Norvège, l’Ouganda, le Portugal et la Suisse ont également annoncé des engagements anticipés pour cette huitième reconstitution.
Selon Euractiv, ces premiers engagements financiers pris en amont de la réunion de Johannesburg sont jugés «extrêmement préoccupants» par Médecins sans frontières. Florence Giard, directrice adjointe de Coalition PLUS (France), juge «ahurissant» que le président français pratique «la politique de la chaise vide». Et Gautier Centlivre, coordinateur plaidoyer pour l’ONG Action Santé Mondiale, a déclaré que ce choix politique mettra «la vie de millions de gens en danger».
Un contexte de réduction généralisée de l’aide
Cette réflexion européenne intervient dans une réorientation plus large de l’aide européenne, qui a vu la France, la Belgique et la Commission européenne diminuer leurs engagements en matière d’APD.
D’une manière globale, l’année 2025 marque un tournant dans l’aide au développement, avec un recul mondial de l’engagement des pays riches. Les États-Unis, sous la présidence de Donald Trump, ont drastiquement réduit leur financement du Fonds mondial et du Gavi tout en annonçant leur retrait de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et une diminution du budget de l’USAID (Agence américaine pour le développement international).(Lire à ce sujet le texte de Michel Kazatchkine : EACS 2025 : Aller de l’avant face aux baisses de financement.)
On peut redouter que ces reculs massifs des aides mettent en péril l’objectif 2030 alors même que les investissements publics et privés dans la recherche-développement offrent maintenant des moyens majeurs pour y parvenir, comme le montrent les progrès sur toute la planète depuis 10 ans (sauf dans l’espace anciennement soviétique et les régions Moyen-Orient Maghreb.
Un renoncement cynique aux effets catastrophiques habilement dissimulé dans la vague des attaques de Trump au nom du slogan MAGA. Est-ce bien raisonnable de laisser filer une pandémie alors que les moyens et les stratégies existent pour l’arrêter ?