L’article paru dans Journal of AIDS en novembre 2025 et réalisé par l’équipe d’épidémiologie du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. de Santé publique France, Amber Kunkel, Florence Lot et Françoise Cazein avec l’aide d’A. Alioum (Université de Bordeaux), apporte des informations majeures pour l’épidémiologie du VIH en France. L’objectif principal de ces travaux est d’identifier ce qui, dans les nouvelles découvertes de séropositivité entre 2012 et 2023, tient à l’augmentation de la population migrante, à la part des personnes arrivant en France avec une infection VIH antérieure et à celle des infections acquises en France.
Une analyse essentielle pour notre compréhension des chiffres annuels de l’épidémie, à l’heure où la part de celles et ceux qui sont né.e.s à l’étranger est devenue majoritaire dans les nouveaux diagnostics.
Les méthodes utilisées se fondent :
- Sur les informations de la déclaration obligatoire des nouvelles découvertes (pays de naissance, date d’arrivée en France, date du dernier test, groupe de transmission, taux de CD4 et sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. ou non au diagnostic), informations qui quand elles manquent sont imputées par des méthodes éprouvées dans des travaux antérieurs ;
- Sur une modélisation mathématique basée sur les CD4 et le stade clinique au diagnostic, méthode déjà mise en œuvre en France et ailleurs en Europe.
Cette modélisation permet d’estimer par groupe de transmission et pour chaque année, les paramètres de la dynamique épidémiologique :
- La date de l’infection;
- Pour les personnes nées hors de France, la distinction entre infection antérieure à l’arrivée en France ou postérieure à celle-ci;
- Pour ceux et celles arrivé.e.s avec une infection non diagnostiquée, le délai entre arrivée et diagnostic;
- Et pour les migrants infectés en France, les délais entre infection et diagnostic et entre arrivée en France et diagnostic;
- Le nombre et le taux des nouvelles infections, l’incidence, par groupe de transmission;
- In fine, la taille de la population vivant avec le vih et encore non diagnostiquée fin 2023.
L’évolution des nouvelles découvertes entre 2012 et 2023

Figure 1 – Nouveaux diagnostics de VIH en France de 2012 à 2023 selon le lieu de naissance et le groupe de transmission. Source : HIV Incidence, Migration and Diagnosis Dynamics, France, 2012–2023: A Surveillance and Modeling Data Analysis, JAIDS Journal of Acquired Immune Deficiency Syndromes100(3):217-223, November 1, 2025.
Les principaux constats concernant les nouvelles découvertes sont les suivants :
- Entre 2012 et 2023, le nombre des nouveaux diagnostics pour les personnes nées en France a baissé de 29% passant de 3310 (IC95% 3215-3405) à 2336 (IC95% 2238-2434), avec un déclin plus marqué, 36%, pour les HSHHSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes. le nombre passant de 2189 (IC95% 2085-2293) à 1402 (IC95% 1309-1495) ;
- Pour les personnes nées en Afrique subsaharienne, le nombre de découvertes parmi les HSH a augmenté de 255% passant de 84 (IC95% 59-110) à 298 (IC95% 254-342) ; chez les hommes hétérosexuels il est passé de 627 (IC95% 568-686) à 555 (IC95% 493-617) avec une baisse en 2020-21, et une reprise ensuite. Les chiffres de nouvelles découvertes sont plus élevés chez les femmes, avec les mêmes tendances au cours du temps;
- Parmi les HSH nés sur les continents américains, la hausse est de 96%, parmi ceux du Moyen Orient et d’Afrique du Nord de 66% et de 6% parmi ceux nés en Europe.
Incidence en France par groupe, en nombre et en taux
Les infections acquises en France chaque année, l’incidence, sont aussi estimées en nombre et en taux par groupe de transmission.

Figure 2 – Nouvelles infections à VIH et arrivées de personnes vivant avec le VIH non diagnostiquées en France, 2012-2023, par pays de naissance et groupe de transmission. Source : HIV Incidence, Migration and Diagnosis Dynamics, France, 2012–2023: A Surveillance and Modeling Data Analysis, JAIDS Journal of Acquired Immune Deficiency Syndromes100(3):217-223, November 1, 2025.
L’évolution en nombre et son intervalle de confiance est représentée sur le volet gauche de la figure par groupe de transmission pour les nés en France, en Afrique subsaharienne et ailleurs dans le monde. Ces courbes montrent la diversité des tendances avec une augmentation en nombre chez les personnes nées hors de France entrecoupée d’un fort infléchissement en 2020-21.
La partie droite de la figure montre le nombre de cas avec une infection VIH non diagnostiquée à l’arrivée en France. Ce nombre augmente avec une incurvation en 2020-21 suivie d’une reprise lorsque les barrières à la mobilité internationale ont été levées. Ici, les femmes sont les plus nombreuses car, en Afrique subsaharienne, l’âge à l’infection est nettement plus jeune chez les jeunes filles et jeunes femmes que chez les hommes.
Mais surtout ici pour la première fois, l’incidence est calculée en taux pour chaque population, traduisant le niveau du risque. Si la population française totale augmente peu sur la période (environ 3%), les arrivées d’étrangers pour vivre en France sont un flux en augmentation et donc contribuent à une population en augmentation, puisque ces migrants, dans leur majorité, s’installent dans la durée. Selon les années, les personnes nées en Afrique subsaharienne constituent 13% à 20% de ces flux d’arrivées. Sur la période, la population d’immigrés nés en Afrique subsaharienne vivant en France est passée de 778 000 à 1 293000 personnes.
Entre 2012 et 2021, le taux d’incidence en population globale pour la France baisse de 0,064 pour 1000 (IC95% 0,061-0,066) en 2012 à 0,049 (IC 95% 0,047-0,052) en 2021 et dans la population d’immigrés subsahariens, de 0,94 pour 1000 (IC 95% 0,87-1) à 0,50 (IC 95% 0,44-0,56) pour 1000, une baisse de près de moitié.
Parmi les personnes arrivant en France, le taux du nombre de personnes non diagnostiquées au nombre d’arrivants, qui représente une prévalencePrévalence Nombre de personnes atteintes par une infection ou autre maladie donnée dans une population déterminée. baisse aussi sur la période, de 6,8 à 4,6 pour 1000 pour l’ensemble des nouveaux arrivés et de 38 (IC95%36-40) pour mille à 15 (IC95% 14-16) pour 1000 pour ceux d’Afrique subsaharienne.
À bien sûr souligner, les taux d’incidence beaucoup plus élevés chez les immigrés (10 fois plus élevés chez les migrants subsahariens que dans la population générale ; les tendances à la baisse s’observant toutefois chez les migrants comme en population générale.
Les délais au diagnostic
| Proportion with AIDS at Diagnosis (95% CI) | Median (IQR) CD4 at Diagnosis | Proportion with a Previous Negative Test (95% CI) | Median (IQR) Estimated yr Between Infection and Diagnosis | Median (IQR) Estimated yr Between Arrival in France and Diagnosis | ||
| MSM | Born in France | 0.09 (0.09 to 0.10) | 422 (259–593) | 0.74 (0.73 to 0.75) | 0.9 (0.3–2.7) | — |
| Infected premigration | 0.12 (0.11 to 0.14) | 324 (174–487) | 0.45 (0.42 to 0.48) | 2.3 (1.0–4.9) | 0.4 (0.1–0.9) | |
| Infected postmigration | 0.07 (0.05 to 0.08) | 393 (260–553) | 0.75 (0.73 to 0.77) | 0.6 (0.2–1.6) | 7.2 (2.2–17.5) | |
| Men infected heterosexually | Born in France | 0.20 (0.18 to 0.22) | 308 (126–501) | 0.46 (0.44 to 0.47) | 2.5 (0.8–6.0) | — |
| Infected premigration | 0.23 (0.21 to 0.24) | 224 (75–399) | 0.23 (0.21 to 0.25) | 4.4 (2.0–8.3) | 0.5 (0.2–1.4) | |
| Infected postmigration | 0.16 (0.14 to 0.17) | 282 (135–452) | 0.41 (0.38 to 0.43) | 1.8 (0.6–4.4) | 13.0 (4.5–25.3) | |
| Women infected heterosexually | Born in France | 0.13 (0.12 to 0.14) | 393 (200–585) | 0.51 (0.48 to 0.54) | 2.0 (0.6–5.0) | — |
| Infected premigration | 0.14 (0.13 to 0.15) | 289 (137–470) | 0.32 (0.30 to 0.34) | 3.4 (1.6–6.6) | 0.4 (0.1–0.9) | |
| Infected postmigration | 0.08 (0.07 to 0.09) | 364 (212–540) | 0.54 (0.52 to 0.56) | 1.0 (0.4–2.8) | 6.5 (1.8–16.6) | |
Tableau 1 – Comparaison des personnes diagnostiquées entre 2012 et 2023 selon la voie de transmission, le lieu de naissance et le lieu estimé d’infection. Source : HIV Incidence, Migration and Diagnosis Dynamics, France, 2012–2023: A Surveillance and Modeling Data Analysis, JAIDS Journal of Acquired Immune Deficiency Syndromes100(3):217-223, November 1, 2025.
L’estimation des délais au diagnostic constitue un indicateur majeur de l’efficacité du dépistage. Des estimations avaient déjà été réalisées et publiées, mais celles-ci concernent les migrants infectés par le VIH en France. Chez les personnes nées en France, le temps entre infection et diagnostic est de 0,9 an (IIQ 0,3-2,7) pour les HSH, de 2,0 ans (IIQ 0,6-5,0) pour les femmes, et enfin, pour les hommes hétérosexuels, de 2,5 ans (IIQ 0,8-6,0). On retrouve cet ordre, resserré, pour les personnes étrangères arrivant infectées dans le savoir : les HSH et les femmes sont diagnostiqués dans un délai de 0,4 an (IIQ 0,1-0,9) et les hommes hétérosexuels 0,5 an (IIQ 0,2-1,4).
Mais les résultats majeurs dans ce travail de modélisation portent sur les délais estimés chez les personnes arrivées sans le VIH en France : celles diagnostiquées le plus tôt après leur arrivée sont les femmes, avec un diagnostic au bout de 6,5 ans de présence en France (IIQ 1,8-16,6) dont un délai entre infection et diagnostic de 1 an (IIQ 0,4-2,8). Pour les HSH, le diagnostic est porté au bout de 7,2 ans en médiane (IIQ 2,2-17,5) — chiffre très proche de celui observé dans l’étude GANEMEDE (7,5 ans IIQ 3,5 -14,75) — et un délai médian entre infection et diagnostic de 0,6 an IIQ (0,2-1,6). Pour les hommes hétérosexuels, le délai entre arrivée et diagnostic est de 13 ans (IIQ 4,5-25,3) avec un délai au diagnostic de 1,8 an (IIQ 0,6-4,4). On remarquera que pour les migrants qui contractent le VIH en France, les délais au diagnostic dans chaque groupe sont inférieurs aux catégories correspondantes de nés en France.
Ainsi en 2023, sur les 10701 (IC95 % 10193-11209) personnes vivant avec le VIH sans le savoir en France, 9084 (8589-9569) sont des personnes infectées en France.
Les auteurs soulignent les limites possibles de ce travail dont une partie des informations de base sont des données déclaratives lors du remplissage par le clinicien du formulaire de déclaration obligatoire (date d’arrivée en France, orientation sexuelle, infection non diagnostiquée à l’arrivée). De plus, il existe une sous-déclaration et une incomplétude de la déclaration obligatoire en France. Les études de cohérence et des analyses de sensibilité réalisées ont conforté les résultats des imputations et des modélisations présentés dans l’article.
Des paramètres qui changent le regard sur les tendances de l’épidémie et l’efficacité des stratégies
Ces informations sont radicalement nouvelles à plus d’un titre :
- Si les nouveaux diagnostics de personnes nées hors de France sont plus nombreux, c’est parce que la population migrante augmente rapidement ;
- Au fil des années, les personnes arrivant séropositives sont moins nombreuses parce que l’épidémie baisse aussi en Afrique subsaharienne ;
- La stratégie de dépistage apparaît plus efficace qu’on ne le pensait : les délais au diagnostic après l’arrivée de personnes séropositives sont très courts et ceux entre infection et diagnostic plus courts chez les migrants infectés en France que chez les Français natifs ;
- Les taux d’incidence en France parmi les migrants diminuent suggérant ainsi une efficacité croissante de la prévention combinée, probablement surtout de la partie dépister-traiter.
- Ces taux sont 10 fois supérieurs au niveau global pour la population totale.
…. Et apportent des informations sur des voies pour agir encore plus, et plus efficacement
Ces résultats soulignent l’importance de trouver les moyens pour aller plus vite au-devant des personnes qui ignorent leur risque d’exposition au VIH, qui se détournent du dépistage ou ne le rencontrent pas sur leur parcours, personnes encore nombreuses dans tous les groupes y compris les HSH nés en France.
Ils soulignent également l’importance de revoir les stratégies de prévention s’adressant aux personnes migrantes, les femmes et aussi les hommes, trop souvent oubliés, qui en dépit des embûches s’installent, travaillent, nouent des liens, aiment, font famille et malheureusement parfois sont infectés par le VIH après pas mal d’années de vie en France, loin des radars des actions visant les personnes tout juste arrivées et en extrême précarité.
L’ensemble des acteurs du VIH, institutions de santé publique, CORESS, associations communautaires, et professions de santé doit impérativement s’approprier ces nouvelles données.
Bibliographie
- HIV Incidence, Migration and Diagnosis Dynamics, France, 2012–2023: A Surveillance and Modeling Data Analysis
- Kunkel, Amber ScDa; Alioum, Amadou PhDb; Lot, Florence PhDa; Cazein, Françoise PharmDa JAIDS Journal of Acquired Immune Deficiency Syndromes 100(3):p 217-223, November 1, 2025. DOI: 10.1097/QAI.000000000000373