Kigali, un hôte symbolique aux résultats remarquables
C’est dans la capitale du Rwanda que s’est ouverte cette nouvelle édition de la conférence IAS, réunissant 4 000 participants dans un format hybride (présentiel et distanciel). Le choix de Kigali ne doit rien au hasard. Le pays, qui compte 14 millions d’habitants, fait figure de modèle en Afrique en atteignant les objectifs 95-95-95 fixés par l’ONUSIDA : 96 % des personnes vivant avec le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. connaissent leur statut, 90 % sont sous traitement antirétroviral, et 98 % d’entre elles ont une charge viraleCharge virale La charge virale plasmatique est le nombre de particules virales contenues dans un échantillon de sang ou autre contenant (salive, LCR, sperme..). Pour le VIH, la charge virale est utilisée comme marqueur afin de suivre la progression de la maladie et mesurer l’efficacité des traitements. Le niveau de charge virale, mais plus encore le taux de CD4, participent à la décision de traitement par les antirétroviraux. indétectable. Une réussite d’autant plus remarquable que le système de santé rwandais a été gravement affecté par les génocides successifs, en particulier celui de 1994.
Le ministre de la Santé, le Dr Sabin Nsanzimana, a rappelé les fondations de cette réussite : « leadership politique, partenariats solides, implication communautaire et innovation intersectorielle. »
Une menace plane : le retrait des financements américains
Mais au-delà des avancées scientifiques et des bonnes pratiques, un sujet a dominé les discussions : la menace que fait peser le désengagement américain, notamment via la réduction ou la suspension du financement du programme PEPFAR. Plusieurs pays d’Afrique subsaharienne dépendent de ces fonds à plus de 60 % pour leur riposte au VIH. L’ONUSIDA estime que l’arrêt du soutien pourrait entraîner 6 millions de nouvelles infections et 4 millions de décès supplémentaires d’ici à 2029.

Lire notre article : Réduction du financement PEPFAR : l’alerte des chercheurs
Si le Sénat américain a approuvé en première lecture un plan de sauvetage de 400 millions de dollars pour le PEPFAR, les inquiétudes demeurent. Les conditions d’attribution de ces financements évoluent, avec des restrictions visant les programmes en direction des populations-clés comme les travailleurs du sexe ou les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH). Ces changements menacent l’universalité et l’efficacité des politiques de prévention.
Le risque : l’augmentation de l’incidence des infections par le VIH
La prévention combinée, et en particulier la PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. (prophylaxie pré-exposition), a occupé une place centrale dans les échanges. Rappelons que fin 2024, 742 136 personnes vivant dans 28 pays d’Afrique subsaharienne recevaient une PrEP financée par le PEPFAR, dont 205 868 appartenant aux populations cibles. Une modélisation portant sur 15 pays d’Afrique subsaharienne et présentée par Jack Stone (Université de Bristol, UK), a montré une grande variation de l’efficacité préventive de ce la PrEP selon les différentes populations : 75 % pour les HSHHSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes. et les personnes trans 49 % pour les usagers de drogues intraveineuses et 39 % pour les femmes travailleuses du sexe. Quant à la population générale, le modèle considère que la PreP a 69 % d’efficacité chez les hommes dans les populations non-cibles, et 31 % chez les femmes.
L’étude a également estimé l’impact d’un arrêt du financement de la PrEP via le PEPFAR : 700 000 personnes seront exclues de l’accès à la PrEP, et 6 671 infections supplémentaires apparaîtront dès l’année suivante, en majorité chez les populations-clés.


L’augmentation projetée des nouvelles infections pourrait atteindre 8 % chez les HSH, 6 % chez les travailleuses du sexe et 5 % chez les femmes trans.
Jack Stone a insisté sur la nécessité de maintenir, voire d’étendre, l’offre de PrEP, en appelant à la recherche urgente de financements alternatifs. « Il est crucial que les financements servent à maintenir les offres de PrEP mais aussi à les étendre » a-t-il martelé, avant d’ajouter qu’il est par ailleurs essentiel « d’identifier des sources alternatives de financement pour contrecarrer ces coupes américaines ».
Besoin d’études supplémentaires pour le lénacapavir
De son côté, Michelle Rodolph (responsable du programme global sur le VIH, les hépatites et les ISTIST Infections sexuellement transmissibles. à l’OMS), a rappelé les quatre options actuellement recommandées :

- La PrEP orale par TDF/FTC (2015),
- Les anneaux vaginaux de dapivirine (2021),
- Le cabotégravir injectable tous les deux mois (long-acting cabotégravir bimensuelle, 2022),
- Le lénacapavir injectable en sous-cutané tous les 6 mois (long-acting lenacapavir, 2025).
L’efficacité de ces outils varie selon les groupes cibles et les conditions d’utilisation. Concernant la PrEP orale, pas de scoop : la forme continue pour tous·tes nécessite une dose par jour associée à l’utilisation d’un moyen de prévention durant les 7 premiers jours et la PrEP « à la demande » reste réservée aux hommes cis exposés et non utilisateurs d’hormones. Les anneaux vaginaux, de leur côté, montrent une efficacité croissante (de 50 à 75 %). Le cabotégravir se distingue, quant à lui, par son excellente observanceObservance L’observance thérapeutique correspond au strict respect des prescriptions et des recommandations formulées par le médecin prescripteur tout au long d’un traitement, essentiel dans le cas du traitement anti-vih. (On parle aussi d'adhésion ou d'adhérence.) et sa plus grande efficacité par rapport à la PrEP orale. Quant au lénacapavir, s’il suscite un fort engouement, il doit encore faire l’objet de nombreuses études pour évaluer les parcours de soins, le rapport coût/efficacité, les mécaniques de résistance, la population cible, les conditions du switch entre plusieurs outils de PrEP, et l’inclusion des adolescents.
Une forte demande pour les PrEP « long-acting » injectables
Deux grandes enquêtes menées en Afrique du Sud et présentées par Saiqa Mullick (Université de Witwatersrand, Afrique du Sud), ont confirmé la forte attente envers les formulations longues durées. Rappelons que l’Afrique du Sud, avec une population de plus de 64 millions, est le pays le plus prévalent au monde en matière de VIH : 7,6 millions de personnes vivant avec le VIH en 2022, 160 000 nouvelles infections chaque année, 45 000 décès du SidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. et une prévalencePrévalence Nombre de personnes atteintes par une infection ou autre maladie donnée dans une population déterminée. moyenne chez les adultes de 15 à 49 ans de 17,8 %, avec de grandes disparités selon les populations cibles – 62 % chez les travailleurs·es du sexe, 58 % chez les personnes transgenres et 48 % chez les HSH. À ce jour, 1,9 millions de personnes ont débuté une PrEP orale en Afrique du Sud.
Dans la première étude, 65 % des 3 803 personnes interrogées préféraient le cabotégravir injectable à la PrEP orale ou aux anneaux vaginaux. La seconde étude menée en 2025 auprès de 1 724 personnes plaçait le lénacapavir en tête des préférences (56 %), suivi du cabotégravir (30 %), loin devant la PrEP orale (12 %) et les anneaux vaginaux (1 %).

Des résultats qui ont fait réagir Saiqa Mullick : « Nous devons tout mettre en œuvre, d’ici 2030, pour célébrer les progrès, non seulement dans la prise en charge du VIH mais dans son éradication », a-t-elle conclu, appelant à reconstruire un modèle et un écosystème de la prévention incluant toutes les options PrEP et les dépistages.
Des résultats cohérents avec ceux observés au Brésil, où une étude menée par Beatriz Grinsztejn (Fondation Oswaldo Cruz) auprès de 3 865 adultes SGM HIV-négatives (SGM = Sexual and Gender Minorities), montre que 51 % des minorités sexuelles et de genre HIV-négatives de plus de 18 ans attendent la PrEP semestrielle, et 17 % la version bimestrielle. Dans une étude comparative, baptisée ImPrEP comprenant une cohorte historique de PrEP orale, une cohorte prospective de PrEP orale et une cohorte prospective de PrEP par cabotégravir, l’observance vis-à-vis de la PrEP injectable atteint 94 %, ce qui est loin devant celle observée dans la cohorte prospective de PrEP orale ou la cohorte de référence, respectivement à 53% et 43% d’observance.

Le générique du lénacapavir fin 2027 au plus tard
Plusieurs communications comme celle de Carolyn Amol, du Clinton Health Access Initiative, ont, par ailleurs, donné un échéancier pour l’accessibilité au lénacapavir génériqué avec des scénarios allant du premier trimestre 2027 au dernier trimestre 2027. Aucun prix n’a, en revanche, été communiqué.
Vers une refondation de la santé mondiale ?
Enfin, dans une tribune publiée sur VIH.org (https://vih.org/vih-et-sante-sexuelle/20250407/refonder-la-sante-mondiale/), Michel Kazatchkine appelle à une conférence internationale de refondation de la santé mondiale, indépendante des financements traditionnels : « Les temps nouveaux que nous vivons représentent aussi une opportunité. Ils appellent à la convocation par un État ou un ensemble d’États d’une conférence de refondation (…) pour répondre aux nouveaux défis de la santé mondiale : son objet ne sera pas un Fonds mondial, mais la refondation du système international en santé. » Sans les États-Unis, mais dans l’esprit d’une « communauté mondiale multilatérale et solidaire ».
À l’aube de 2030, la conférence de Kigali aura rappelé que les avancées scientifiques ne peuvent porter leurs fruits qu’adossées à des choix politiques courageux, inclusifs et durables. L’éradication du VIH ne peut se faire sans les populations les plus vulnérables, sans financements stables, ni sans un engagement mondial renouvelé. Or celui-ci est gravement remis en cause par les Etats-Unis qui soustraient leurs financements internationaux, réduisent les fonds de recherche et attaquent les populations clés.